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Syndicats et gouvernement Legault : Grèves et nouvelles ententes

Entretien avec le Professeur Barry Eidlin.

Clément Veysset | Le Délit

Du 23 novembre au 29 décembre dernier, plus de 566 000 travailleurs du secteur public sont entrés en grève, perturbant ainsi de façon conséquente le système de santé et le milieu de l’éducation à travers la province. Plusieurs syndicats et fédérations de syndicats dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux ont participé aux grèves. Le plus grand regroupement est celui du Front Commun, composé de quatre centrales syndicates : la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la centrale des Syndicats du Québec (CSQ), la Fédération des Travailleurs et Travailleuses du Québec (FTQ) et l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS). On retrouve également la Fédération autonome de l’Enseignement (FAE), qui compte à elle seule 66 500 enseignants, ainsi que la Fédération Interprofessionnelle de la Santé du Québec (FIQ), rassemblant près de 80 000 travailleurs, deux fédérations qui se sont alliées au mouvement du Front commun durant les derniers mois.

Depuis décembre 2022, les différents syndicats tentent de négocier leurs conventions collectives respectives, c’est-à- dire un contrat avec le patronat établissant les conditions de travail des travailleurs dans le cadre de leur emploi. Les revendications générales des grévistes comprennent une amélioration des conditions salariales et de travail, une plus grande flexibilité des horaires de travail et une amélioration des services publics dans le domaine de l’éducation, de la santé et des services sociaux.

Néanmoins, les négociations n’ont pas avancé à un rythme jugé satisfaisant par les différents acteurs, malgré l’utilisation de nombreux moyens de pression, dont une manifestation qui comptait plus de 100 000 travailleuses et travailleurs du secteur public en septembre dernier. Pour remédier à la lenteur des négociations, les différents syndicats ont choisi l’option de la grève générale, dont cinq jours pour le Front Commun et la grève général illimitée pour d’autres avec un seul objectif : contraindre le Conseil du Trésor de Sonia LeBel (présidente du Conseil du Trésor) à négocier leurs demandes avec urgence.

À la suite de plusieurs semaines de grève, les négociations se sont intensifiées mi-décembre et ont conduit à des hypothèses d’ententes concluantes pour tous les syndicats impliqués. Du côté du Front commun, une augmentation de salaire de 17,4 % sur cinq ans a été conclue, accompagnée d’autres avantages, notamment des améliorations aux régimes de retraite et aux régimes parentaux. De plus, la FAE a mis fin à sa grève générale illimitée à la suite d’un accord de principe, dont les détails n’ont pas encore été révélés.

Interrogé sur les accords conclus entre les syndicats du secteur public et le gouvernement du Québec, Barry Eidlin, professeur au programme de Sociologie de l’Université McGill, a partagé ses réflexions avec Le Délit sur divers aspects de cette grève.

La réaction du gouvernement Legault

Durant les cinq semaines de grève au sein du secteur public québécois, impactant grandement l’éducation des enfants et le domaine de la santé, l’opinion publique, notamment de La part des parents d’élèves, était plutôt favorable à la grève. Syndicats et citoyens se sont alliés pour critiquer la gestion de la grève par le gouvernement Legault, ainsi que la lenteur du processus de négociation avec les différents syndicats. Pour le professeur Eidlin, la forte remise en question de cette gestion de la crise est principalement dû au fait que : « Le gouvernement de la CAQ n’a simplement pas l’habitude de négocier. Ils ont de grandes majorités parlementaires, donc ils vont discuter, prendre vos avis en compte, mais en fin de compte, auront les votes pour passer ce qu’ils veulent. »

Le Professeur Eidlin nous a fait part de l’importance du soutien des citoyens envers le mouvement qui a pris place au cours des dernières semaines. Plus de sept Québécois sur dix soutiennent les travailleurs et travailleuses en grève, selon la maison de sondage SOM. Pour le professeur, une grande partie de la réussite de la grève s’explique par ce support massif : « L’appui du public ne cessait de s’accroître et est plus fort parmi les plus impactés, dont les parents d’enfants d’âge scolaire, et le gouvernement a été obligé de négocier. » Ce soutien massif du public, couplé à la mauvaise gestion de la crise par le gouvernement a donc joué en faveur des grévistes.

« Le gouvernement Legault n’a simplement pas l’habitude de négocier » 

Professeur Barry Eidlin

Les hypothèses d’ententes

La crise s’est conclue par plusieurs hypothèses d’ententes. Depuis le début des négociations entre les syndicats et le gouvernement québécois en décembre 2022, un accord sur les salaires a permis de nettes et concrètes augmentations. Pendant une grande partie de l’année, le Conseil du Trésor a offert une augmentation salariale de 9% dans le secteur public, ce qui, selon le professeur Eidlin, équivaut à une baisse de salaire pour les travailleurs et travailleuses du secteur public, si l’on considère l’inflation qui est de 9% seulement en 2023.

Peu à peu, les négociations ont fait augmenter les salaires de 9% à 12,7%, pour finalement aboutir à une entente sur une augmentation de 17,4 % sur cinq ans en décembre 2023 pour le Front Commun. À ce sujet, le Professeur Eidlin mentionne que même si l’offre salariale présentée a augmenté considérablement, « les demandes initiales des syndicats portaient sur une augmentation salariale de 24% sur 3 ans, donc l’accord conclu représente une réduction significative de leurs exigences ».

S’ajoutant aux augmentations salariales, des améliorations de conditions de travail et des avantages sociaux ont été négociés au sein de l’hypothèse d’entente du Front Commun. On y retrouve une amélioration du régime de retraite, une majoration salariale de 10% pour les psychologues dans le secteur public et des améliorations des régimes parentaux en place. Le Professeur Eidlin renchérit sur ces avancées : « Les détails dans ce cas-ci sont très importants et vont changer beaucoup de choses, car le plus important n’est pas nécessairement l’augmentation salariale, mais les conditions de travail, donc les heures supplémentaires, le personnel supplémentaire, etc., qui font une grande différence pour la qualité de vie des travailleurs. »

« C’est le vote des membres qui décidera si c’est un succès. On ne s’attend pas à gagner tout ce qu’on demande : c’est ça le but d’une négociation »


Professeur Barry Eidlin

Une victoire potentielle pour les syndicats

En date du 7 janvier, le Front commun a annoncé les précisions des accords de son hypothèse d’entente avec le gouvernement québécois. Ces détails ont été révélés afin d’informer les membres des plus de 300 syndicats respectifs, qui auront à leur tour, la chance de faire part de leurs opinions sur leurs ententes, lors d’assemblées générales organisées.

Lorsque nous lui avons demandé si ces accords peuvent être considérés comme une victoire pour les syndicats, le Professeur Eidlin nous répond que « c’est le vote des membres qui décidera si c’est un succès. On ne s’attend pas à gagner tout ce qu’on demande : c’est ça le but d’une négociation ».

Les membres des syndicats du Front commun seront appelés à voter d’ici le 15 janvier sur les hypothèses d’ententes conclues fin décembre avec le Conseil du Trésor.


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