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Feux de forêt au Québec

La Société de protection des forêts contre le feu prépare l’été 2024.

Juliette Elie

En 2023, le Québec a connu un malheureux record en ce qui concerne les feux de forêt, avec 4,3 millions d’hectares brûlés sur le territoire. Cette saison marquée par la sécheresse a nécessité des efforts disproportionnés de la part de la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) et de l’aide internationale, afin de limiter les dégâts. À quoi peut-on s’attendre en 2024 ?

2023 était une exception

Karine Pelletier, porte-parole de la SOPFEU, souligne l’une des raisons pour lesquelles la saison 2023 de feux de forêt a été d’une intensité jamais vue auparavant : « Après une période de sécheresse, [le 1er juin, ndlr] il y a eu plus de 3 000 coups de foudre sur la province [québécoise, ndlr] et ses environs, ce qui a créé 182 feux en une journée. » En temps normal, 80% des feux de forêt sont déclenchés par des causes humaines (souvent des feux de camp mal contrôlés ou mal éteints), alors que seulement 20% sont déclenchés par la foudre. Au cours de l’exceptionnelle saison 2023, les incendies causés par la foudre ont été responsables de 99,9% de la superficie brûlée, selon le bilan officiel de la SOPFEU. « La différence entre les feux de cause humaine et les feux de foudre, en règle générale, c’est que les feux de foudre vont couvrir une plus grande superficie […], parce qu’ils arrivent plus tard dans l’été, qu’ils se passent plus au nord, qu’il y a moins de population pour se rendre compte
qu’il y a un feu et sonner l’alerte avant que ça devienne trop gros, et parce que les conifères [qui sont plus abondants au nord, ndlr] sont très combustibles », explique Karine Pelletier en entretien avec Le Délit.

La SOPFEU est prête à attaquer 2024

Le budget 2024–2025 du gouvernement du Québec, présenté le 12 mars 2024, réserve 29 millions de dollars sur cinq ans afin d’« accroître la capacité de la Société de protection des forêts contre le feu à combattre les feux de forêt ». Cette somme va permettre l’embauche et le perfectionnement des effectifs de la SOPFEU, ainsi que l’acquisition de nouveaux équipements, en prévision de la saison 2024 et des années à venir. Selon Karine Pelletier, « on ne peut pas vraiment éviter les feux de cause naturelle, parce que c’est à cause de la sécheresse. On n’a aucun contrôle là dessus, malheureusement. Maintenant, on essaie de mieux se préparer. Comme il y a un budget qui est confirmé, on essaie d’avoir le plus de pompiers possible, mais aussi plus de gens pour les encadrer, pour avoir une capacité opérationnelle plus grande, une force d’attaque de plus de feux en même temps. C’est ce qu’on peut faire de mieux ».

« L’été 2023 a été d’une intensité jamais vue auparavant : ‘‘Après une période de sécheresse, [le 1er juin, ndlr] il y a eu plus de 3 000 coups de foudre sur la province [québécoise, ndlr] et ses environs, ce qui a créé 182 feux en une journée’’ »

En temps normal, la SOPFEU possède suffisamment d’effectifs pour faire face aux défis des saisons de feux de forêt. En temps de débordements, comme cela a été le cas en 2023, le Québec doit faire appel à l’aide internationale et interprovinciale pour combattre les incendies. Karine Pelletier met l’accent sur l’importance grandissante de ce type de coopération : « Ce n’est pas rare qu’on emprunte des pompiers aux autres provinces canadiennes, et vice-versa. Vu que [le Canada, ndlr] est un très grand pays, les provinces canadiennes n’avaient jamais [avant récemment, ndlr] leur pic de saison au même moment. Donc, si le sud-est canadien était au plus
fort de saison, mais dans l’ouest, c’était plus tranquille, on pouvait s’emprunter des ressources. [Maintenant, ndlr], dans l’ouest, la saison des feux ne se termine jamais. Pour mieux se préparer, il faut alors faire plus d’ententes à l’international. »

La SOPFEU ne fait pas seulement de l’intervention sur le terrain, mais aussi de la prévention au sein de la population. Puisqu’en temps normal la majorité des feux sont de cause humaine, il est primordial de mener des campagnes de prévention. « On [en, ndlr] fait pour les feux de printemps, parce qu’il y a chaque année en moyenne 275 feux qui sont déclenchés [par des Québécois, ndlr] avant le début de l’été. Les gens ne réalisent pas le danger [d’incendies, ndlr] qu’il y a, même s’il reste un peu de neige, même si le sol a l’air humide. Il y a tellement de végétaux morts au sol et avec quelques heures d’ensoleillement et un peu de vent, ça devient extrêmement combustible », souligne la porte-parole.

Pour ce qui est des feux d’été, la SOPFEU peut prévoir les zones à risque en se basant sur les rapports des scientifiques. « Les scientifiques s’entendent pour dire qu’au Québec, c’est plus l’ouest [qui est à risque, ndlr],
comme l’Abitibi et même près de la Baie James. C’est là où [les feux ont été, ndlr] très intenses l’an dernier. C’est un secteur qui est plus à risque que les autres climatiquement, parce qu’il est plus vulnérable à la sécheresse », explique Karine Pelletier. Afin de détecter les feux le plus tôt possible, la SOPFEU bénéficie beaucoup des alertes du public. On peut signaler un incendie directement en appelant le 1–800-463-FEUX (3389). Un autre moyen de détection consiste en des patrouilles quotidiennes menées par l’équipe des opérations aériennes de la SOPFEU. « [Elle, ndlr] va décider où elle va aller en fonction du danger d’incendie, de la pluie qui est tombée à certains endroits et des coups de foudre enregistrés », précise la porte-parole. « Il y a aussi des satellites qui vont détecter les points chauds. Si des points chauds ont l’air louches, on peut ajuster la patrouille pour aller voir. »

« S’il y a un point positif de la saison dramatique qu’on a connue l’été dernier, c’est [que ça, ndlr] conscientise les gens à l’impact concret du changement climatique, au danger réel des feux de forêt »

Karine Pelletier, porte-parole de la SOPFEU

Comment éteindre un feu de forêt

Entre la détection d’un incendie et son extinction, plusieurs étapes se déroulent et plusieurs acteurs entrent en jeu. Tout d’abord, le triage : « Il y a trois priorités. La première, c’est les vies humaines. La deuxième, c’est les infrastructures stratégiques, comme les lignes d’Hydro-Québec, les routes, les ponts. Puis, en troisième, il y a la forêt. Normalement, dans la zone de protection intensive, qui est plus ou moins au sud du 51ème parallèle, on va attaquer systématiquement tous les incendies ». Karine Pelletier ajoute qu’en 2023, à cause des débordements, certains feux qui ne menaçaient pas de communauté ou d’infrastructure stratégique ont été gardés en vigie uniquement, du jamais vu dans l’histoire de la SOPFEU.

Rendus à l’étape de l’attaque du feu, les pompiers font appel à des appareils technologiques, dont d’impressionnants avions-citernes. Contrairement à ce qu’on peut penser, le rôle de ces avions, qui relâchent en moyenne chaque année 65 mégalitres d’eau sur les brasiers, n’est pas d’éteindre les feux. C’est plutôt de faire la première attaque, soit de baisser l’intensité de l’incendie pour permettre aux pompiers de le combattre à partir du sol. Karine Pelletier décrit les objectifs opérationnels de la SOPFEU : « Une fois que le feu est détecté, on veut être sur le terrain en moins d’une heure pour commencer l’attaque, avant qu’il n’atteigne un demi-hectare [de superficie, ndlr]. Puis, on veut le maîtriser, c’est-à-dire faire les contours et s’assurer qu’il ne progresse plus, avant dix heures le lendemain, parce que le feu suit un cycle de 24 heures : quand le soleil se couche et que l’humidité remonte un peu, c’est rare que le feu soit très actif. Ça recommence à s’intensifier vers dix heures chaque matin. Enfin, on veut l’éteindre avant qu’il n’atteigne trois hectares. »

Juliette Elie | Le Délit

La sirène est déclenchée

Ce ne sont pas seulement les populations des régions incendiées qui ont fait face aux conséquences des feux de 2023. Les populations des villes au sud aussi ont été touchées autrement : Montréal était étouffée par la fumée, le soleil avait pris une teinte rougeâtre apocalyptique et New York est devenue en quelques jours seulement, la ville la plus polluée du monde. Les incendies records de 2023 ont certainement joué un rôle dans une prise de conscience environnementale chez certaines personnes. « S’il y a un point positif de la saison dramatique qu’on a connue l’été dernier, c’est bien ça », partage Karine Pelletier. « Ça conscientise les gens à l’impact concret du changement climatique, au danger réel des feux de forêt, [et au fait, ndlr] que même s’ils n’habitent pas dans le nord au milieu de la forêt, même en ville ils peuvent être beaucoup affectés, au niveau de la santé. »

« Les scientifiques sont assez clairs : [le réchauffement climatique, ndlr] va avoir un impact, pas nécessairement sur la quantité de feux, mais sur l’intensité des feux »

Karine Pelletier

Des situations intenses comme celle de la saison 2023 se feront de moins en moins rares dans les années à venir, en raison des changements climatiques. « Les scientifiques sont assez clairs : [le réchauffement climatique, ndlr] va avoir un impact, pas nécessairement sur la quantité de feux, mais sur l’intensité des feux. C’est lié au fait que la sécheresse va devenir plus fréquente, de plus longue durée. Des épisodes de haute température, de manque de pluie, c’est ça qui va rendre la forêt plus vulnérable à des feux plus intenses », conclut la porte-parole.

On ne sait pas exactement à quoi s’attendre pour la saison 2024. La SOPFEU, comme à chaque année, reste vigilante et réactive, et compte faire tout son possible pour limiter les dégâts des feux sur les communautés,
les infrastructures et la forêt. La coopération de la population pour la prévention reste primordiale pour limiter le nombre d’incendies actifs et ainsi alléger un peu la charge de travail de la SOPFEU. Enfin, un conseil pour les adeptes de camping : il vaut mieux éteindre son feu de camp adéquatement avant d’aller se coucher et prendre le temps de le rallumer le matin que de risquer de causer un incendie.


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