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L’abandon de nos garçons

Pierre Poilièvre gagne en popularité chez les jeunes hommes à travers le pays

Rose Chedid

Les sondages se multiplient et une tendance se dessine à l’horizon : la droite et son représentant fédéral, Pierre Poilièvre, sont premiers dans les sondages. Depuis plusieurs mois, le camp conservateur creuse son avance sur le gouvernement libéral. Là où Poilièvre semble gagner beaucoup de terrain, c’est au niveau du soutien marqué dont il bénéficie auprès des jeunes hommes. Comment se l’expliquer ?

MeToo et nous

Dans les dernières années, les hommes et le modèle patriarcal ont été mis sous la loupe. Le mouvement MeToo en est sûrement l’investigateur. Depuis son apogée, nous avons été témoins d’un mouvement international qui invitait les femmes à dénoncer leurs agresseurs sexuels. Grâce à la prise de parole de ces femmes, des discussions sur la place de la femme et de la manière dont elle est traitée se sont invitées dans nos foyers et dans le reste de la société. De plus en plus de parents ont tenu à initier une discussion sur le respect de la femme avec leurs fils. MeToo nous a confrontés à notre propre reflet dans la glace, et il va sans dire qu’il n’était pas toujours beau. 

La réponse masculiniste

Comme à chaque fois qu’un mouvement émerge, son contre-mouvement lui emboîte le pas. Dans ce cas, il s’agit de l’apparition d’un mouvement réactionnaire masculiniste farouchement antiféministe. En effet, en réponse au mouvement MeToo, certains influenceurs utilisant une rhétorique machiste ont surgi dans notre quotidien. Ces influenceurs ayant pour figure de proue Andrew Tate prônent une vision forte de la masculinité en réponse au mouvement féministe, qui représenterait une menace pour les hommes occidentaux. Pour eux, l’homme parfait, c’est celui qui va au gym, qui souffre en silence, qui ne fait jamais preuve de faiblesse, de sentimentalisme, et surtout de considération envers les femmes. Tate et ses sbires se sont dotés d’une fixation maladive pour les années 50 et son paradigme représentant l’âge d’or de la masculinité et de l’homme guerrier. Toujours selon eux, les femmes seraient devenues des Marie-Madeleine à la recherche d’attention depuis la libération sexuelle et les enseignements égalitaires féministes. Celles-ci seraient animées par un ressentiment misandre, ce qui les pousserait à vouloir remplacer l’homme dans les hautes sphères de la société. Juste à écrire ces lignes, j’en ai un haut le cœur.

Malheureusement, pleins de garçons sont tombés dans le panneau. Ils voient le féminisme comme étant une mouvance fondamentalement anti-homme. Pour eux, si on accorde plus de pouvoir aux femmes à travers des politiques plus équitables, les hommes s’en trouvent forcément diminués. Au fond, c’est un raisonnement foncièrement enfantin. Comme si, lorsqu’on donne quelque chose à un autre, c’est impérativement parce qu’on l’enlève à d’autres. En omettant d’enseigner à nos jeunes garçons qu’en redistribuant la force de pouvoir aux femmes c’est toute la société qui en bénéficiait, nous avons créé une horde de jeunes hommes qui se sentent perdus et dépossédés de leurs droits fondamentaux. C’est une souffrance qu’on se doit d’adresser et de rectifier à travers l’enseignement pour le bien de la cohésion sociale. Et c’est là que la politique entre en jeu. 

« Si Poilièvre peut compter sur un appui aussi considérable chez les jeunes hommes, c’est qu’il courtise une tranche extrémiste de cette partie de l’électorat. Le chef conservateur vient consoler ceux qui se sentent délaissés par les politiciens et la société en général, en écoutant et en validant leurs théories absurdes sur le genre »

Flirter avec le masculinisme


Avec ce mouvement masculiniste, une communauté d’hommes qui se sentent désabusés par le système actuel est apparue de par la création de réseaux d’hommes partageant ce sentiment. Pierre Poilièvre l’a compris et l’utilise à son avantage. Poilièvre et son parti ont tiré bénéfice de cette réelle souffrance en utilisant des hashtags cachés dans leurs publications sur les réseaux sociaux. Ces hashtags permettaient aux conservateurs d’utiliser des codes et des normes présents dans ces groupes. Par exemple, en utilisant des mots connotés dans le milieu masculiniste comme MGTOW, ce qui signifie men going their own way, les conservateurs s’assurent d’apparaître sur le fil d’actualité de ces cercles misogynes. Poilièvre s’est créé un discours basé sur ces croyances pour faire écho à ses potentiels électeurs. De ce fait, il a attiré leur attention et a été le premier politicien au Canada à courtiser cette tranche de la population. Il offre un refuge politique à de jeunes hommes qui en veulent au système qui les auraient abandonnés.

De plus, afin de consolider son soutien au sein de cette démographie, Poilièvre a dépeint ses adversaires de manière à ce que les masculinistes se sentent interpellés. Il a présenté le premier ministre Trudeau comme étant un homme rose, un féministe enragé et déconnecté, bref un homme faible et soumis au mouvement féministe soi-disant extrémiste. De ce fait, Poilièvre dépeint Trudeau comme un activiste anti-homme, qui suit un agenda woke, un politicien qui voue une aversion aux hommes, les vrais, ceux qui vont au gym et qui ne pleurent jamais.

Si Poilièvre peut compter sur un appui aussi considérable chez les jeunes hommes, c’est qu’il courtise une tranche extrémiste de cette partie de l’électorat. Le chef conservateur vient consoler ceux qui se sentent délaissés par les politiciens et la société en général, en écoutant et en validant leurs théories absurdes sur le genre. Poilièvre vient cautionner une rhétorique qui menace la santé et la sécurité des femmes dans notre société par des hashtags ridicules, mais qui représentent une réelle menace. À mes yeux, c’est un jeu extrêmement dangereux qui n’en vaut certainement pas la chandelle. Il attise la haine envers les femmes et cautionne les sentiments de ces masculinistes, qui intrinsèquement en veulent à celles-ci. Pour un homme qui aspire à occuper la plus haute fonction de notre nation, c’est une honte, c’est un danger pour notre démocratie. Néanmoins, je pense qu’il est primordial d’écouter les souffrances de ces jeunes hommes, parce qu’elles traduisent une réelle aliénation. Bien que je me refuse à accorder quelque crédit que ce soit à ces théories antiféministes et profondément misogynes, certains y croient et en souffrent. Ces souffrances sont perçues comme étant réelles, mais je refuse de les valider. De ce fait, une partie de nos fils se sentent perdus et déboussolés. Il serait imprudent d’ignorer cette mouvance ; des gens mal intentionnés se feraient un malin plaisir à réconforter leurs maux et sauraient sans doute les pousser à l’extrémisme. En les ignorant, nous les poussons directement dans les bras de personnes cachant un agenda dangereux. Il faut donc les écouter pour déboulonner les mythes sur l’égalité des sexes et pour assurer la pérennité du tissu social.


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