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Démission des présidentes des universités Harvard et de la Pennyslvanie

Une audition menée par le Congrès américain choque le monde universitaire. 

Rose Chedid

Au cours des derniers mois, deux présidentes influentes de l’Université Harvard et de l’Université de la Pennsylvanie (UPenn) ont démissionné après une audition médiatisée organisée par le Congrès américain. La démission de ces deux rectrices survient dans une foulée de débats concernant la montée de la polarisation sur les campus universitaires, notamment au sujet du conflit armé actuel entre Israël et le Hamas.

Une audience médiatisée

Le 5 décembre dernier a eu lieu une audience au Congrès américain, organisée par les membres du Parti républicain américain au sujet de la montée de l’antisémitisme au sein des campus universitaires, à la suite des événements du 7 octobre entre Israël et le Hamas. Cette initiative a été engendrée afin de déterminer si les universités américaines prenaient les démarches nécessaires pour protéger les étudiants juifs sur leurs campus. Pendant plus de cinq heures, un comité de la Chambre des représentants a interrogé trois présidentes : Claudine Gay de l’Université Harvard, Liz Magill de l’Université de la Pennsylvanie et Sally Kornbluth de l’Institut technologique du Massachusetts. Pendant plus de cinq heures, diverses questions ont alimenté l’échange. Les questions touchaient différents sujets d’actualité, tel que le Palestine Writes Back festival, qui s’est déroulé à UPenn jugé antisémite par certains donateurs de l’Université ainsi qu’une montée des tensions entre les groupes étudiants pro-palestiniens et pro-israéliens.

La polarisation aux États-Unis

Cette interaction entre la politique et le monde académique aux États-Unis s’impose dans un contexte de polarisation grandissante. Interrogé à ce sujet, Brendan Szendro, professeur au programme de sciences politiques de l’Université McGill, a partagé ses réflexions avec Le Délit sur cet événement qui prend d’assaut le monde universitaire depuis des semaines. Il explique que cette audition administrée par le Parti républicain américain est une façon d’utiliser la polarisation actuelle présente dans les campus universitaires en leur faveur : « Ils savent que le moyen le plus simple de jouer avec ces tensions est d’organiser une audience très publique comme celle-ci, lors de laquelle les divisions et la polarisation sont naturellement accentués (tdlr). » Cette audition a suscité l’émoi à travers les États-Unis, en raison de certaines réponses des présidentes de Harvard et UPenn. Une candidate républicaine, Elise Stefanik, a questionné la rectrice d’Harvard, à savoir si « appeler au génocide des juifs violait le règlement sur le harcèlement à Harvard », et la rectrice d’Harvard a répondu que « cela peut [violer le règlement, ndlr] , en fonction du contexte, si c’est dirigé contre un individu ». À la suite de cette réponse, plus de 70 membres de la Chambre des communes des États-Unis et une partie de la population étudiante de Harvard ont appelé à la démission de la présidente de l’Université. Le professeur Szendro analyse cette réponse et les réactions qu’elle a provoquées : « Elle [ la présidente, ndlr ] essayait de donner une réponse qui n’allait pas être considérée comme une prise de position sur les manifestations elles-mêmes, mais ce faisant, elle finit par dire quelque chose qui est, sur papier, très problématique. »

« Lorsque vous faites appel à ces questions de type politique identitaire, ces questions qui polarisent les gens, vous pouvez détourner la conversation d’un plus grand enjeu »

Brendan Szendro, Professeur en sciences politiques 

Une démission sous pression interne

Suite à l’audition du 5 décembre, la présidente Liz Magill de l’Université de la Pennsylvanie et Claudine Gay de l’Université Harvard ont remis leurs démissions, le 9 décembre et le 2 janvier respectivement. Par une certaine partie de la population américaine, les réponses données par Madame Magill et Madame Gay ont été jugées ambigues dans le cadre de la protection des étudiants juifs sur les campus universitaires. La raison officielle de la démission de Madame Gay n’est pourtant pas liée à ses réponses aux questions du 5 décembre dernier, mais plutôt à des « accusations de plagiat dans ses travaux universitaires ». Après ses réponses à l’audition du Congrès américain vivement critiqué, le passé de Madame Gay a été passé au peigne fin par la presse et les membres de la communauté universitaire, académique et politique. Ses accusations d’intégrité académique font référence à des travaux universitaires datant de 1993 et 2017. Après la démission de la présidente Gay, le Conseil d’administration de l’Université Harvard a inspecté ces accusations et a finalement confirmé que « ses travaux de recherche ne violaient pas les standards de l’Université ». À la suite de l’annonce de sa démission, Madame Gay s’est exprimée en soulignant que « lors de l’audience du mois dernier, j’ai négligé la nécessité d’exprimer clairement que les appels au génocide du peuple juif sont odieux et inacceptables, et que [dans le cas d’attaques haineuses] j’ aurais utilisé tous les outils à ma disposition pour protéger les étudiants ».

Interrogé sur l’intervention des acteurs politiques dans l’univers académique américain, le professeur Szendro
explique que selon lui, l’ingérence des institutions politiques, comme le Congrès américain, dans le milieu éducatif n’est pas un réel danger pour le monde académique : « Lorsque vous faites appel à ces questions de type politique identitaire, ces questions qui polarisent les gens, vous pouvez détourner la conversation d’un plus grand enjeu. Ce qui se passe actuellement est davantage un genre de théâtre politique. »

La démission des présidentes de l’Université Harvard et de l’Université de Pennsylvanie a donc soulevé la question de l’ingérence des institutions politiques dans le monde académique. Dans ce cas-ci, l’audition du 5 décembre dernier concernant l’antisémitisme sur les campus universitaires a été un terrain de jeu pour le Parti républicain américain, en recherche des mobilisations a travers cette hausse de polarisation des opinions au sein de la population.


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