Aller au contenu

La dépendance affective : un mal invisible ?

Le Délit s’est entretenu avec la docteure en psychologie Emmanuelle Roy.

Clément Veysset | Le Délit

Dépendances rime toujours avec alcool, drogues, écrans ou jeux vidéo pour la plupart d’entre nous. Les conséquences néfastes et facilement identifiables de ces dépendances préoccupent avec raison. Pourtant, il existe aussi des dépendances plus subtiles, parfois plus vicieuses, telle que la dépendance affective, à laquelle Le Délit s’est intéressée. Qui ne s’est jamais senti « accro » à son amoureux ou à ses amis, à la recherche d’attention ou de validation ? Ce type de dépendance est moins mis en avant et pourtant tout aussi présent dans notre société.

La dépendance affective apparaît lorsque l’estime de soi d’une personne est entièrement tributaire du regard de l’autre, notamment de l’attention et de la validation d’autrui. D’une manière plus concrète, on peut décrire cette dépendance comme étant la recherche constante de validation et d’attention d’une personne spécifique, tant amoureuse qu’amicale, afin de se sentir comblé et épanoui. La dépendance affective n’est pas une chose qui touche un individu à des moments spécifiques, mais bien quelque chose qui s’accumule et qui s’incorpore dans la vie quotidienne, ce qui rend la réalisation de son existence très difficile.

Cette semaine, Le Délit a pu s’entretenir avec la docteure en psychologie Emmanuelle Roy, pour en apprendre plus sur la dépendance affective. À la suite de l’obtention d’un doctorat en psychologie, docteure Roy a travaillé à Tel-jeunes pendant 10 ans, puis a enseigné des cours sur la psychologie de la sexualité au collégial, où le sujet de dépendance affective était abordé.

Le Délit (LD) : Comment se définit, selon vous, la dépendance affective et émotionnelle ?

Emmanuelle Roy (ER) : Le terme dépendance affective est davantage utilisé que dépendance émotionnelle. On la décrit comme une relation addictive, compulsive et envahissante qu’une personne peut avoir avec une autre personne.

LD : Selon vous, la dépendance affective est-elle un concept scientifique reconnu dans le domaine de la psychologie ?

ER : La dépendance affective ne fait pas partie de troubles officiellement reconnus dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, et des troubles psychiatriques. Par contre, il s’agit d’une problématique reconnue par les psychologues. Si cette dépendance ne peut être traitée par une médication, elle peut cependant l’être lors d’une thérapie en accompagnant la personne dans le développement de son autonomie et de son estime de soi.

« La personne dépendante a de la difficulté à se sécuriser et à être autonome, en plus d’avoir souvent une faible estime d’elle-même »

LD : Comment se manifeste, selon vous, la dépendance affective auprès des personnes visées ?

ER : La dépendance affective se manifeste le plus souvent dans les relations de couple et il est possible de l’observer dans trois types de variables. La première variable est individuelle, donc comment la personne se perçoit. La personne dépendante a de la difficulté à se sécuriser et à être autonome, en plus d’avoir souvent une faible estime d’elle-même. Elle se dévalorise régulièrement en se sous-estimant.

La deuxième variable est liée à l’autre, donc la façon dont la personne perçoit son ou sa partenaire. La personne est soumise et laisse l’autre prendre les décisions. Elle a de grands besoins d’intimité et de rapprochement, et d’être rassurée sur l’amour de l’autre qu’elle craint de perdre.

La troisième variable est relationnelle, donc comment l’individu perçoit sa relation. La plus courante est la relation fusionnelle, dans laquelle la personne a le besoin constant d’être en présence de son ou sa partenaire. Par exemple, elle va se priver de voir ses amis pour passer le plus de temps possible avec son partenaire. La dépendance affective peut aussi s’observer par des relations passionnelles ou encore, par de la drague compulsive ou des relations impossibles (par exemple, avec des gens déjà engagés dans une autre relation). Cela entraîne souvent du stress pour la personne, mais de la souffrance aussi, en plus d’avoir des répercussions négatives sur le couple. Il n’est alors pas rare qu’on se retrouve devant un cercle vicieux : les tactiques de séduction de la personne dépendante pour se rapprocher de son partenaire finissent par étouffer le besoin d’autonomie de ce dernier et par le faire fuir. Plus le partenaire a besoin d’air et prend ses distances, plus la personne a peur de le perdre et redouble d’efforts pour le séduire…

LD : Y‑a-t-il à des théories qui expliquent les facteurs qui pourraient générer de la dépendance affective chez quelqu’un ? Par exemple, le manque d’attention de ses parents dans son enfance ?

ER : La théorie de l’attachement de Bowlby est celle qui explique le mieux pourquoi certaines personnes vont être plus dépendantes que d’autres dans leur relation de couple. Selon cette théorie, dès sa naissance, la relation que le parent établira avec son enfant aura des impacts sur l’attachement de ce dernier et sur sa façon de développer ses relations avec les gens tout au long de sa vie. Si l’enfant se sent en sécurité avec un parent qui répond à ses besoins, il sera en confiance pour explorer le monde autour de lui. Il développera alors une conception positive du monde et des autres, et il aura une meilleure estime de soi. Ce type d’attachement est nommé sécurisant. Lorsqu’une personne est dépendante affective, c’est généralement parce qu’elle a un attachement de type anxieux-ambivalent. Ce type d’attachement se manifeste principalement quand une personne a eu une enfance gravée par une inconsistance de comportements de la part de ses parents, qui alternent entre des comportements intrusifs et attentifs. Cela se transformera en un attachement préoccupé à l’âge adulte. Son anxiété d’abandon sera élevée et ses besoins d’intimité et de rapprochement le seront aussi.

Comment traiter cette dépendance imperceptible ?

Aujourd’hui, notre société a beaucoup évolué et a adopté une plus grande ouverture d’esprit et une meilleure sensibilisation à cette dépendance souvent invisibilisée. Grâce à cette conscientisation accrue, plusieurs solutions et ressources sont disponibles afin de venir en aide aux personnes atteintes de cette dépendance.

Comme la docteure Roy nous en a fait part, la dépendance affective peut être traitée avec l’aide d’un psychologue qui accompagne l’individu en question dans le développement de son autonomie et de son estime de soi. De plus, le Service de santé et psychologie de l’Université de Moncton offre des pistes de solutions dans le but de vaincre la dépendance affective. Celui-ci affirme que d’apprendre à s’affirmer sur ses propres opinions ainsi que faire des activités seuls est essentiel. En effet, mettre de l’avant sa propre personne et prioriser son bien-être permet d’apprendre à chaque individu souffrant de dépendance affective à mieux se connaître et s’aimer.

La dépendance affective s’imprègne dans la vie de plusieurs personnes qui la confondent pour de l’amour simple et intense. Les relations amoureuses et amicales servent à porter compagnie à autrui, à se supporter et à se rendre confiant. Hélas, les fondations de la confiance en soi ne doivent pas dépendre d’une autre personne, car être bien avec soi-même et se mettre de l’avant se fait seul, et non par l’aide d’autrui. Il est facile de tomber dans le piège de la validation abondante des autres, mais il est important de toujours prioriser sa propre personne et d’être alerte aux signes de la dépendance affective, et de consulter un psychologue au besoin ou d’en parler avec un proche si vous en souffrez.

Vous pouvez vous renseigner au sujet de la dépendance affective sur les sites des Dépendants Affectifs du Québec (DAA) et de Tel-jeunes ainsi que consulter un professionnel de la santé afin d’obtenir de l’aide.


Dans la même édition