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Orlando, une utopie politique intemporelle

Le documentaire de Paul B. Preciado critique les dichotomies en mêlant fiction et réalité.

Victor Zebo | Le Délit

En 1928, Virginia Woolf publie Orlando : une biographie, récit d’une transition de genre, réalisée en quelques jours de sommeil et à travers les siècles de royauté anglaise. La métamorphose d’Orlando ne fait pas seulement écho à l’histoire de la partenaire de Virginia Woolf, Vita Sackville-West ; elle est celle des personnes trans, comme Paul B. Preciado, qui reprend le texte de Woolf pour en faire un documentaire expérimental. C’est ainsi qu’Orlando : ma biographie politique, a été présenté au Festival du Nouveau Cinéma, début octobre. L’écrivain et philosophe choisit le médium cinématographique pour raconter la transition de genre au 21ème siècle, liant ses textes et les témoignages de personnes trans et non-binaires, racontant l’histoire des héritiers et héritières de l’Orlando de Virginia Woolf.

Une fluidité ontologique

Paul B. Preciado est un homme trans, auteur de Testo junkie : sexe, drogue et biopolitique, dans lequel il décrit sa transition à travers la prise de testostérone, tout en posant un regard critique sur une société binaire, divisée entre homme et femme, homo et hétéro, et construite par le système pharmaceutique qui reproduit ces dichotomies grâce au contrôle des corps. Dans son long-métrage, Preciado réussit à rendre cette critique accessible à travers les décors et les témoignages, les scènes chez le psy, les balades en forêt. La nature n’est pas opposée à la culture, tout comme l’animal n’est pas l’antithèse de l’humain. Le chien qui porte une fraise est filmé à la même hauteur que les autres personnages. Poursuivant sa critique des dichotomies, Preciado floute la frontière entre le collectif et l’individuel. Les acteur·rice·s s’enchaînent, portent le même prénom, racontent l’intime, qui devient aussitôt une expérience de lutte politique partagée, face à une administration qui gouverne les corps. Le cinéaste y oppose une fluidité ontologique, qui permet d’adopter une position politique refusant ces hiérarchies institutionnelles banalisées.

« Le documentaire n’en est pas vraiment un, c’est un film composé de témoignages et de scènes de théâtre, de danse et de larmes, entre vécus réels et aspirations utopiques »

Entre fiction et réalité

Preciado vient aussi bouleverser la distinction entre fiction et réalité dans le long-métrage. La forme même du film alterne entre les témoignages et la lecture d’Orlando : une biographie. Le titre est clair : la fiction de vient un outil politique adapté au présent et à la défense des personnes trans, dont les droits sont encore trop souvent bafoués par un régime administratif trop rigide et oppressant. On comprend les questionnements, les injustices, la joie sur fond de chanson rock : mort au monde pharmacopornographique, mort à la binarité. Le processus de tournage est mis en abîme dans le documentaire. On y voit la fabrication de la fiction. Laquelle ? Celle du film, comme celle du monde dans lequel nous vivons. Les genres se confondent, les catégories disparaissent ; le documentaire n’en est pas vraiment un, c’est un film composé de témoignages et de scènes de théâtre, de danse et de larmes, entre vécus réels et aspirations utopiques. C’est une thèse fabriquée à partir de faits et d’émotions, de références queers.

Quand les lumières se sont rallumées, la salle a applaudi. Nous avions tous·tes beaucoup ri, beaucoup pleuré, les joues finissaient de sécher. Les Orlandos de Tio’Tia:ke se sont levé·e·s, se sont regardé·e·s, se sont souri·e·s. Le film de Preciado restera pour nous comme la promesse d’une politique où le genre n’est plus assigné à la naissance. 


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