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McLennan-Redpath : ambitions et inquiétudes

Le projet de rénovation Fiat Lux sera-t-il à la hauteur des attentes ?

Jade Lê | Le Délit

En fin de semestre, alors que de nombreux étudiants stressés se hâtent vers le célèbre gymnase Tomlinson pour réaliser leurs examens finaux, d’autres s’entassent dans les bibliothèques pour d’intenses sessions de révisions. Pendant cette période, l’un des problèmes majeurs rencontré par les étudiants est le manque de place dans les bibliothèques du campus. En effet, beaucoup d’étudiants n’ont pas la chance d’avoir un environnement favorable aux révisions chez eux, et se retrouvent alors désemparés, privés de lieux pour réviser, ou du moins très limités dans leur choix.

La bibliothèque des sciences humaines et sociales, située au sein du complexe McLennan-Redpath, est le plus grand lieu d’études sur le campus de McGill. En fin de semestre, elle ne parvient que rarement à accueillir l’ensemble des étudiants ayant besoin d’un lieu pour travailler ; d’ailleurs elle avait reçu une moyenne de 5000 visites journalières lors des examens finaux à l’hiver 2023.

Fiat Lux, le projet de rénovation de la bibliothèque McLennan-Redpath prévu pour l’année 2025, vise à résoudre ce fort taux d’achalandage. Il devrait permettre de mieux répondre aux besoins des étudiants, des professeurs, des chercheurs, ainsi que des autres usagers de la bibliothèque.

La date exacte du début des travaux, quant à elle, n’est pas encore fixée et pourrait changer au cours des prochains mois. C’est ce qu’explique Guylaine Beaudry, la doyenne des bibliothèques, en entrevue avec Le Délit : « On ne s’attend pas à ce que la construction débute avant 2025. Est-ce que ce sera janvier ? Est-ce que ce sera avril ou septembre-octobre ? Ça, je ne peux pas vous le dire. »

Cette imprécision s’explique par le fait que certains éléments préalables à la concrétisation du projet sont toujours en cours de réalisation. « La préparation des plans d’architecture et technique en est à 60% [de sa réalisation, ndlr]. Nos architectes et nos ingénieurs doivent construire sur papier la bibliothèque et tout ce qu’il y a derrière, comme les réseaux électriques, la plomberie et le système de ventilation, ce qui prend quand même un certain temps. En parallèle, le budget n’est pas complètement bouclé. Alors, on travaille aussi avec la direction de l’Université, qui est très mobilisée pour livrer ce projet-là », fait valoir la doyenne des bibliothèques.

Faisant l’objet de consultations depuis 2012, le budget du projet Fiat Lux s’élève à au moins 200 millions de dollars, divisé entre un investissement de l’Université et des donations privées, et sa construction devrait s’échelonner sur une durée de deux à trois ans. L’inauguration de cette nouvelle bibliothèque n’aura donc pas lieu avant 2027.

Des besoins en constante évolution

Le projet Fiat Lux, locution latine signifiant « que la lumière soit », en référence aux immenses baies vitrées qui laisseront pénétrer les rayons du soleil dans les espaces de travail, vise à résoudre un problème de technologie. Chaque année augmente encore un peu plus le décalage entre les services proposés par la bibliothèque et les besoins réels des étudiants. Le site du projet indique que la nouvelle bibliothèque « permettra le déploiement d’avancées captivantes en apprentissage fondées sur la technologie et en pédagogie pour se positionner de manière proactive afin de combler les besoins actuels et futurs des étudiants, des professeurs et des chercheurs mcgillois » et se présente comme un « pôle de connexion à la fine pointe de la technologie consacré à l’enseignement […] en cette ère numérique ». Fiat Lux sera dotée d’équipements comme des imprimantes 3D, des visiocasques et traqueurs de réalité virtuelle, des cartes de circuit ou encore des studios d’enregistrement insonorisés.

De ce point de vue, la rénovation de la bibliothèque répond au virage numérique qui est en train de se produire dans le milieu éducatif et met en avant le rôle de plus en plus important que joue la technologie dans l’apprentissage. Guylaine Beaudry souligne que « la bibliothèque [à son origine, ndlr] n’a pas été conçue pour l’ère numérique. Et là, 90 % des achats [pour nos collections, ndlr] sont numériques. Il faut prendre le temps de consulter les bibliothécaires, les employés de soutien et les professionnels pour effectuer cette transition là ».

« [Le projet] permettra le déploiement d’avancées captivantes en apprentissage fondées sur la technologie et en pédagogie pour se positionner de manière proactive afin de combler les besoins actuels et futurs des étudiants, des professeurs et des chercheurs mcgillois »


Site du projet Fiat Lux

Pour rappel, le complexe Redpath-McLennan est ancien : l’ouverture du pavillon Redpath à titre de bibliothèque date de
la fin du 19e siècle
, avec des extensions et des améliorations effectuées au cours du 20e siècle ; l’ouverture du pavillon McLennan, aujourd’hui considéré comme l’un des lieux majeurs de recherche et de travail sur le campus, remonte à 1969. Ainsi, en plus de 50 ans, aucun projet majeur de rénovation ou de transformation n’a été entrepris.

L’espace occupé représente-t-il l’espace disponible ?

McGill comptait un peu moins de 17 000 étudiants à temps plein en 1970. Alors que la bibliothèque parvenait sûrement à combler les besoins des étudiants à cette époque, il est normal que ce ne soit plus le cas : à l’automne 2022, le nombre a plus que doublé, avec environ 40 000 étudiants à temps plein.

Un rapport de 2015, réalisé par l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), permet de mieux comprendre le conflit d’espace que provoque la surpopulation de la bibliothèque. Alors que 82% des étudiants interrogés déclarent utiliser la bibliothèque uniquement pour travailler ou réviser, seuls ou en groupe, seulement 32% de l’espace disponible dans la bibliothèque est réellement alloué à cette utilisation. De leur côté, les livres occupent 51% de l’espace disponible, alors qu’uniquement 7% des utilisateurs confient utiliser la bibliothèque pour consulter ou emprunter des ouvrages.

Ce déséquilibre entre les utilisateurs, leurs besoins et l’espace qui leur est dédié, est l’un des problèmes que vise à résoudre le projet Fiat Lux. Une grande partie des collections du complexe McLennan-Redpath sera relocalisée vers un centre de collection ultra-technologique situé à Salaberry-De-Valleyfield, au sud de l’Île de Montréal. De plus, Fiat Lux accueillera 5189 places de travail, un chiffre avancé par Guylaine Beaudry, ce qui représente près du double des espaces actuels.

Entre le transfert des livres et le début de la rénovation prévue pour 2025, il y aura également la création de places d’études temporaires, nous assure Guylaine Beaudry : « Le cycle va probablement être terminé au cours de l’été prochain, pour la prochaine année universitaire. Pour le moment, ce ne sera pas de très beaux espaces, parce que ce ne sera pas rénové, mais quand même, vous allez avoir des tables et des chaises pour pouvoir travailler. » S’ils ne seront sans doute pas optimaux, ces espaces se révéleront accommodants, compte tenu de la situation. Reste à savoir si l’emplacement qui leur sera dédié sera suffisamment silencieux pour favoriser la concentration.

Les aléas des travaux : à quoi s’attendre ?

L’entièreté du complexe McLennan-Redpath sera inaccessible pendant la durée des travaux. Or, la présentation du Sénat de l’Université McGill le 16 janvier 2019 prévoyait que le pavillon Redpath pourrait demeurer ouvert pendant la rénovation de McLennan. La doyenne a examiné cette possibilité à maintes reprises et nous explique pourquoi l’administration de McGill
a rendu sa décision officielle de fermer simultanément les deux pavillons lors des rénovations : « Il y aura un trou qui sera creusé entre la bibliothèque McLennan et Redpath, [ce qui représente l’équivalent, ndlr] de quatre étages de profondeur. Ils vont refaire la structure sismique, mais aussi tous les services de ventilation […] Les ingénieurs nous ont expliqué qu’on ne pouvait pas laisser Redpath ouverte pendant cette période-là. »

La réouverture cet automne de la bibliothèque Schulich, qui comporte plus de 800 places, sème l’espoir pour l’administration McGill. Elle permettra en partie d’accommoder les étudiants pendant la période de rénovation, même si sa capacité d’accueil est loin d’offrir suffisamment d’espace de travail. Dans cette optique, Guylaine Beaudry a manifesté sa volonté de trouver un nombre équivalent de places d’études à McLennan-Redpath dans le système de McGill. « Il faut trouver 2000 places d’études dans le campus quelque part, pour compenser […] Pendant la construction, il faut qu’on ait au moins la même chose que ce qu’on a maintenant. Si on peut avoir plus, tant mieux », précise-t-elle.

Alors que Fiat Lux vise à augmenter le nombre de places assises pour les étudiants, une grande portion de l’espace de travail sera inaccessible pendant une bonne partie des travaux.

Dans la bibliothèque des sciences sociales, ce n’est pas une mince affaire. Si l’espace concerné venait à disparaître, ne serait-ce que pour une courte durée, les conséquences pourraient être importantes pour les étudiants.

Charlotte*, étudiante en Sciences politiques à McGill, avoue voir le bon côté du projet Fiat Lux : « Ce sera l’occasion de découvrir d’autres bibliothèques à McGill comme les bibliothèques de la Faculté de droit, des études islamiques ou encore les espaces de travail dans les bâtiments de sciences. Je pense que les étudiants vont s’adapter sans trop de problèmes. » Elle avoue cependant que la durée de deux à trois ans des travaux lui paraît particulièrement longue, et que le fait de ne pouvoir accéder à un espace aussi central que McLennan-Redpath pendant plusieurs années sera sans doute contraignant.

Dès les prochaines semaines, le retrait des rayons de livres dans McLennan-Redpath amènera inévitablement une baisse significative du nombre d’ouvrages disponibles pour effectuer des travaux. Certaines facultés à McGill pourraient éprouver des difficultés à se procurer des ouvrages physiques qui leur sont nécessaires. Guylaine Beaudry reconnaît à ce titre que « dans les disciplines des sciences humaines et sociales, il faut apporter une attention encore plus importante ». En effet, ces disciplines peuvent dépendre davantage d’ouvrages qui n’ont pas encore été numérisés, mais qui sont nécessaires pour l’accomplissement de travaux de recherche, tels que les mémoires ou les thèses. D’un autre côté, la proximité avec la BAnQ (Bibliothèque et Archives nationales du Québec), ainsi que les trois autres universités de Montréal, a l’avantage de faciliter grandement l’emprunt d’ouvrages au sein de ces institutions voisines via la plateforme en ligne Sofia.

« Ce sera l’occasion de découvrir d’autres bibliothèques à McGill comme les bibliothèques de la Faculté de droit, des études islamiques ou encore les espaces de travail dans les bâtiments de sciences. Je pense que les étudiants vont s’adapter sans trop de problèmes »


Charlotte, étudiante en Sciences politiques à McGill

Compte tenu de l’envergure du projet Fiat Lux, les travaux pourraient générer des inquiétudes, particulièrement dans l’atteinte des objectifs temporels fixés par la direction du projet. Il faut le dire, les travaux à McGill, et plus largement dans Montréal, ont mauvaise réputation. Outre le retard que pourrait prendre le chantier, le projet Fiat Lux occasionnera sans doute plusieurs maux de tête chez les étudiants, notamment pour bien situer les ressources relocalisées à d’autres endroits sur le campus.

L’enjeu de la communication

Louis*, étudiant en Sciences politiques à McGill, nous a fait part de sa perception des impacts du projet Fiat Lux sur le futur de la communauté étudiante. « Les étudiants qui arriveront en 2025, qui sont à McGill pour trois ans, ils ne vont pas voir l’Université comme nous on la voit. Ils vont avoir une expérience complètement différente. Parce que pour moi, McLennan-Redpath, c’est quand même la principale bibliothèque de McGill. C’est quand même un endroit de travail, mais aussi de socialisation, je trouve. C’est un espace où on peut faire des rencontres, travailler en commun avec beaucoup de gens. Moi, c’est là où j’ai construit quelques amitiés », explique-t-il. 

Il a également renchéri sur l’importance de la communication que doit prendre selon lui l’administration de McGill en charge du projet : « Il faut savoir concrètement où est-ce qu’on peut aller travailler. Il faut que l’administration de McGill nous liste exactement toutes les bibliothèques et les espaces possibles, parce que les gens vont peut-être mettre un petit moment pour s’adapter à trouver un espace qui leur convient. »

« Pour moi, McLennan-Redpath, c’est quand même un endroit de travail, mais aussi de socialisation, je trouve. C’est un espace où on peut faire des rencontres, travailler en commun avec beaucoup de gens. Moi, c’est là où j’ai construit quelques amitiés »


Louis, étudiant en Sciences politiques à McGill

De son côté, Guylaine Beaudry soutient l’importance de communiquer de manière soutenue et transparente avec la communauté étudiante pour les tenir informés de l’avancement du projet de construction. « Huit mois avant la fermeture de McLennan-Redpath, vous saurez à quels endroits vous pourrez étudier », déclare-t-elle. Elle s’engage, en concertation avec l’Université, à aviser les étudiants au moins un an avant la fermeture de la bibliothèque : « Donc dans 12 mois, on ne sera pas fermé. Vous allez le savoir à l’avance, mais ce que j’ai envie de vous dire, c’est qu’on va organiser cet automne des séances pour communiquer sur le projet, parce que je pense qu’il n’y a pas assez d’informations sur le projet dans la communauté […] Pour le moment, ce sont les collections qui sont acheminées au Centre des collections de l’Université McGill à Salaberry-de-Valleyfield, et ça commence lundi le 2 octobre. »

*Noms fictifs



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