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« Liberté aux prisonniers de guerre ! »

Un groupe de manifestants ukrainiens dénonce les crimes de guerres de la Russie.

Svitlana Chalova (Lana)

Dimanche 5 novembre dernier, Mariia Zaborovska et Vira Seletska, deux Ukrainiennes habitant à Montréal, ont lancé un appel à la manifestation à partir du groupe Instagram @silentprotest_mtl_ua. Une trentaine de personnes ont répondu à l’appel. Réunis aux alentours de midi devant le consulat général de la fédération de Russie, les manifestants ont brandi devant le consulat des pancartes sur lesquelles il était inscrit « La Russie est un État terroriste, tdlr », « Liberté aux prisonniers de guerre » ou encore « Arrêtez les tortures ».

Dans une entrevue avec Le Délit Mariia Zaborovska explique que cette manifestation était une contestation de l’invasion russe, mais que son but était plus particulièrement de dénoncer les crimes de guerre commis par la Russie à l’encontre des prisonniers ukrainiens. En effet, depuis le début de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, la communauté internationale, dont le Rapporteur spécial sur la torture aux Nations Unies, ont fait part de leurs inquiétudes quant au traitement des prisonniers de guerre ukrainiens détenus en Russie. Le groupe de manifestants a en particulier dénoncé les crimes de torture et de sous-alimentation, en affirmant notamment que « neuf prisonniers ukrainiens libérés sur dix ont subi de la torture ». Toutefois, on note que l’utilisation de la torture à l’encontre des prisonniers ukrainiens n’a pas pu être vérifiée par les Nations Unies, sachant que la Russie leur a refusé l’autorisation d’inspecter ses prisons. La connaissance de telles pratiques repose donc sur les témoignages de prisonniers libérés.

Par la suite, le groupe de manifestants a commencé à marcher à travers le centre-ville, pour finalement arriver au Square Phillips, aux abords de la rue Sainte-Catherine. Une fois à destination, 15 membres du groupe ont ôté leurs manteaux, pour laisser place à des chandails blancs, chacun arborant au dos une lettre. Une fois les manifestants alignés, le public pouvait lire sur leurs dos : « Ils sont torturés. »

Sortir du silence

Depuis le début de la guerre, le groupe a organisé des protestations silencieuses pour soutenir l’Ukraine et dénoncer l’agression russe dont elle est victime. Depuis maintenant 20 mois, le groupe a organisé et a appelé à participer aux courses de solidarité comme « Run for Ukraine », qui a tenu des stands de récolte de dons, et a réalisé des sit-in dans les espaces publics de Montréal. Mariia Zaborovska explique : « Depuis avril, nous organisons des manifestations silencieuses pour sensibiliser les gens ; on essaye d’utiliser des moyens adaptés aux besoins. » Force est de constater que « la couverture médiatique du conflit en Ukraine diminue » face aux nouveaux événements d’actualité, comme la récente escalade du conflit entre Israël et le Hamas, qui depuis un mois occupe une place majeure dans l’actualité. Mariia affirme que c’est pour tenter de pallier cette diminution de couverture médiatique que cette fois-ci, ils ont décidé de faire une manifestation d’envergure et « définitivement pas silencieuse ».

« C’est [la couverture médiatique qui diminue, ndlr] un des plus gros défis auxquels nous devons faire face. Le monde est en feu et je comprends cela […] En tant qu’Ukrainiens, c’est notre devoir premier de parler, d’organiser des manifestations, et de sensibiliser les gens […] Notre but est simplement d’inciter les gens à s’informer, à faire des recherches pour rester au courant de ce qui se passe en Ukraine actuellement. On veut pousser les gens à aller voir ce qui se passe et ce qui est écrit dans les journaux comme CNN ou le New York Times. Si après nous avoir vus dans la rue les gens font cela, ça nous suffit amplement. On veut juste rappeler aux gens que ce conflit existe encore. »

Une baisse du support international ?

Le 10 octobre dernier, 3 jours après le début de l’escalade entre Israël et le Hamas, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a fait part, au cours d’un entretien télévisé pour la chaîne française France 2, de sa crainte vis-à-vis d’une potentielle baisse du soutien international envers l’Ukraine. En effet, alors que la guerre se poursuit, d’autres conflits ont éclaté depuis février 2022, et les pays soutenant l’Ukraine ont d’autres préoccupations stratégiques et financières. Les États-Unis et l’Union européenne, qui constituent les principaux soutiens à l’Ukraine depuis le début de la guerre, se retrouvent désormais fortement impliqués dans deux conflits à durée relativement indéterminée.Alors que Biden affirmait encore le 1er octobre que le soutien à l’Ukraine ne s’affaiblissait pas, la question se pose désormais, étant donné des divisions récentes au sein du Congrès américain. Mariia rappelle néanmoins que « donner du soutien à l’Ukraine ce n’est pas faire de la charité, ni une cause émotionnelle. Si l’Ukraine est vaincue aujourd’hui, qu’adviendra-t-il des pays baltiques ? Que va t‑il arriver à la Pologne ? Ces pays sont aussi en danger. Aider l’Ukraine c’est donc plutôt un moyen de prévenir de futures attaques de la Russie. […] Soutenir l’Ukraine n’est pas uniquement lui fournir de l’aide, mais c’est faire barrière et aider l’ensemble des pays qui sont et seront potentiellement à risque ».

En abordant le sujet d’un affaiblissement de l’aide internationale pour l’Ukraine, Mariia a surtout souhaité notifier l’enjeu de futures élections dans le monde entier : la récente élection du parti pro-russe Smer-SD en Slovaquie montre que l’opinion publique occidentale sur la guerre en Ukraine n’est ni unanime, ni intemporelle. Mariia affirme donc que « notre destin est entre les mains de ces pouvoirs qui changent en Europe et aux États-Unis ».

Touchés, malgré la distance 

Selon Mariia, 95% des gens présents à la manifestation étaient Ukrainiens. Elle affirme que malgré la distance, les gens sont touchés par la guerre, que ce soit indirectement ou directement. Mariia nous a expliqué que « la première année, c’est comme si l’une de mes moitiés était en Ukraine et l’autre était ici, à Montréal. C’était très dur et troublant de voir la vie normale ici, tout en sachant qu’il y a la guerre à la maison [en Ukraine, ndlr] […] Maintenant les choses sont plus stables, on doit vivre et éduquer nos enfants. Mais il faut qu’on aide le pays comme on peut, justement en faisant des manifestations et des collectes de dons. Ici [dans le groupe, ndlr] par exemple, chacun donne dès qu’il peut ». Depuis le début de la guerre, le groupe récolte des dons à travers ses activités et manifestations. Pour cette manifestation, le groupe a décidé de soutenir une fondation qui soutient les femmes de combattants morts, ou faits prisonniers au cours de la guerre. « Ces personnes n’ont pas simplement perdu quelqu’un de cher, elles ont aussi (souvent) perdu la personne qui pourvoit à leurs besoins ».

Retrouvez plus d’informations sur le compte Instagram @silentprotest_mtl_ua, ainsi que plus de photos à propos de l’action sur le compte instagram de Lana : @lanasvitphoto_mtl.


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