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Remédier à l’insécurité alimentaire à McGill

Une assemblée organisée par Let’s Eat McGill.

Léonard Smith | Le Délit

Le mardi 7 mars dernier, Let’s Eat McGill, une organisation étudiante visant à réduire les coûts de la nourriture offerte dans les résidences et dans les cafés sur le campus de l’Université, a organisé une assemblée sur l’insécurité alimentaire. Cette dernière a réuni plus de 200 étudiant·e·s dans une salle du pavillon des Arts, alors que l’organisation menait en parallèle une distribution de dépliants visant à sensibiliser les étudiants sur différentes initiatives alimentaires à moindre prix à McGill, comme Midnight Kitchen ou encore le Student Nutrition Accessibility Club. En guise d’ouverture de l’assemblée, les étudiant·e·s présent·e·s ont été invité·e·s à se prononcer sur l’abordabilité de la nourriture sur le campus. Plusieurs ont affirmé leur mécontentement quant aux coûts de la nourriture actuelle, en expliquant par exemple que « les prix sont disproportionnés par rapport à la qualité de la nourriture dans la plupart des cafés de McGill (tdlr) ». Une autre personne a dénoncé le fait que l’Université, bien au courant de la dépendance des étudiant·e·s vis-à-vis des services alimentaires offerts sur le campus, profite pourtant de cette situation et donne libre cours à l’augmentation significative des prix par rapport à la moyenne observable dans les supermarchés. Une pointe de pizza vendue à 11$, une coupe de fruits à presque 7$ et une salade pouvant aller jusqu’à 17,69$ sont des prix déraisonnables selon Let’s Eat McGill.

« Lorsque Let’s Eat McGill a demandé si certaines personnes avaient volontairement passé un repas pour économiser sur le campus, près de la moitié de l’audience a levé la main »

Une personne s’est également dite frustrée de constater que des systèmes de distribution de nourriture sont offerts gratuitement ou à faible coût dans certaines universités voisines. Une initiative comme Hive Free Lunch, financée par des associations étudiantes de Concordia, a pour mandat de fournir un service gratuit aux étudiant·e·s. People’s Potato, « soupe populaire » gérée par des étudiant·e·s, offre également des paniers alimentaires d’urgence aux étudiants de Concordia.

Le manque d’alternatives abordables permettant à la communauté de McGill de subvenir à ses besoins alimentaires est ressorti de manière récurrente durant l’assemblée. Une personne a par exemple expliqué assister dans son entourage à un phénomène de « normalisation de l’abstention des repas ». Dans une étude menée par Meal Exchange, l’insécurité alimentaire s’élevait à 56,8% parmi les étudiant·e·s canadien·ne·s à l’automne 2021, tandis qu’un cinquième d’entre eux·lles serait en situation d’insécurité alimentaire sévère. Lorsque Let’s Eat McGill a demandé si certaines personnes avaient volontairement passé un repas pour économiser sur le campus, près de la moitié de l’audience a levé la main.

Quel modèle pour les services alimentaires mcgillois ?

Depuis 2019, l’offre de distribution alimentaire de nombreux cafés à McGill et de plusieurs salles à manger en résidence est assurée par Dana Hospitality, une compagnie privée de services alimentaires. Cette concentration des services d’alimentation sur le campus entre les mains du privé contribue selon Let’s Eat McGill à la dégradation de l’accessibilité à la nourriture constatée depuis 2016.

Pour Let’s Eat McGill, l’un des aspects les plus problématiques de l’accès à la nourriture au sein du campus est le forfait de repas (Mandatory Meal Plan), obligatoire pour les étudiant·e·s de premier cycle habitant dans les résidences. Ce forfait, totalisant 6200$ avec les frais administratifs, comprend 4725$ pouvant être utilisés pour l’achat de nourriture sur le campus. Étalé tout au long de l’année universitaire, le forfait de repas obligatoire représente un budget de 775$ par mois pour les étudiant·e·s en résidence, une somme qui correspond pour plusieurs au prix de location d’un appartement, comme l’a noté une étudiante lors de l’assemblée. Cependant, ce montant ne suffit pas toujours à couvrir les frais alimentaires puisqu’un repas coûte en moyenne 13$ dans les salles à manger des résidences pour les étudiant·e·s de premier cycle. Cette situation est dénoncée par les organisateur·rice·s et les étudiant·e·s présent·e·s.

« Dans une étude menée par Meal Exchange, l’insécurité alimentaire s’élevait à 56,8% parmi les étudiant·e·s canadien·ne·s à l’automne 2021 »

À l’heure actuelle, McGill refuse de laisser tomber le forfait de repas obligatoire, mais planifie de le réformer. Mathieu Laperle, directeur des services alimentaires de l’Université McGill, propose la mise en place d’un nouveau plan pour l’automne 2023. Ce plan, inspiré d’un modèle similaire à celui de l’Université d’Ottawa, permettra aux étudiant·e·s de payer un prix fixe afin de manger comme ils·elles le veulent dans les cafétérias de McGill. Dans une entrevue accordée à CBC News le 8 mars dernier, Lola Milder, membre de Let’s Eat McGill, s’inquiète pour sa part de la réglementation entourant l’établissement de ce nouveau plan ainsi que son abordabilité.

La privatisation de la nourriture à McGill

« McGill tente de fermer toutes les initiatives alimentaires dirigées par les élèves », selon une personne présente lors de l’assemblée. Let’s Eat McGill a recomposé l’historique de la privatisation des services alimentaires à McGill. Les services alimentaires de McGill sont passés aux mains de plusieurs compagnies à travers les années 2000, dont Coke, Chartwell et Dana Hospitality. Avant d’être repris et privatisés par McGill en 2007, la plupart des cafés étaient gérés par des étudiant·e·s, dont Architecture Café et AUS Snax. Noa Scheifler, étudiante en Arts et Sciences interrogée par Le Délit, explique que « McGill connaît l’histoire des services alimentaires », mais que « nous n’avons pas conscience de notre capacité à les gérer par nous-mêmes ». Une autre étudiante a souligné que « les initiatives agricoles pourraient nourrir les étudiants du campus du centre-ville ». À la fin de l’assemblée, Let’s Eat McGill a également mis à l’avant des initiatives locales comme la distribution de samosas, de fruits et légumes provenant des jardins écologiques étudiants du campus MacDonald.

« Plusieurs ont affirmé leur mécontentement quant aux coûts de la nourriture actuelle, en affirmant par exemple que ‘‘les prix sont disproportionnés par rapport à la qualité de la nourriture dans la plupart des cafés de McGill (tdlr)’’ »

Maïa Salhofer

Au moment d’écrire les lignes, Let’s Eat McGill fait circuler une pétition comptabilisant 1931 signatures pour mettre fin aux prix « exorbitants » dans les cafétérias de McGill. L’initiative étudiante souligne l’importance de recourir à des « actions collectives », notamment par l’association avec « d’autres sociétés étudiantes ». Ils ont également fait part de leur stratégie pour encourager l’engagement à court, moyen ou long terme. Parmi les petits gestes pouvant aider la cause de Let’s Eat McGill, l’organisation a souligné l’importance de compléter le sondage sur les services alimentaires du campus. Ce questionnaire permettra de chiffrer l’insécurité alimentaire sur le campus afin de présenter les résultats au conseil d’administration de McGill, dernière instance décisionnelle qui décide des dépenses et des investissements de l’Université.


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