Aller au contenu

L’insécurité alimentaire à McGill

Quelles sont les solutions durables ? Une discussion avec des experts.

Rose Chedid | Le Délit

Remédier à l’insécurité alimentaire au sein du campus est devenu un enjeu majeur pour la communauté étudiante mcgilloise. Récemment, les coûts exorbitants des repas fournis par les établissements réfectoires de l’Université ont suscité des critiques. Payer 18 dollars pour une salade dans une cafétéria de bibliothèque, ou débourser plus de cinq mille dollars pour un plan de repas en résidence sont des prix immoraux pour Nilly, membre du Groupe de recherche d’intérêt public de McGill (QPIRG). Dans une entrevue avec Le Délit, elle a exprimé que l’administration de McGill privilégie le profit au détriment du bien-être de leurs étudiants. Nilly souligne que les repas proposés sur le campus de McGill étaient autrefois gérés par des coalitions étudiantes, qui ont depuis été remplacées par des grandes entreprises indépendantes comme le café Redpath.

Pour répondre à ces problèmes, des organisations dirigées par des étudiants ont été mises en place au sein de l’Association des étudiants de l’Université McGill (AÉUM), avec pour objectif principal de remédier à l’insécurité alimentaire vécue au sein de McGill. En mars dernier, l’organisation étudiante Let’s Eat McGill a réuni plus de 200 étudiants dans le but de sensibiliser sur les différentes initiatives alimentaires afin de réduire le coût et d’augmenter la qualité des repas sur le campus. L’Association étudiante de nutrition et d’accessibilité (SNAC) (tdlr) de McGill a participé à l’assemblée et continue à apporter des solutions durables et accessibles à la communauté étudiante. Lors d’une entrevue avec Alexa, étudiante en économie et sciences cognitives à McGill et co-présidente de SNAC, elle a souligné les avancées significatives, telles que Good Food Box, réalisées depuis leurs premières rencontres. Cependant, elle a également relevé que cela ne constitue qu’un point de départ, et que SNAC doit aujourd’hui faire face à de nombreux défis, notamment en termes de logistique et de priorisation des personnes les plus vulnérables.

« La solution se trouve dans l’expansion de fermes urbaines dans le centre-ville de Montréal et sur les campus universitaires »


La discussion du Panel


Lundi dernier, le QPIRG a accueilli trois panélistes pour animer une discussion portant sur l’insécurité alimentaire, explorant ses causes, ses conséquences et les solutions possibles. Ayub Alleyne est le directeur des affaires à la Fondation Soeur Sabria, une organisation non gouvernementale montréalaise qui apporte un soutien aux membres les plus vulnérables de la communauté en matière de nourriture et d’hébergement, en particulier auprès des femmes et des enfants, et au sein de la communauté musulmane. Sona Sadio est co-coordinatrice du collectif Sankofa qui vise à aborder l’insécurité alimentaire, touchant selon eux de manière disproportionnée la communauté noire et autochtone. Enfin, le professeur Erik Chevrier de l’Université Concordia est un activiste impliqué dans de nombreux groupes travaillant à construire des modèles économiques favorisant la durabilité de la biosphère.

Les panélistes ont d’abord discuté des causes historiques et sociales de l’insécurité alimentaire. Le professeur Chevrier a souligné que l’insécurité alimentaire est un problème mondial : aujourd’hui, un huitième de la population de la planète souffre de famine. Il est donc indispensable de réfléchir à des solutions qui nourrissent les personnes en besoin à Montréal, mais qui bénéficient aussi à la durabilité mondiale. Dans la région de Montréal, près de 900 000 personnes ont eu besoin d’aides alimentaires en 2022. L’impact disproportionné de l’insécurité alimentaire des communautés immigrées, noires et autochtones de Montréal a été souligné par Mme Sadio. Elle a particulièrement souligné la responsabilité du néocolonialisme et de la surconsommation, dans la perte de compétences agricoles traditionnelles respectueuses de l’environnement.

Les panélistes ont ensuite abordé le choc culturel lié à l’alimentation pour les communautés immigrées au Canada. Mme Sadio a partagé que son premier choc culturel en arrivant à Montréal du Tchad n’était pas le froid ou la neige, mais la nourriture. Le manque d’accessibilité à une variété d’ingrédients culturellement diversifiés constitue une barrière culturelle importante pour les immigrants. Ayub a aussi souligné que le problème de l’insécurité alimentaire ne réside pas uniquement dans la distribution de nourriture, mais aussi dans la qualité des aliments proposés. Comment peut-on nourrir les populations les plus vulnérables à un coût responsable en priorisant la nature et la valeur nutritionnelle des aliments ? Le professeur Chevrier a donc relevé le paradoxe capitaliste de l’insécurité alimentaire : afin d’aider ceux qui souffrent d’insécurité alimentaire, il est essentiel de réduire le coût de la nourriture. Toutefois, il est tout aussi crucial de garantir des revenus justes pour les agriculteurs, en particulier ceux qui sont noirs ou autochtones. Les panélistes se sont alors interrogés : « Les prix alimentaires bas sont-ils toujours synonymes d’exploitation des agriculteurs ? »


Le panel a donc exploré les solutions que les étudiants et l’administration de McGill peuvent mettre en place pour donner accès à une nutrition durable et responsable. En exerçant une pression sur les gouvernements et les grandes institutions, la communauté étudiante peut influencer les politiques et les pratiques agricoles à l’échelle provinciale et nationale. De plus, se familiariser avec le quotidien des fermiers et aussi les longues étapes nécessaires pour cultiver les aliments est essentiel pour mieux saisir la réalité du travail agricole. Le professeur Chevrier estime qu’observer le processus laborieux de la culture d’une pomme de terre pourrait inciter à en éviter le gaspillage à l’avenir. En outre, l’apprentissage sur l’agriculture permettra de développer des compétences pratiques dans ce domaine, préparant ainsi le terrain pour la mise en place de fermes urbaines. Pour le professeur Chevrier, la solution se trouve dans l’expansion de fermes urbaines dans le centre-ville de Montréal et sur les campus universitaires. Il a affirmé qu’en promettant l’instauration de fermes urbaines sur le campus de McGill, l’Université renforcera non seulement la disponibilité d’aliments saisonniers, mais garantira également une qualité optimale grâce à une supervision directe des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. De ce fait, les étudiants et l’administration pourront bénéficier d’un accès facilité à une alimentation saine et locale, tout en contribuant activement à la réduction de l’empreinte écologique de l’institution. Enfin, les panélistes ont rappelé que les solutions doivent être de nature communautaire. Ils ont expliqué que en formant des organisations étudiantes et en créant une coalition avec d’autres universités, en partageant nos connaissances et nos expériences et en élaborant des solutions créatives et durables, nous sommes capables d’apporter un réel changement quant à l’insécurité alimentaire à McGill et à Montréal.

« Afin d’aider ceux qui souffrent d’insécurité alimentaire, il est essentiel de réduire le coût de la nourriture. »

Quelles initiatives ont déjà été mises en place pour soutenir les étudiants ?

Alexa a souligné que le travail accompli par les organisations étudiantes a eu un impact important : Midnight Kitchen participe à un système alimentaire alternatif qui privilégie l’entraide, les mouvements populaires, les droits des travailleurs, les soins communautaires et la durabilité. Les services offert incluent des déjeuners gratuits le mercredi et jeudi à 13h dans la Salle de bal de l’AÉUM, des services de traiteur gratuits pour les événements en accord avec leur mandat politique, des jardins sur le campus Macdonald, ou encore des cartes d’épicerie d’urgence (actuellement suspendues). SNAC McGill privilégie la durabilité, la nutrition et l’accessibilité au sein du campus, proposant des ateliers de cuisine et des programmes de distribution alimentaire. D’après Alexa, SNAC a déjà aidé plus de 1 100 étudiants, commandant près de 1 000 dollars d’aliments par semaine. Enfin, l’organisme Partage et Solidarité a comme objectif de récupérer la nourriture non vendue des magasins pour la distribuer gratuitement à la communauté de Montréal, au-delà de celle de McGill. Alexa, Mme Sadio, M. Alleyne et le professeur Chevrier encouragent les étudiants de McGill à se renseigner sur les enjeux liés à l’agriculture durable, à la nutrition et aux ressources qui sont à leur disposition pour combattre l’insécurité alimentaire.


Dans la même édition