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Séisme au Maroc : La communauté marocaine de Montréal se mobilise

Une récolte de matériel a eu lieu au Collège Lasalle du 11 au 19 septembre

Vincent Maraval | Le Délit

Dans la soirée du vendredi 8 septembre dernier, vers 22h11, un séisme de magnitude 6,8 a frappé le Maroc. Selon l’Observatoire Européen Copernicus, le séisme a principalement frappé la région de Marrakech-Safi, l’épicentre se trouvant à approximativement 72 km au sud-ouest de Marrakech, une des principales villes marocaines, qui compte plus d’un million d’habitants. Les provinces les plus touchées sont des zones rurales du massif du Haut Atlas qui n’en restent pas moins peuplées : selon l’Observatoire, 172 000 personnes ont été exposées aux secousses, notamment à Talat-Nyaaqoub, Tamarirt, Amizmiz et Imzilene. Les habitants de Marrakech ont eux aussi ressenti les secousses, subi des dommages matériels et déclaré plusieurs pertes humaines. Le 14 septembre, le bilan humain s’élevait à 2 946 morts et 5 674 blessés. Le nombre de personnes dont le logement a été détruit n’est pas encore connu, mais le Maroc a compté environ 50 000 bâtiments endommagés.

L’action de la communauté marocaine de Montréal

À Montréal, une action de solidarité s’est mise en place dès le lendemain, le samedi 9 septembre. Adib Lahlou, actuellement directeur de l’expérience étudiante du Collège Lasalle de Montréal, et Nadia El Hamiri, directrice adjointe aux soutiens administratifs, ont coorganisé une récolte de dons financiers et de matériel en collaboration avec le Collège Lasalle. Dans une entrevue avec Le Délit, Adib Lahlou nous a expliqué le fonctionnement de la collecte : « Avec la direction du Collège Lasalle, nous étions initialement partis sur l’idée de faire une collecte de dons en argent via la Croix-Rouge [canadienne, ndlr], et par la suite on a pensé faire une collecte de vêtements et de matériel. »

Lors de notre entrevue, Adib, lui-même d’origine marocaine, nous a fait part de l’engouement collectif à aider existant au sein de la diaspora marocaine : « On a fait un fichier Excel dans lequel on a 260 bénévoles inscrits et 96 actifs qui participent au triage. » Adib nous a notamment expliqué qu’ils ont rapidement été débordés et ont même dû changer de local : « On a été victime de notre succès […], dès le premier jour, lorsqu’on était à l’intérieur du Collège, on a reçu beaucoup [de matériel] et on ne savait pas où le stocker. » L’administration du Collège a donc ouvert un espace bien plus grand à quelques pas du local initial, au 2110 rue Sainte Catherine. Adib nous a confié que : « Étant Marocain et ayant vécu là bas, je n’en attendais pas moins de la solidarité marocaine, mais là, ça dépasse mes attentes […] tu n’as qu’à voir derrière toi : wow ! »

« Nous les marocains, que ce soit au Maroc, au Canada, en Europe ou ailleurs, on est unis »


Mohammed Essaïdi

Au cours de notre passage dans le local de la récolte, nous avons croisé Mohammed Essaïdi, un étudiant à l’Université de Montréal (UdeM) venu donner du matériel. Il nous a raconté vouloir faire ça « par cœur ». « Je suis d’origine marocaine et j’en suis fier, je veux aider les gens qui sont affectés ». En le questionnant s’il s’attendait à une telle entraide, il nous a répondu « oui bien sûr, nous les Marocains, que ce soit au Maroc, au Canada, en Europe ou ailleurs, on est unis. »

Des complications pour transporter le matériel accumulé

Une fois le matériel récupéré et organisé, il faut désormais trouver un moyen de transport rapide vers le Maroc. Néanmoins, plusieurs des organisateurs ont dû faire face à de nombreuses complications : ils n’ont toujours pas trouvé de compagnie aérienne pour transporter le matériel gratuitement vers le Maroc. « Envoyer du matériel par avion représente un coût en milliers de dollars. C’est bête de payer dans ce genre de situation où il y a déjà un sinistre. » Les organisateurs de l’action semblent donc se tourner vers l’option du cargo : « Cela prendrait entre 3 à 5 semaines, donc c’est long, mais c’est l’option la moins chère et ce n’est pas demain que les plus démunis seront relogés, il y aura encore besoin de ce matériel. » Si cette option est choisie, les organisateurs de l’action lanceront une récolte de fonds pour financer le transport.

Un autre facteur limitant pour le moment est la décision marocaine de restreindre temporairement l’aide internationale. En effet, le Maroc n’a, en date du 17 septembre, accepté l’aide que de quatre pays : le Royaume-Uni, l’Espagne, le Qatar et les Émirats arabes unis. Adib comprend ces mesures : « Pour le moment les routes ne sont pas praticables, il faut s’organiser et déblayer. […] On attend toujours les autorisations pour envoyer tout cela […] le Maroc est actuellement en train de s’organiser sur le terrain pour certainement ouvrir dans quelques jours les dons internationaux de matériel », explique-t-il.

Lorsque l’aide internationale sera possible, le Collège Lasalle compte utiliser son réseau d’établissements pour affréter le matériel accumulé vers le Maroc. En effet, l’institution d’enseignement supérieur est québécoise, mais comporte 23 campus présents sur cinq continents. Adib raconte que c’est aussi pour cela que le Collège s’est rapidement impliqué. « Comme on a des campus au Maroc, notamment à Casablanca, à Marrakech, Tanger et Rabat, on va tout affréter vers le Collège Lasalle de Marrakech, et de là bas il y a un relais qui va se faire vers les zones plus lointaines. »

Une « diplomatie des séismes » ?

Un événement surprenant a eu lieu en marge de cette catastrophe naturelle : l’Algérie a annoncé rapidement son soutien et a même proposé son aide. Les deux voisins ont des relations crispées depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, qui avait notamment été suivie d’un conflit ouvert avec le Maroc : la guerre des Sables de 1963. Depuis, le sujet du Sahara occidental catalyse ces tensions. D’un côté, le Maroc revendique sa souveraineté sur le territoire, et de l’autre, le groupe séparatiste du Front Polisario, appuyé et hébergé par l’Algérie, prône l’autodétermination des populations sur ce territoire. En raison de ces divergences, les relations entre le Maroc et l’Algérie ont récemment été au point mort. En 2021 par exemple, l’Algérie avait notamment fermé son espace aérien au Maroc et rompu les liens diplomatiques avec ce dernier.

La catastrophe du vendredi 8 septembre a donc laissé penser à un retour de la diplomatie des séismes : un réchauffement des relations diplomatiques entre deux pays à la suite d’une catastrophe sismique. Précédemment, le Maroc avait déjà marqué sa sensibilité envers son voisin lors de catastrophes naturelles.

Le royaume avait par exemple proposé une aide à l’Algérie lorsque le pays faisait face à des feux de forêts en août 2021. Cette fois-ci, c’est l’Algérie qui a fait un pas de solidarité envers le Maroc : le pays a rouvert son espace aérien – fermé depuis 2 ans – et a proposé d’envoyer des équipes de secouristes et du matériel destiné au sinistrés. Néanmoins, comme le pays l’a fait pour les États-Unis ou la France, le Maroc a refusé cette aide. Pour Adib Lahlou, cette proposition est « ridicule ». Il souligne le contraste entre cette proposition et les tensions existantes au Sahara occidental. Il mentionne notamment que peu après le séisme, « les milices du Polisario, basées en Algérie, ont commencé à frapper le sud du Maroc [territoire reconnu par l’ONU comme Sahara occidental, ndlr] en plein séisme et catastrophe naturelle […] alors que les Forces armées royales [marocaines, ndlr] sont mobilisées pour porter aide aux victimes ». Adib termine son propos en ajoutant : « Tendez-nous la main, mais une bonne main. »

« On se prépare déjà, on commence déjà à trier »


Adib Lahlou

Alors que la récolte devait initialement durer jusqu’au vendredi 22 septembre, celle-ci s’arrêtera prématurément le mardi 19 septembre. Adib explique cette décision : « On a récolté le double de ce que nous avions prévu. Il nous faut maintenant du temps pour s’organiser en interne pour trier et proposer une aide la plus efficace possible. » Par exemple, certains éléments récupérés ne sont pas adaptés au besoin des victimes du séisme (des vestes « trop » chaudes par exemple). Néanmoins ce matériel « inadapté » va garder son utilité : les organisateurs cherchent actuellement une action similaire à la leur, récoltant du matériel pour la Libye, qui fait actuellement face à des inondations dévastatrices. « Entre un séisme et des inondations, ce n’est pas le même besoin. Nous pouvons leur donner du matériel inadapté à nos besoins, mais adapté aux leurs : il est question de solidarité marocaine, mais aussi de solidarité arabe et musulmane. »


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