C’est au cours de la matinée du mardi 31 octobre que Le Délit fut invité à visiter le nouveau bâtiment de l’Office National du Film (ONF) dans l’arrondissement de Saint-Laurent. Après des décennies d’activité depuis le chemin de la Côte-de-Liesse, l’ONF s’était lancé en 2019 dans un long processus de déménagement vers deux nouveaux bâtiments. Le premier, « l’Îlot Balmoral », situé sur la Place des Arts, est maintenant le lieu de gestion et production de projets en cours et à venir pour l’ONF (environ 45 films par année). Le second bâtiment s’intéresse plutôt au passé de l’Office : c’est un lieu de conservation et de restauration. Situé à Saint-Laurent, ce bâtiment restera fermé au public pour l’instant.
L’ONF au fil du temps
Montréal occupe une place importante dans l’histoire de l’ONF. La métropole québécoise est rapidement devenue le siège d’un des huit studios de production de l’Office à travers le Canada, ayant vu le jour dans une ancienne scierie d’Ottawa il y a 84 ans. C’est aussi à Montréal qu’ont émergé plusieurs des plus grands noms de l’ONF, comme Michel Brault et Pierre Perrault. Pourtant, ce n’est pas uniquement par ses artistes que l’Office s’est taillée une place dans l’histoire du cinéma. Au cours des années, l’ONF a participé à l’avancée technologique du cinéma (une part de crédit est due à ses technicien·ne·s pour le développement des caméras IMAX). C’est d’ailleurs pour cette contribution soutenue aux technologies du cinéma que l’ONF s’est vu décerner un Oscar honorifique en 1988.
« Permettre aux Canadien·ne·s de cultures différentes d’avoir une visibilité à l’échelle nationale et internationale ; là est le projet fondateur de l’ONF »
Une collection colossale à l’entretien exigeant
La statuette d’or est loin d’être la relique la plus impressionnante qu’il est possible de trouver dans ce bâtiment de l’ONF à Saint-Laurent. Entouré d’une troupe de journalistes cinéphiles excité·e·s, Le Délit y fut accueilli avec cordialité par une dizaine d’expert·e·s responsables de l’entretien de l’énorme collection détenue par l’ONF. Cette collection consiste en 14 000 films, dont 6 500 ont déjà été numérisés, et dont certains sont accessibles en ligne. Ces courts et longs-métrages ne représentent pourtant qu’une « pointe de l’iceberg », puisque l’ONF détient jusqu’à 80 000 plans d’archives, dont 50 000 sont disponibles sur le site d’archives de l’ONF. Une bonne partie de ces plans d’archives sont des « stock shots » ; des éléments inutilisés provenant d’anciennes productions, permettant d’établir une archéologie des étapes et états de la création d’un film.
Les employé·e·s de l’ONF ont souligné le lot de défis accompagnant la conservation d’une aussi imposante collection. Selon ceux·celles-ci, dans de mauvaises conditions, une bobine de 250 pieds d’acétate peut se dégrader, et dégager jusqu’à une vingtaine de cuillères à thé d’acide acétique ; ce qu’on appelle le « syndrome du vinaigre ». Pour prévenir cette forme de dégradation, les bobines entretenues font le sujet de suivis et de tests d’acidité, constamment maintenues à une humidité et température optimales. Les bobines sont entreposées dans des boîtiers non-hermétiques, conçus avec un relief leur permettant d’être aérées. Les mesures prises pour assurer la sécurité de l’inventaire vont jusqu’à la création de doubles de chaque film dans un format différent, qui sont envoyés dans d’autres villes en cas d’accident grave. Une précaution nécessaire quand il est question, comme dans plusieurs cas, de la dernière copie existante d’une relique du cinéma québécois ! Des efforts sont déployés au bâtiment de Saint-Laurent pour restaurer environ 120 films québécois par année, dans l’objectif de rendre disponible aux futures générations canadiennes tout le patrimoine cinématographique possible. Ce patrimoine, c’est une collection de plans d’archives remontant jusqu’aux années 1890 et dont le plus vieux film date de 1919.
Un artisan du nouveau cinéma
Ce travail de conservation du passé contribue pourtant aussi à des productions actuelles : il arrive souvent que l’ONF reçoive une demande d’utilisation d’un de ses plans d’archives ou d’un extrait de film, ce qui nécessite parfois un travail de restauration. Dans des cas plus particuliers, l’ONF est invité à collaborer à des projets s’enracinant dans d’autres pays. C’est ce qui est arrivé lorsqu’il a participé à la création du film The Forbidden Reel, un documentaire du cinéaste canado-afghan Ariel Nasr, qui raconte les efforts des résistants face aux talibans pour cacher et protéger des films en Afghanistan. Ce projet, disponible sur le site de l’ONF, a été possible grâce aux ressources de l’Office, qui a pu créer un cadre dans lequel il est possible de restaurer ces films et en extraire des segments pour les transformer en un documentaire leur faisant honneur. Les expert·e·s de l’ONF racontent qu’en recevant les acétates afghans survivants, ils ont été étonné·e·s de constater que malgré le climat sec et difficile du pays, les bobines étaient restées en bon état. Dans un travail où l’humidité et la température jouent un rôle crucial, cette anecdote souligne en quoi la préservation de films fonctionne différemment d’un climat à l’autre.
« Cette collection consiste en 14 000 films, dont 6 500 ont déjà été numérisés »
Un long processus légal est nécessaire pour distribuer la version numérisée d’un film appartenant à l’ONF. Une fois les droits accordés, si aucune loi d’archivage ou de la société concernée n’a entravé le processus, le film peut apparaître sur le site de l’ONF (un service de streaming rendu disponible depuis 2009). La Cinérobothèque, ce bâtiment du Quartier latin fermé depuis une quinzaine d’années, a précédé la création du site innovateur de l’ONF. Autrefois ouvert à tous, cet endroit permettait à ses visiteur·euse·s de parcourir et de visionner une sélection de films de l’ONF.
Disponibles gratuitement, sinon avec un abonnement ou par paiement sur le site de l’ONF, plusieurs films sont enseignés dans des cours de l’Université McGill, entre autres. C’est le cas du cours de cinéma québécois (FREN 315), donné chaque hiver par le Département de littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC), qui inclut dans son plan de cours une sélection de classiques québécois disponibles gratuitement sur le site. Permettre aux Canadien·ne·s de cultures différentes d’avoir une visibilité à l’échelle nationale et internationale ; là est le projet fondateur de l’ONF. Avec un premier bâtiment grouillant de nouvelles productions, et un second remettant en lumière plus d’une centaine d’œuvres chaque année, tout semble signaler que ce projet a survécu au cœur de l’ONF, alors qu’il s’apprête à célébrer ses 85 ans.