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Art et technologie pour raconter l’Histoire

Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin et À la recherche du beat répétitif au Centre PHI

© Adil Boukind / Centre Phi

Le Centre PHI, centre d’art qui propose des expériences immersives, présente actuellement deux nouvelles installations : À la recherche du beat répétitif de Daaren Emerson, et Noire, la vie méconnue de Claudette Colvin réalisée par Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud. La première est une aventure
en réalité virtuelle qui nous transporte au Royaume-Uni, à l’apogée de la scène illégale de musique Acid house en 1980. La seconde est une expérience immersive qui retrace la vie de Claudette Colvin dans l’Alabama des années 50, au moment de la lutte pour les droits civils des personnes noires. Les deux documentaires sont très différents dans les thématiques qu’ils abordent, mais sont intimement liés dans leur désir commun de rébellion. Ce sont des expériences uniques, immersives et grandement humaines qui nous invitent à regarder l’Histoire sous un nouvel angle.

Rave culture


Tout d’abord, nous avons À la recherche du beat répétitif. Comme l’indique le titre de l’exposition, dès le casque de réalité virtuelle (RV) devant nos yeux, nous partons à la recherche du beat répétitif. Nous incarnons alors pendant 50 minutes un membre d’un groupe d’amis cherchant désespérément un de ces entrepôts abandonnés où se déroulent les fameuses raves. En effet, le beat fait référence à l’Acid house, un genre de musique électronique dérivé de la house populaire dans les raves. Aussi excitantes que dangereuses, ces soirées illégales qui émergent au Royaume-Uni dans les années 80 attirent une population diverse cherchant à se libérer l’esprit lors d’une nuit et à vivre quelque chose d’unique. Grâce aux nouvelles technologies, nous prenons entièrement part à l’aventure, tout en apprenant plus sur le milieu Acid house. En effet, le but de l’installation est non seulement de provoquer un sentiment d’euphorie, mais aussi d’éduquer le public sur une scène musicale qui a bouleversé notre façon de consommer de la musique, en nous invitant à danser davantage.
Il est important de souligner que, bien que nous soyons transportés au Royaume-Uni, l’aventure dans laquelle nous prenons part et que nos quatre amis vivent, résonne dans beaucoup de pays. L’installation a, en effet, été exposée à Amsterdam, Tokyo, et même au Texas depuis sa création en 2022. Maintenant à Montréal, son histoire fait grandement échos au développement des raves au Québec. Au cours des années 90, la scène des raves a pris son essor dans la métropole québécoise, offrant aux passionnés une expérience collective de la musique électronique et laissant une empreinte indélébile sur la culture musicale et sociale de Montréal, contribuant ainsi à façonner une ville connue pour sa diversité, sa créativité et son esprit festif. 

Partout autour du monde, ces soirées étaient bien plus que des soirées de danse ; elles offraient moyen de se rassembler, de s’exprimer librement et de créer une communauté basée sur la musique, le partage et l’ouverture d’esprit. Comme il est indiqué dans le documentaire, « peu importe si tu es riche ou pauvre, tu te retrouves au même endroit, dans les mêmes conditions, à suer et à danser. (tdlr) »

« Nous revivons l’histoire alors que des hologrammes, tels des fantômes du passé, évoluent sous nos yeux »

Des prospectus qui parlent

La particularité de À la recherche du beat répétitif se trouve dans l’utilisation de prospectus. En effet, c’est à travers ces derniers que nous sommes à la fois guidés tout au long de l’expérience et que nous recevons les informations essentielles pour comprendre cette scène illégale. En entrevue avec Daaren Emerson, différentes personnes, notamment des organisateurs de raves de l’époque, nous racontent le processus d’organisations. Leurs visages apparaissent sur les différents prospectus que nous collectionnons au sein de l’aventure. À une époque sans Internet, trouver une rave était une véritable quête en plusieurs parties : de l’attente interminable dans des stationnements vides, jusqu’aux chemins sombres et sinueux en passant par des numéros anonymes à appeler, tout cela se déroulait grâce aux prospectus. Ces objets matériels permettent également au public de créer un lien physique avec les événements qui se déroulent sous leurs yeux.

Nous évoluons alors dans ce qui semble être une science fiction, suivant ces voix qui nous guident dans notre quête. Comme le souligne Emerson durant son entrevue, cette partie de la conception est particulièrement développée. À l’époque, les organisateurs des soirées devaient se rendre dans des bibliothèques afin de trouver des images pour illustrer leurs prospectus. Ils les copiaient et les distribuaient donc dans divers endroits. C’est ce qu’a fait le concepteur en recherchant des archives officielles afin de créer les différents décors et s’assurer du réalisme de l’expérience.

Réalité virtuelle

L’immersion complète, à l’aide des nouvelles technologies, était selon moi entièrement nécessaire à la réalisation d’une telle œuvre. Comme nous le précise dans l’entrevue Emerson, « les documentaires, c’est déjà fait. J’avais envie de revivre mes expériences du passée de façon immersive et réaliste. Être au cœur de l’action permet cela. Ceux qui l’ont vécu me partagent souvent leur nostalgie car ils se sentent réellement transportés. » Cela demande notamment un travail de motion capture afin de recréer des mouvements qui semblent fluides et non robotiques. Pour lui, la création de la rave en réalité virtuelle constitue en elle-même le plus gros défi. « On attend ce moment, on construit un suspense avant l’arrivée à l’entrepôt, et je ne voulais pas que le public soit déçu. Je me suis donc assuré que chaque danseur ait sa propre façon de danser. Surtout, il ne fallait pas que tout le monde soit synchronisé, dans quel cas le réalisme disparaît. » 

Cette expérience, particulièrement excitante, fait renaître les histoires des organisateurs, DJ, policiers et festivaliers. C’est une aventure dans une révolution culturelle qui célèbre la diversité et l’esprit de communauté qu’il faut réellement vivre pour comprendre. 

De la danse aux pleurs 

Encore une fois, les technologies sont utilisées pour réveiller l’histoire oubliée. Noire, réalisée par Stéphane Foenkinos et Pierre-Alain Giraud d’après l’ouvrage de Tania de Montaigne, est un récit puissant sur la vie de Claudette Colvin, femme noire que l’Histoire a oubliée, qui a pourtant participé en grande partie au mouvement des droits civils aux États-Unis. Cette fois ci, nous ne parlons plus de réalité virtuelle, mais de réalité augmentée. Contrairement à la RV, où le casque nous plonge complètement dans un monde numérique, la réalité augmentée superpose des éléments virtuels sur le monde réel que l’utilisateur voit à travers des lunettes HoloLens2. Nous revivons l’histoire alors que des hologrammes, tels des fantômes du passé, évoluent sous nos yeux et que la voix de Tania de Montaigne, nous narre certains passages de son récit sur un Alabama ségrégationniste. 

Pierre Alain-Giraud

Une toute autre experience

Le 2 mars 1955, Claudette Colvin, 15 ans, refuse de céder sa place à un passager blanc, 9 mois avant Rosa Parks. Elle est menacée et insultée, mais malgré cela, elle reste assise et fixe la dame blanche, en signe de rébellion contre une société ségrégationniste. Elle est emprisonnée, mais plaide non coupable face aux juges l’accusant de troubles à l’ordre public, de violation de lois discriminatoires et d’agression des forces de l’ordre. Les deux premières seront abandonnées et elle ne sera jugée et condamnée que pour le motif d’avoir agressé un officier de police. Colvin est encore en vie aujourd’hui, et pourtant, son nom est oublié de tous. Grâce à la réalité augmentée, nous ne sommes plus seulement spectateurs d’un documentaire, mais témoins de cet acte héroïque. Contrairement à la RV, nous sommes libres de nous déplacer dans le décor et d’observer sous les angles de notre choix les évènements qui se déroulent devant nos yeux. Plus qu’un simple souvenir, c’est une rencontre avec le passé et des scènes emblématiques de la lutte pour les droits civils. Nous portons également un casque audio pour une immersion plus complète. Nous entendons l’environnement autour de nous et créons un lien intime avec la narration de Tania de Montaigne, au plus proche de nos oreilles.

Pendant une demi-heure, nous vivons une expérience profondément touchante et personnelle qui nous force à nous éduquer sur le sujet et nous rappelle que l’histoire ne se trouve pas seulement dans les livres scolaires.

Les deux expositions sont disponibles au Centre Phi jusqu’au 28 avril 2024. Attention, les places sont limitées.


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