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McGill et les terres non cédées : promesses et (in)action

Les reconnaissances territoriales peuvent-elles mener vers la réconciliation ?

Rose Chedid | Le Délit

Les reconnaissances territoriales sont aujourd’hui mises de l’avant comme une manière de souligner l’appartenance des territoires sur lesquels nous vivons aux peuples autochtones, mais aussi de rappeler qu’il est important d’honorer leurs droits ancestraux et la préservation de leur culture sur les terres qui leur ont été enlevées durant la période coloniale. Cette forme de réappropriation symbolique du territoire, loin d’être une finalité en soi, doit servir de rappel constant du passé des terres sur lesquelles nous nous retrouvons pour étudier.

L’Université McGill, dont le campus du centre-ville est situé sur les terres autochtones de la communauté Kanien’kehá:ka, a non seulement un devoir de reconnaissance, mais doit également être l’instigatrice d’un mouvement de sensibilisation à l’égard de la cause autochtone sur le campus car elle demeure parfois mal comprise. Alors que les reconnaissances de territoire se retrouvent dans la plupart des plans de cours et dans la majorité des événements académiques de l’Université, leur lecture conserve-t-elle leur pertinence si elles ne sont pas suffisamment mises en contexte et n’entraînent pas d’actions concrètes de la part de McGill ?

Que fait McGill pour la cause autochtone ?

En 2017, le Groupe de travail du vice-principal exécutif sur les études et l’éducation autochtones publie un rapport final, au sein duquel sont émis 52 appels à l’action « jugés essentiels au succès du projet de réconciliation et de reconnaissance des peuples autochtones de McGill », comme l’indique le site web du Bureau des initiatives autochtones (BIA). Ce Bureau, qui a été créé en réponse à l’appel à l’action 48, incite McGill à se mobiliser davantage pour encadrer les étudiant·e·s autochtones à travers leur parcours universitaire et accroître le financement accordé à la cause autochtone.

Interrogée par Le Délit, Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de l’Université McGill, a développé sur la mission du Bureau : « En tant que responsable institutionnel de la vision de McGill en matière d’enjeux autochtones, le BIA, dirigé par la vice-principale exécutive adjointe (Initiatives autochtones), joue un rôle à plusieurs niveaux en s’efforçant d’intégrer l’identité autochtone dans toutes les facettes de la vie universitaire. Il s’emploie également à renforcer la sensibilisation et l’harmonisation des diverses initiatives autochtones dans l’ensemble de l’Université, à favoriser la réussite des étudiants et des professeurs autochtones, et à soutenir la mise en œuvre des 52 appels à l’action de McGill en matière d’études autochtones et d’éducation autochtone. »

Or, la manière dont s’orchestrent les consultations entre l’Université et les communautés autochtones sur le campus nous paraissent floues et difficilement accessibles. Frédérique Mazerolle soutient que « l’Université s’engage à travailler en collaboration avec les membres de la communauté mcgilloise pour faire avancer les appels lancés par la Commission de vérité et de réconciliation du Canada et les engagements en faveur de la décolonisation et de l’autochtonisation dans les domaines de l’enseignement autochtone, de la réussite des étudiants autochtones, des communications, des événements et de l’établissement de relations, en renforçant la présence autochtone et la représentation physique des autochtones sur nos campus ».

« Les colonisateurs ne comprennent pas le sens [des reconnaissances territoriales], n’ont pas fait de recherches sur ce qu’ils disent, et [ leur emploi] est générique et trop souvent répété »


Aaron, membre des communatés Anishinaabe et Haudenosaunee

Témoignage d’étudiant·e·s mcgillois·e·s

Le Délit s’est entretenu avec Aaron*, un étudiant de première année à McGill et membre des communautés Anishinaabe et Haudenosaunee. Il nous confie : « Je crois que les reconnaissances de territoire sont une pratique importante. Aux temps pré-coloniaux, lorsque les peuples autochtones se déplaçaient sur les territoires d’autres nations, ils remerciaient la nation hôte pour son hospitalité et reconnaissaient la terre sur laquelle ils étaient invités. Bien que les reconnaissances de territoire soient importantes, il existe tout de même une tendance chez les colonisateurs à les instrumentaliser pour signifier leur solidarité. Souvent, les colonisateurs n’en comprennent pas le sens, n’ont pas fait de recherches sur ce qu’ils disent, et utilisent une reconnaissance de territoire générique et trop répétée. Ceci amoindrit la nécessité et la valeur de ces reconnaissances et propage une fausse solidarité qui est préjudiciable et blessante pour les personnes autochtones qui partagent leur espace avec des colonisateurs. (tdlr) » À une question sur les actions entreprises par l’Université McGill, Aaron précise qu’il n’est qu’en première année et juge ne pas être pleinement renseigné sur les initiatives de McGill. Ceci dit, il juge que « les reconnaissances de territoire ne cachent pas nécessairement un manque d’actions concrètes. Effectivement, dans plusieurs cas, les colonisateurs croient qu’une reconnaissance de territoire représente la majeure partie du travail qu’ils doivent accomplir, alors que la plupart des personnes autochtones préféreraient éviter les reconnaissances de territoire vides de sens et superficielles. Malgré tout, McGill a lentement entrepris des actions concrètes pour améliorer ses relations avec les peuples autochtones. Cela inclut la mise en place de mécanismes de consultation, des cours d’études autochtones, ainsi que le financement de la First Peoples’ House. Cependant, McGill devrait également éduquer sur la compréhension des reconnaissances territoriales, ainsi qu’améliorer les ressources disponibles sur l’importance de la terre sur laquelle les colons résident ».

Le sens que revêtent ces reconnaissances de territoire et le contexte dans lequel elles interviennent est-il en revanche bien compris par tous·tes ? Selon Clara*, ayant été coordonnatrice à l’édition 2023 de Frosh et ayant suivi des formations afin de bien réciter les reconnaissances territoriales, « il y a un manque de communication de la part de McGill sur la raison derrière ces reconnaissances de territoire. Il a fallu que je reçoive un entraînement pour comprendre pourquoi on en faisait ».

Elle a reçu de la part des personnes responsables de son entraînement des directives qui pourraient paraître « contradictoires », selon ses propres mots. La première de ces directives, « c’est surtout ne pas écorcher les noms, et que si on pense ne pas être en mesure de les prononcer, il faut mettre l’audio, pour une question de respect. Mais la deuxième directive demande aussi de faire un effort individuel [pour respecter la prononciation, ndlr] », nous explique-t-elle. Elle dit avoir tenté de comprendre comment bien les dire, car il s’agit d’« une manière de respecter l’histoire, de respecter ce qui s’est passé, et surtout de faire un travail de non-oubli sur l’histoire et ces territoires non cédés ».

Marie Prince | Le Délit

Que des paroles en l’air ?

Les témoignages d’Aaron et Clara nous éclairent sur le manque d’exhaustivité quant aux raisons pour lesquelles on s’adonne aux reconnaissances territoriales, et leur absence de corrélation avec des gestes significatifs posés par McGill. Bien que les reconnaissances de territoire partent d’une intention noble, elles semblent presque surfaites dans le contexte mcgillois, et on doute que leur impact soit conséquent pour initier un véritable désir de s’informer sur ses enjeux adjacents de la part de la communauté étudiante. La préservation des langues, la défense des droits, la promotion des cultures autochtones sont tout autant des dossiers de taille, qui semblent délaissés, mais qui devraient faire l’objet d’une attention continue. Alors que les reconnaissances de territoire sont en soi un pas dans la bonne direction, il reste du devoir de McGill d’accorder la même importance à ces enjeux que celle donnée à l’histoire du territoire mcgillois.

Au-delà du fait que les reconnaissances territoriales manquent parfois de contextualisation, on juge que l’élocution expéditive qui les caractérise dénote souvent une certaine indifférence. Initialement, la mise en place d’une telle mesure a dû sembler novatrice, et a certainement mené un certain nombre d’étudiant·e·s à se renseigner sur les questions autochtones, mais on craint qu’à l’usure, les reconnaissances territoriales ne soient devenues dans l’oreille de plusieurs que des mots dénués de sens qu’on nous répète au début de chaque trimestre. Bien qu’on juge important de continuer à en faire, leur portée nous semble actuellement limitée.

L’Université devrait en ce sens faire un travail beaucoup plus conséquent pour rendre publiques et facilement accessibles les informations qui ont trait aux initiatives dont l’accomplissement est en cours. La communication de la part de McGill quant aux avancées des appels à l’action est aussi défaillante, et laisse transparaître une forme de laxisme pour tenir informée la population étudiante quant aux initiatives relatives aux causes autochtones. Parmi les 52 appels à l’action rédigés en 2017, le cinquantième nous semble assez représentatif de l’état des affaires autochtones à McGill. Ce dernier invitait l’Université à « créer une stratégie de communication coordonnée concernant les initiatives, les programmes et les peuples autochtones. […] le Groupe de travail invite en outre notre Université à explorer et à développer des modes systématiques visant à améliorer la prise de conscience générale et la compréhension quant aux questions autochtones et à stimuler la participation ayant trait aux initiatives d’éducation par tous les membres de la communauté mcgilloise ». 

« La réconciliation ne consiste donc pas simplement à cocher une case permet- tant d’affirmer que tel ou tel problème est résolu. Au contraire, c’est plutôt un continuum d’actions visant à aborder les préoccupations, les problèmes existants et à créer des relations positives entre colonisateurs et colonisés »


Aaron, membre des communautés Anishinaabe et Haudenosaunee

Six ans après le rapport du Groupe de travail, il nous semble difficile d’affirmer avec confiance que McGill a réussi dans ce domaine. Nous aurions aimé pouvoir témoigner de la réussite de l’appel à l’action 50, mais cela nous semble loin d’être accompli.

Pour Aaron, « La réconciliation signifie la prise de mesures significatives par les institutions coloniales afin de résoudre les problèmes qu’elles ont créés, causant des préjudices et des traumatismes aux peuples autochtones, et un engagement à marcher main dans la main tel que prévu dans les traités de ceintures wampum et autres accords. Cela inclut notamment comme première étape cruciale la reconnaissance des méfaits et des rôles joués par les colonisateurs dans la création d’une structure de racisme institutionnalisé et systémique. La réconciliation ne consiste donc pas simplement à cocher une case permettant d’affirmer que tel ou tel problème est résolu. Au contraire, c’est plutôt un continuum d’actions visant à aborder les préoccupations, les problèmes existants et à créer des relations positives entre colonisateurs et colonisés ».

Bien que les reconnaissances territoriales soient essentielles à la sensibilisation aux causes autochtones, elles devraient s’inscrire au sein d’un effort constant pour la réconciliation. Comme Aaron le souligne, McGill se doit d’entreprendre des actions concrètes de façon continue afin d’amoindrir les effets de l’institutionnalisation de la discrimination à l’égard des personnes autochtones.

*Noms fictifs


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