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Relier la terre et l’humanité

Pensées et splendeurs de la Colombie autochtone : perdre la notion du temps au Musée des beaux-arts.

Rose Chedid | Le Délit

« Nous avons tous besoin les uns des autres. Aucun être n’est plus important qu’un autre : tous jouent leur rôle en synchronisation avec les autres. » Les mots de Jaison Pérez Villafaña, aîné de la communauté autochtone colombienne des Arhuacos, pourraient résumer l’exposition Pensées et splendeurs de la Colombie autochtone – L’univers au creux des mains, actuellement présentée au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Présentant quelque 400 œuvres datant d’environ 1500 AEC à nos jours, cette exposition se donne pour défi de faire découvrir au public une manière d’appréhender le monde qui remet en question la dichotomie occidentale entre nature et culture.

Une approche inédite

La colonisation de la Colombie par l’Espagne à partir du 16e siècle a effacé de l’histoire les modes de pensée et les pratiques autochtones au profit de l’idéologie occidentale, qui place la modernité et l’eurocentrisme au cœur de ses réflexions. Comme il était d’usage pour les colons de voler les œuvres autochtones et de les exposer dans leur propre pays comme des « curiosités », elles ont souvent été sorties de leur contexte d’origine et privées de leur dimension spirituelle. Les commissaires de l’exposition ont travaillé en collaboration avec la communauté des Arhuacos de la Sierra Nevada de Santa Marta (au nord de la Colombie), qui est activement impliquée dans le projet. Grâce à ce dialogue, le MBAM révèle aux visiteur·euse·s le sens des objets et réhabilite ainsi certains savoirs autochtones ancestraux. Les Arhuacos considèrent leurs œuvres comme des êtres encore vivants et porteurs de messages. Afin que les objets exposés ne se retrouvent pas figés dans l’inertie, les commissaires ont adopté une démarche muséologique originale : les dates de création des œuvres ne sont pas indiquées sur les écriteaux.

Un travail d’orfèvre remarquable

Les pendentifs, masques, ornements de pectoraux et de nez, constituent autant de petits objets empreints de délicatesse qui demandent l’attention des visiteur·euse·s. La plupart de ces bijoux sont fabriqués à partir d’un alliage d’or, associé au soleil et à l’essence masculine, et de cuivre, en lien avec la lune et l’essence féminine. Contrairement à la vision occidentale, les Autochtones de la Colombie accordent à l’or une valeur davantage spirituelle que monétaire. Cependant, en raison de l’exploitation des ressources naturelles par les colons, les techniques d’orfèvrerie ancestrales se sont peu à peu perdues. L’exposition permet également d’apprécier le travail des Arhuacos dans le domaine de la céramique. À partir de ce matériau, il·elle·s ciselaient un instrument de musique à vent appelé ocarina, dont la forme et le son sont similaires à ceux d’un oiseau. Le système de connaissances ancestrales arhuaco repose sur la loi des origines, une philosophie qui régit les relations entre les êtres humains, la nature et l’univers. Ces principes se concrétisent à travers les rituels de baptême, de mariage, de danses traditionnelles et d’offrandes aux puissances spirituelles. Comme la plupart des œuvres exposées, l’ocarina est utilisé lors de ces cérémonies. La musique, qui imite le son de la nature, est perçue par les Arhuacos comme un élément clé dans le processus de création. Au commencement du monde, la croyance arhuaco veut que la musique ait servi à transformer la pensée en matière. Le son particulier de l’ocarina accompagne d’ailleurs la visite de l’exposition.

« Les commissaires de l’exposition ont travaillé en collaboration avec la communauté des Arhuacos de la Sierra Nevada de Santa Marta (au nord de la Colombie), qui est activement impliquée dans le projet »

Des œuvres qui rappellent l’interdépendance entre notre planète et tous ses hôtes

La conceptualisation par les Européen·ne·s de l’humanité et de la nature en tant qu’entités séparées a constitué un moyen de légitimer leurs pratiques extractivistes, qui conduisent à la destruction de l’environnement. À l’inverse, pour de nombreux peuples autochtones d’Amérique du Sud, l’être humain fait partie d’un ensemble harmonieux qui devrait être respecté et qui ne comprend pas de hiérarchie avec les autres êtres. Les sculptures présentées témoignent de cette fluidité. Elles représentent souvent des personnages hybrides, par exemple un pendentif qui mêle les traits du félin, de la grenouille et du serpent. Conformément à la volonté de la communauté des Arhuacos, les œuvres ont été regroupées dans les salles de manière à respecter le cycle continuel de la nature que constitue la chaîne alimentaire des animaux. Ainsi, par exemple, les insectes et les chauves-souris sont disposés dans une vitrine avec des fruits. L’exposition invite à l’introspection. À la manière des chefs spirituels, les pensadores, qui passent leurs journées assis sur des banquitos (petits bancs) afin de dialoguer avec l’univers, les visiteur·euse·s sont incité·e·s à réfléchir à la relation nécessaire qu’il·elle·s entretiennent avec les arbres, l’air, le vent, le soleil et leurs proches.

L’exposition Pensées et splendeurs de la Colombie autochtone – L’univers au creux des mains est présentée au MBAM jusqu’au 1er octobre 2023.


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