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« On vous ment ! »

Les Mères mohawks donnent une conférence à McGill et le procès avance.

Margaux Thomas | Le Délit

Invité par l’Association des étudiants en anthropologie le 26 octobre dernier, le collectif des Mères mohawks (Kanien’keha:ka Kahnistensera) a tenu une conférence dans un amphithéâtre de McGill. La conférence nommée « On vous ment ! » avait pour but d’informer les mcgillois sur le projet du Nouveau Vic, qui prend place sur un espace suspecté de contenir des tombes non marquées d’enfants autochtones. Ces derniers auraient subi les expériences scientifiques du programme MK-Ultra au cours des années 1950. Lors de la conférence, les Mères mohawks ont dit vouloir « rétablir la vérité (tdlr) » sur la responsabilité de McGill et de la Société Québécoise des Infrastructures (SQI) – organisations avec lesquelles le collectif est encore actuellement en procès – dans des travaux archéologiques qu’elles qualifient d’« inacceptables ».

Une conférence pour rétablir la vérité ?

Lors de la conférence, les femmes autochtones, accompagné de l’anthropologue Philippe Blouin et d’une des personnes représentant les moniteurs culturels (qui sont présents sur le site du Nouveau Vic lors des travaux) sont revenus sur l’histoire des travaux au Nouveau Vic ainsi que sur la bataille juridique qu’ils mènent depuis plus d’un an contre McGill et la SQI. En s’adressant aux étudiants de McGill, Kwetiio, une des Mères mohawks, a déclaré : « Vous ne voyez que ce qu’ils veulent que vous voyiez, pas ce qui se passe vraiment. » Ces dernières ont dit vouloir répondre aux informations publiées dans les courriels officiels du vice-principal exécutif de McGill, Christopher Manfredi. Dans un courriel adressé à l’ensemble de la communauté mcgilloise, l’Université a affirmé qu’ « aucune trace de la présence de sépultures anonymes n’a été décelée », une affirmation démentie par le comité des Mères mohawks. Dans une publication Instagram sur le compte de l’Association des étudiants en anthropologie, ces derniers affichent leur soutien pour les Mères mohawks et s’adressent aux étudiants de McGill en affirmant : « Nous vous exhortons à faire de même. » La conférence a donc eu lieu dans un bâtiment de McGill réservé pour l’occasion par l’Association des étudiants en anthropologie, indépendante de l’administration de McGill. Contactée par Le Délit pour leur avis sur cette conférence, l’Université n’a pas répondu à nos sollicitations.

« McGill et la SQI ont interprété ce document et les données archéologiques dans leur propre intérêt »

Philippe Blouin, anthropologue et orateur à la conférence

Un soutien palestinien

Sachant que la conférence a eu lieu le même jour que le rassemblement pro-palestinien sur le campus de McGill, les deux mouvements se sont rejoints. Juste après la conférence, les organisateurs et orateurs de ce rassemblement ont invité les Mères mohawks à s’exprimer devant les participants du rassemblement. Kwetiio et sa mère, toutes les deux membres du comité des Mères mohawks, ont fait entendre la cause menée par les populations autochtones, faisant un lien avec la cause palestinienne : « Nos terres sont violées et c’est inacceptable. C’est pour cela que nous sommes là, pour nos terres. »

Des avancées dans le procès

Au mois de septembre, les Mères mohawks avaient déjà eu une audience mais avaient perdu le procès par manque de preuve. Deux jours après la conférence, le vendredi 27 octobre, les Mères mohawks ont assisté à une deuxième audience devant le palais de justice de Montréal. Grâce à cette dernière, le procès contre les promoteurs du projet Nouveau Vic – soit McGill et le gouvernement du Québec – a pu se poursuivre. Le but des Mères mohawks est de retarder les futurs travaux de l’ancien Hôpital Royal Victoria jusqu’à ce qu’une enquête archéologique plus approfondie soit menée. Ceci permettrait de sauvegarder toute preuve potentielle – encore cachée dans la terre – de tombes anonymes. Une des priorités du groupe autochtone est de garantir que les protocoles de Kaianere’kó:was (la Grande Loi de la Paix) soient respectés et compris lors du procès.

« Vous ne voyez que ce qu’ils veulent que vous voyiez, pas ce qui se passe vraiment »

Kwetiio, une des Mères mohawks

Les Mères mohawks affirment avec conviction que McGill et la SQI ne respectent pas les termes de l’accord conclu en avril. Malgré le fait que McGill et la SQI soient engagés à mener une enquête qui serait co-dirigée par les autochtones, les Mères mohawks estiment que cet engagement a été bafoué. Lors de l’audience, la SQI a de son côté soutenu fermement qu’elle s’est conformée à l’accord et accuse les Mères mohawks de tenter de modifier ce dernier. Le point de discorde majeur réside dans la clause 17 de l’accord, qui concerne les « découvertes inattendues » et stipule que dans de tels cas, un comité doit être convoqué. Philippe Blouin, anthropologue et l’un des orateurs de la conférence, considère qu’il y a beaucoup de zones grises dans cet accord : « McGill et la SQI ont interprété ce document et les données archéologiques dans leur propre intérêt. » Une des personnes faisant partie des moniteurs culturels a mentionné le passé des terres sur lesquelles reposent le projet du Nouveau Vic, y compris les horreurs du projet MK-Ultra, et affirme que McGill et le gouvernement québécois « s’entêtent toujours et ne collaborent pas ».

De son côté, la SQI argumente que la seule interprétation plausible d’une découverte inattendue serait la découverte de corps, bien que cette spécification ne figure pas dans l’accord. En revanche, les Mères mohawks soutiennent que la détection par des chiens renifleurs constitue une « découverte inattendue ». Une étude de 2021, présentée lors de l’audience par les Mères mohawks, a révélé que lorsqu’au moins deux chiens renifleurs détectent les mêmes odeurs au même endroit, la probabilité d’un faux positif est inférieure à 0,06%. Cependant, McGill et la SQI rejettent catégoriquement ces résultats, présentant des chiffres divergents, provenant d’une étude datant de 2011. Cette pluralité de sources qui se présente comme expertes complexifie la situation.


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