Aller au contenu

Les poils : silence ça pousse !

L’égalité de genre, à un poil près.

Margaux Thomas | Le Délit

On parle de pousse, de repousse, de trimming your bush, de jardin secret, de jungle…Un vocabulaire finalement très fleuri pour parler des poils pubiens, de pilosité sur les jambes et sous les aisselles. Pourquoi le poil féminin est-il si tabou ? Et comment faire pour le déconstruire quand tout semble nous indiquer que ces poils n’ont rien à faire sur le corps des femmes ?

Parmi mes amies, l’épilation est considérée comme un rituel ennuyeux, ardu, souvent douloureux, mais nécessaire. La plupart se force à s’enlever les poils des jambes avant d’enfiler une jupe ou un short, et rechigne à l’idée de porter un maillot de bain sans se raser ni épiler la ligne du bikini. L’épilation est considérée comme essentielle pour certaines, à un point tel qu’elles refusent de participer à des activités quotidiennes, telles que faire du sport ou aller à un rendez-vous, si elles n’ont pas prêté attention à l’épilation de leur corps. Entre dégoût, désir, tabou et interdits, le poil est d’abord une affaire d’identité et de pouvoir.

L’Histoire du poil

Des statues de la Grèce Antique aux peintures de la Vénus de Botticelli, l’art a toujours eu tendance à représenter les corps féminins imberbes. La mode, en exposant les corps plus dénués, a suscité de nouvelles injonctions. En 1915, la marque Gillette sort son premier rasoir pour femmes, The Woman’s Gift, et les magazines de mode, les publicités, les mannequins et leurs aisselles lisses, ont contribué petit à petit au diktat de ce standard de beauté. Les femmes « ordinaires » ne s’épilaient pas toutes encore, jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale crée une pénurie de nylons et de bas, obligeant les Américaines à sortir les jambes nues et à se raser de manière systématique. L’apparition du bikini a également initié une tendance à l’épilation du maillot.

Cette transformation des normes de beauté féminines sest produite de manière descendante en Occident, avec des décisions prises au plus haut niveau et communiquée au reste de la population. Les normes changent en fonction de ce que les gens considèrent de beau ou laid, de propre ou sale. Depuis quand les poils ne sont pas hygiéniques ? Au contraire, les scientifiques considèrent la pilosité comme un mécanisme de protection des muqueuses génitales contre les risques d’infection.

Pour revenir à l’histoire du poil, ce n’est qu’après la Covid-19, que de nombreuses femmes ont délaissé le rasoir et l’épilateur. L’Institut français d’opinion public (IFOP) a révélé qu’en 2021, plus d’un tiers des femmes de moins de 25 ans ont déclaré s’épiler « moins souvent qu’avant le premier confinement ». Celles qui ont franchi le pas parlent de « liberté », d’« un gain de temps et d’argent ! » ; « moins de douleur ». C’est le cas de Pénélope* qui a ressenti une réappropriation de son corps après s’être laissée pousser les poils sur les jambes et sous les aisselles. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

C’est chiant, mais bon…

Près de 73% des femmes en France estiment qu’il est important qu’une femme s’épile pour être séduisante, et nombreuses sont celles qui font part d’un malaise à la vue de certaines formes de pilosité. Ève, 23 ans, dit avoir commencé à se raser vers 16 ans, dès qu’elle a commencé à avoir des relations sexuelles : « Avec la pression des réseaux sociaux, je me suis dit, “ça enlève de mon charme ces petits poils”. » En effet, pour beaucoup, il s’agit d’un choix esthétique. C’est chiant, ça fait mal – la repousse, quand on se coupe sans faire exprès, l’épilation, suivie de ses cris de douleurs – mais bon, c’est nécessaire et puis on s’y habitue n’est-ce pas ? Pour Hortense, 20 ans, l’épilation est presque une évidence : « Je ne me suis jamais posé la question. Je ne sors jamais sans mascara, et bien pour les poils c’est pareil. » Elle qui fait de la danse classique, un milieu où les poils sont interdits, elle dit se sentir plus féminine épilée, car elle l’associe à la beauté de manière générale. À titre personnel, Hortense dit s’imposer ce diktat car elle trouve cela plus esthétique. Elle ajoute néanmoins qu’elle « s’en fiche de ce que font les autres, chacune fait ce qu’elle veut ». En effet, on est conscientes aujourd’hui que personne n’est obligé de s’épiler. Mais est-ce qu’un corps sans poils est véritablement un choix personnel, esthétique ? 

C’est ton choix, vraiment ? 

L’assertion « chacune son choix » empêche la réflexion. Tu te rases « pour toi », mais pourquoi ? Parce que tu trouves ça plus joli ? Mais pourquoi ce serait plus joli ? Est-ce que ce sont vraiment tes goûts personnels ou est-ce intrinsèquement biaisé par les goûts que la société t’a imposés ? La masculinité du poil et la normalité du corps féminin glabre sont des modalités de la socialisation corporelle. Ces normes patriarcales et coercitives sont construites, appliquées, et acceptées. La honte de ses poils pubiens fait son apparition lors des relations sexuelles, mais aussi dans les cabinets gynécologiques, à la plage ou encore chez les sportifs de haut niveau. Ève dit avoir ressenti de la joie après être allée chez l’esthéticienne – malgré la douleur – « parce que j’allais à la plage, donc je me sentais plus à l’aise de me mettre en maillot de bain ». Ce sentiment de soi-disant confort d’être épilée provient selon elle d’une peur d’être jugée par quelqu’un l’observant. Lorsque l’on est rasée, personne ne nous juge, étant donné que cela est conforme aux normes, ce qui devient réconfortant. 

« Entre dégoût, désir, tabou et interdits, le poil est d’abord une affaire d’identité et de pouvoir. »

L’épilation intégrale est également intimement liée à l’infantilisation du corps féminin. Inspiré du porno, le rasage total du pubis et des lèvres s’est malheureusement installé dans les mœurs et est devenu une mode. 

De plus, il semblerait qu’encore aujourd’hui, la femme doit être parfaite pour monsieur. Ève a demandé en 2021 à son copain de l’époque : « Est ce que les poils sous les aisselles te dérangent ? » Elle dit également ne pas avoir été surprise lorsqu’il lui a répondu que « ce n’était pas dérangeant en soi, mais que c’est l’hygiène, ça ne sent pas forcément très bon. » Sauf que pourquoi exiger cette « hygiène » de la part des femmes alors que les poils masculins sont universellement acceptés ?

Toutefois, les hommes ne sont pas les seuls à mépriser les corps féminins au naturel. Nos sœurs, nos mères, nos grands-mères sont souvent les premières à nous faire des commentaires sur ce qu’on doit faire ou ne pas faire avec nos poils. « Le poil est une affaire bizarrement familiale, voire communautaire, les gens s’insèrent, donnent leur avis », dit Ève. Dès le collège, les mères de certaines de mes camarades prenaient rendez-vous pour leur fille chez l’esthéticienne, à 14 ans. Selon une étude de Dove, six femmes sur dix admettent juger les autres femmes sur leur pilosité aux aisselles.

Déconstruction du diktat corporel

Non, les poils ne sont pas sales, la pilosité féminine n’empeste pas plus que celles des hommes. Non, une femme qui refuse de s’épiler n’est pas une « féminazi ». Oui, on peut être poilue et séduisante. Juger les femmes qui vivent avec leurs poils librement, c’est les empêcher d’être une partie d’elles-mêmes.

​​Ce diktat a aussi un prix. Les prix des esthéticiennes sont exorbitants, et les rasoirs roses « pour femmes » sont plus chers que les rasoirs « pour hommes ». Le capitalisme a encore frappé, mais cette fois-ci sur le marketing de la honte, où les multinationales se font des millions sur les crèmes dépilatoires, les bandes de cires, les rasoirs et toutes les nouvelles machines qui existent pour parvenir à lisser nos peaux. Ce marché maintient les femmes dans une situation d’insécurité et de subordination. Et présenter le poil comme objet de dégoût ravive une haine du corps féminin, qui n’est malheureusement pas toute neuve.

Les avancées vers un avenir plus poilu
En 1999 déjà – ou seulement – Julia Roberts défilait sur les tapis rouges avec des aisselles naturellement poilues. Toutefois, le chemin vers la démocratisation du poil est encore long et les initiatives de militantisme restent nécessaires. La marque Dove a ainsi récemment lancé la campagne #freethepits pour encourager la confiance des femmes en leurs aisselles poilues lors de la Fashion Week de New York. Au-delà du besoin d’en parler, l’image a un rôle transcendant dans l’éradication du tabou autour de la pilosité. Plus on verra des corps féminins poilus sur les panneaux d’affichage de Times Square ou dans les métros, plus on acceptera nos propres pousses. Le mouvement Maipoils créé par la comédienne canadienne Paméla Dumont, invite également à laisser tomber le rasoir et la cire pendant le mois de mai, ce qui est déjà un début. Des chiffres récents issus d’une étude de Mintel ont révélé que le pourcentage de jeunes femmes âgées de 18 à 24 ans se rasant les poils des aisselles est passé de 95% en 2013 à 77% en 2016. Pour moins se sentir seule dans l’acceptation de sa pilosité, le compte Instagram @payetonpoil rend disponible des témoignages de sexisme pilophobe, avec pour but de défier le statu quo en matière de beauté. Alors, cette nouvelle prise de conscience permettra-t-elle de mettre fin à des siècles d’intolérance envers la pilosité ?

*Prénom fictif


Dans la même édition