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La hausse des frais de scolarité est-elle discriminatoire ?

Jade Lê | Le Délit

Le 25 octobre dernier, une assemblée générale organisée par le regroupement blue fall protest et les affaires externes de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) avait pour but de former un front commun contre la récente hausse des frais de scolarité pour les étudiants hors province. « Payer pour l’éducation supérieure est déjà un problème, et la récente décision du gouvernement aggrave ce problème, empêchant les classes plus défavorisées d’accéder à l’éducation (tdlr) », s’est ainsi exprimé un étudiant lors de l’assemblée. Une telle mesure diminuera-t-elle l’attrait de McGill pour les étudiants venus d’ailleurs ? Le parti politique Coalition Avenir Québec (CAQ) s’y prend-il de la bonne manière pour rééquilibrer le réseau universitaire francophone ?

Les frais de scolarité des étudiants internationaux, qui varient entre 20 000$ et 65 000$ par an à McGill, sont extrêmement déréglementés en comparaison à ceux déboursés par les étudiants québécois, tournant plutôt autour de 3 000$ par année. Une forme de statu quo se maintient donc pour les étudiants internationaux, alors que le tarif minimal qui leur est imposé, établi à 20 000$ par la CAQ, est plus bas que les tarifs déjà demandés dans une vaste majorité de programmes.

Or, les étudiants du reste du Canada payaient jusqu’à maintenant un peu moins de 9 000$ par an pour étudier dans l’une des trois universités anglophones du Québec – McGill, Concordia et Bishop’s. Ils devront désormais débourser 17 000$ par an. Ce sont donc ces étudiants qui seront principalement impactés par cette hausse des frais de scolarité dès l’automne 2024, s’ils souhaitent entamer leurs études dans une université anglophone du Québec.

L’enjeu pour la CAQ, c’est que la plupart de ces étudiants ne restent pas dans la province après leurs études. Ils bénéficient de frais de scolarité avantageux à McGill sans pour autant contribuer sur le long terme à la société québécoise. 20 598 des étudiants internationaux au Québec étaient inscrits en 2022 dans l’une des trois universités anglophones, contre 33 723 dans les 16 universités francophones. Pour beaucoup de ces étudiants canadiens, leur passage au Québec se limite à une bulle anglophone, un mode de vie unilingue qui ne nécessite pas d’effort de francisation pour s’intégrer dans une métropole bilingue.

Si le gouvernement veut réellement protéger la langue française, ses efforts devraient surtout être orientés vers la rétention et la francisation des étudiants canadiens plutôt que de rendre les universités anglophones moins attrayantes d’un point de vue financier. L’impact de la demi-mesure employée par la CAQ pour protéger le français aura surtout pour effet de décourager les étudiants du reste du Canada de faire l’expérience du mode de vie montréalais et bien souvent d’apprendre le français.

On peut s’inquiéter de l’impact d’une telle mesure – non modulée en fonction de chaque université – sur la qualité de l’enseignement de Concordia ou Bishop’s, qui ne disposent pas des mêmes moyens financiers et du rayonnement international de McGill. À titre d’exemple, Bishop’s est une petite université anglophone d’un peu moins de 2 800 étudiants, au sein desquels près de 30% des étudiants proviennent des autres provinces canadiennes. La mesure du gouvernement pourrait donc diminuer significativement la qualité de l’enseignement et des recherches qui y sont proposées dans les prochaines années, alors que les répercussions pourraient être plus facilement absorbées par la réputation internationale et les ressources financières dont jouit déjà McGill.

Le débat sur les frais de scolarité, loin de se réduire aux financements accordés aux universités anglophones et francophones, remet à l’avant-plan la question de l’identité culturelle québécoise. Veut-on prêcher en faveur d’un protectionnisme linguistique ou d’une ouverture à la culture anglophone ? La situation sociolinguistique diversifiée pourrait souffrir de ne plus recevoir assez d’étudiants d’ailleurs.

Veut-on restreindre l’usage de l’anglais ou plutôt favoriser un profil linguistique montréalais qui favorise la cohabitation de réalités culturelles et la curiosité pour la langue d’autrui ? C’est peut-être là que résident toute la complexité et l’attrait de notre métropole québécoise.


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