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Un face à face tendu à Montréal

L’identité de genre et la sexualité au cœur des débats sur l’éducation.

Dominika Grand'Maison | Le Délit

Mercredi 20 septembre, sur l’avenue McGill College, une manifestation et une contre-manifestation de plusieurs milliers de personnes se sont opposées toute la matinée au sujet de l’enseignement de l’identité de genre à l’école et sur les droits LGBTQ+. La manifestation a été organisée par le groupe 1 Million March 4 Children, qui a parallèlement organisé de nombreuses autres manifestations dans tout le Canada, notamment dans les grandes villes comme Edmonton, Whitehorse, Calgary ou encore Vancouver. Le but du mouvement était de protester contre l’enseignement de l’idéologie de genre dans les écoles canadiennes, et « préconiser l’élimination de l’OSIG (Orientation Sexuelle et Identité de Genre) ainsi que les pronoms associés et l’idéologie de genres et toilettes mixtes dans les écoles ». Ces manifestations ont été fortement critiquées et de nombreuses contre-manifestations se sont organisées pour s’y opposer. Entre autres, face à un tel rassemblement devant les portes de l’Université, la communautée mcgilloise s’est mobilisée : le collectif Queer Mcgill a organisé une contre-manifestation, réunissant l’ensemble de la communauté trans, la communauté LGBTQ+ et autres alliés de Montréal. L’Association étudiante de l’Université McGill, quant à elle, a envoyé un communiqué la veille, le mardi 19 septembre, pour réitérer son soutien envers la contre-manifestation, et condamner le mouvement qu’elle a qualifié d’ « anti-2SLGBTQ+ ».

Les contre-manifestants

La contre-manifestation a débuté dès huit heures du matin. Une centaine de personnes se sont retrouvées devant le portail Roddick de l’Université McGill. Autour d’un café chaud, les premiers orateurs ont pris le micro pour s’exprimer sur l’importance de s’opposer à une telle manifestation. Parmi les orateurs, Le Délit a pu s’entretenir avec Nola Baggio, étudiante en cinéma à Concordia. Elle nous a notamment expliqué qu’il était important d’avoir une présence physique « surtout pour montrer aux jeunes LGBT qu’ils ne sont pas seuls […], qu’il y a beaucoup de gens qui les supportent, et qui pensent que ça vaut la peine de défendre ces droits-là ». Elle soutient l’éducation de l’idéologie de genre à l’école car elle considère que « c’est important, justement, de vivre dans un monde […] où toutes ces options-là sont mises sur la table, sont clairement affichées ». Très rapidement dans la matinée, le petit groupe d’individus s’est élargi et a débordé sur la rue Sherbrooke, menant les forces de police à fermer la rue pour le restant de la matinée. Aux alentours de neuf heures, alors que la manifestation du groupe 1 Million March 4 Children devait débuter, seul un petit nombre de manifestants était présent. Les premiers chants ont alors commencé à être scandés par les plusieurs centaines de contre-manifestants réunis. En l’occurrence, les slogans « Fascists Go Home », « Tout le monde déteste les fascistes » et d’autres encore, se sont succédés.

Nola nous a fait part de son ressenti : « J’étais très optimiste et positivement surprise au début, quand j’ai vu qu’il y avait beaucoup, beaucoup d’alliés, et de personnes LGBT+ qui sont venus ». Les contre-manifestants se montraient très présents pour faire face aux manifestants, dont le nombre n’a fait qu’augmenter à partir de neuf heures et demie. Pendant près d’une heure et demie, jusqu’à 11 heures, les deux groupes se sont fait face, à seulement quelques mètres d’écart, séparés par deux rangs d’agents de police. Alors que les contre-manifestants étaient en nombre comparable aux manifestants jusqu’aux alentours de 11 heures, la tendance a ensuite semblé s’inverser. Nola nous raconte qu’ « à partir d’un moment, il y avait plus de manifestants que de contre-manifestants, ils ont vraiment envahi tout le centre- ville ». En effet, la foule de manifestants, comprenant d’ailleurs beaucoup d’enfants, s’est répandue sur tout le croisement entre l’avenue McGill College et l’avenue du Président-Kennedy.

« Il est évident que ces personnes utilisent le droit des enfants et le droit des parents comme une facette pour exprimer leur haine complète »


Nola Baggio, étudiante en cinéma à Concordia

Pour Nola, « c’est définitivement choquant, ce n’était pas prévu, […] mais la chose à laquelle je m’attendais peut- être un peu moins, c’était la violence [verbale, ndlr] venant des enfants du côté des manifestants. […] Il y a une ironie complète, ces parents-là viennent manifester contre une endoctrination de leurs enfants, mais ils les emmènent à cette manifestation pour crier des injures, alors qu’ils [les enfants, ndlr] n’ont aucune idée de quoi ils parlent ».

Les motifs de la manifestation

Vers 11 heures, un micro et des haut-parleurs ont été installés par le groupe de manifestants. Des orateurs ont pris la parole pour expliquer le message qu’ils portaient. À l’écoute des discours, nous pouvions entendre des messages tels que : « Ce contre quoi nous sommes aujourd’hui, c’est le conditionnement et l’endoctrinement de nos enfants sexualisés dans les écoles » ;
« Nos enfants ne se sont jamais plaints de dysphorie de genre, nos enfants se plaignent de ce qui est introduit dans leur salles de classes » ; « Leur bien-être, leur santé mentale et leur sécurité, absolument personne ne s’occupera d’eux comme nous le faisons. »

Les manifestants considèrent que l’apprentissage de l’idéologie de genre à l’école correspond à un endoctrinement des enfants, « menant à leur confusion [identitaire, ndlr ] ». En réponse à cela, Nola nous a confié que la présence de l’idéologie de genre à l’école n’a aucun de ces buts. Elle mentionne notamment le fait qu’aujourd’hui, faire partie de la communauté LBGTQ+, « ce n’est pas facile. On ne veut pas imposer une vie qui est une vie de bataille, une vie de défense de droits, et de manifestations ». Dans son message, Nola nous explique qu’elle veut juste « qu’ils [les enfants, ndlr] soient au courant, qu’ils soient capables de s’aimer comme ils méritent d’être aimés, et d’être aimés comme ils méritent d’être aimés ».

Là où les manifestants disent ne pas s’attaquer aux droits LGBTQ+ et simplement « protéger leurs enfants », Nola n’a pas cette opinion. Pour elle, « il est évident que ces personnes utilisent le droit des enfants et le droit des parents comme une facette pour exprimer leur haine complète. […] Quand tu les vois, quand tu entends ce qu’ils disent, surtout ceux qui viennent de notre côté, qui essaient de débattre avec nous, c’est beaucoup plus profond que la peur de l’éducation. C’est une peur que leurs enfants soient LGBT, parce qu’ils ont peur des gens LGBT. Ils les détestent ».

Réponses des politiques

L’événement a généré de nombreuses réponses au sein de la classe politique canadienne et québécoise. Le premier ministre du Québec, François Legault, s’est exprimé sur les réseaux sociaux. Il a affirmé que « ce n’est pas comme ça qu’on débat au Québec ! On est un peuple modéré. On est capable de se parler. » Il ajoute que « les insultes envers les personnes de la diversité sexuelle sont inacceptables. Et les étiquettes de “fascistes” ou de “transphobe” […] ne sont pas plus acceptables. » Enfin, il termine son communiqué en affirmant que « c’est normal que des parents et des citoyens se posent des questions, et s’inquiètent pour leurs enfants ».

De son côté, la mairesse de Montréal Valérie Plante, a condamné « la manifestation anti-LGBTQ+ », en ajoutant que « Montréal est, et sera toujours, une métropole ouverte et bienveillante. » Mais pour Nola, « c’est difficile d’accepter ce soutien quand on regarde les actions de ces politiciens-là […], ils ne mettent pas l’argent, ils ne mettent pas les actions. […] C’est définitivement hypocrite lorsque la ville de Montréal investit plus que jamais dans les forces policières de la ville ». Or, ces dernières ont été ardemment critiquées par les contre-manifestants, comme Nola, qui a ajouté que les forces de police « supportaient quasiment sans le dire » les manifestants. Au cours des événements, les contre-manifestants ont aussi dénoncé le fait d’être plus fortement contenus par les policiers que ne l’était le groupe de manifestants.

« Ce n’est pas comme ça qu’on débat au Québec ! On est un peuple modéré. On est capable de se parler »


François Legault

Lorsque nous l’avons questionnée sur le rôle de la liberté d’expression dans ces événements, Nola a conclu l’entrevue en répondant : « Je pense qu’ils ont le droit d’exprimer leurs inquiétudes. […] Tout comme nous. C’est juste que ça crée un climat dangereux et j’espère que les gens réalisent ça. »


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