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Chaque enfant compte

Une journée d’action pour la vérité et la réconciliation.

Margaux Thomas | Le Délit

Chaque année, le 30 septembre marque la Journée nationale de la vérité et la réconciliation, un jour férié fédéral au Canada depuis trois ans. Cette journée honore les survivants des pensionnats autochtones, les enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux, ainsi que leurs familles et communautés, afin de commémorer le préjudice intergénérationnel que ces écoles ont causé. Cette année, le Foyer pour femmes autochtones de Montréal ainsi que l’organisation Résilience Montréal ont organisé une marche partant du monument Cartier jusqu’à la place du Canada.

« Nous marcherons ensemble »

Au début de la marche, au pied du Mont Royal, les orateurs se sont succédé au micro pour tenir des discours, entonner des chants traditionnels et partager des témoignages émouvants de plusieurs survivants des pensionnats et de leurs descendants. Beaucoup portaient des chandails oranges, symbolisant les souffrances des peuples autochtones causées par les pensionnats autochtones, et brandissaient des pancartes indiquant « Chaque enfant compte », « Ramenez nos enfants à la maison (tdlr) » ou « Soutien à la Kahnistensera » – le groupe de mères Mohawk qui tente d’arrêter les travaux de forage et d’excavation sur le site que l’Université McGill souhaite réaménager. En passant par la rue Milton où se rassemblent de nombreuses personnes sans-abris, en majorité autochtone, les organisateurs de la marche ont encouragé les participants à donner de la nourriture et des vêtements à ceux qui en avaient besoin.

Victor Bonspille, élu chef du conseil de Kanehsatà:ke, territoire Mohawk, a exprimé lors d’un discours très émouvant, le besoin de se souvenir et d’honorer ces enfants, femmes et hommes perdus à cause du système des pensionnats. Bonspille a abordé la question de la reconnaissance des langues, des croyances et des cultures autochtones. Il a aussi demandé que ne soient pas oublié les traditions, les histoires et le passé, car « dès que nous oublions, nous perdons ». En évoquant directement le gouvernement québécois et canadien, il a déclaré : « Ils ont essayé de nous effacer, par le biais du système des pensionnats, par le biais du système judiciaire, et nous ne partons pas. Nous sommes là depuis des générations et nous n’irons nulle part. » C’est en finissant son discours sur une note d’harmonie et d’unité qu’il a remercié « tout le monde ici, toutes les Premières Nations, tous les non-Autochtones, j’apprécie que vous soyez tous venus et que vous manifestiez votre soutien ».

Margaux Thomas | Le Délit

Résilience autochtone

Lors de la marche, alors que les slogans « Nous sommes résilients pour nos enfants, pour la huitième génération » fusaient, Le Délit s’est entretenu avec David Chapman, directeur exécutif et cofondateur de Résilience Montréal, l’un des groupes ayant organisé la marche. Il s’agit d’un centre de jour pour le bien-être des plus vulnérables et constitue un lieu accueillant et sûr. Les personnes traumatisées des difficultés de la rue y sont honorées, défendues et peuvent accéder à des services qui répondent à leurs besoins. Créé en 2019, ce projet communautaire soutient la population autochtone sans- abri à l’angle des rues Atwater et Sainte Catherine. David Chapman parle des Autochtones comme « la population sans-abri la plus marginalisée ». L’objectif global est de restaurer le bien-être physique, émotionnel, spirituel et psychologique [des individus, ndlr].

« Ils ont essayé de nous effacer, par le biais du système des pensionnats, par le biais du système judiciaire, et nous ne partons pas »



Victor Bonspille,
Chef du conseil du territoire Mohawk Kanehsatà:ke

David Chapman explique qu’il s’agit d’une organisation qui « comble les manques ». Son but premier est d’offrir de l’accessibilité : « Vous pouvez être ivre, vous pouvez avoir un partenaire avec vous, un chien ou un rat de compagnie, personne ne vous posera de questions. » Les travailleurs d’intervention – qui sont pour la plupart des travailleurs autochtones – accueillent les personnes qui franchissent leurs portes et répondent à leurs besoins. Parfois, ils doivent refaire « une pièce d’identité, une carte d’assurance maladie, [ils doivent trouver, ndlr] un moyen de retourner chez eux dans le Nord [territoires autochtones du Nunavik, ndlr], de trouver des billets d’avion, un logement, une place en cure de désintoxication et même de les conduire à l’aéroport à cinq heures du matin », et Résilience Montréal s’en occupe. Ils fournissent également des vêtements, un endroit pour se reposer, l’accès à une douche, à Internet ou au téléphone.

Le problème, c’est que l’organisation manque de moyens financiers : « Certains coûts deviennent astronomiques, lorsque nous dépensons plus de 13 000 dollars canadiens par semaine en nourriture (avec 1 000 repas par jour) et que le loyer [de Résilience Montréal, ndlr] est de 20 000 dollars par mois. » Il est toutefois possible de faire des dons pour aider l’organisation.

La communauté mcgilloise mobilisée

Le 29 septembre dernier, la Faculté d’éducation de McGill s’est également mobilisée, comme chaque année depuis cinq ans, lors d’un petit rassemblement sur le campus pour la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation et la Journée du chandail orange. La cérémonie a été ouverte avec le discours de l’aîné invité, Ka’nahsohon Kevin Deer, suivi d’un événement interactif intitulé « Visite critique du campus », développé au sein de la Faculté et guidé par des étudiants autochtones en plein air sur le campus. Parmi les initiatives autochtones que l’Université met en place, il y a trois nouveautés cette année dans les ressources humaines, la reconnaissance de l’excellence autochtone et le renforcement des partenariats. Quinze nouveaux professeurs et employés autochtones ont été accueillis à McGill à l’hiver dernier. Trois membres des Premières nations, Inuits et Métis (PNIM) ont été décernés des doctorats honorifiques en mai et juin 2023. Enfin, McGill a créé un premier Comité consultatif autochtone dont la composition comprendra des leaders communautaires et des parties prenantes internes et externes à McGill.

Margaux Thomas | Le Délit

Les Mères Mohawks « trahies »

Deux jours après la marche de commémoration des survivants des pensionnats et de leur descendants, l’Université McGill ainsi que la SQI (Société des Infrastructures du Québec) ont entamé les travaux de construction du Nouveau Vic « dans une zone où les chiens renifleurs ont détecté des restes humains », d’après la représentante des Mères Mohawks lors d’une conférence de presse le lundi 2 octobre 2023. Il semblerait que McGill et la SQI refusent de coopérer en fournissant des informations de base permettant à l’enquête de conserver un minimum de crédibilité, « alors que les artefacts sont malmenés et que les preuves sont niées sans aucune explication », d’après un avis aux médias que les Mères Mohawks ont fourni pendant la conférence de presse. Les Mères Mohawks se sentent trahies, et affirment que malgré tout le soutien reçu il y a seulement deux jours, lors de la marche, « tout le monde s’en fiche, ils portent leurs chandails oranges, mais c’est tout ».


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