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Un verre à la grande beauté des femmes

Le solo brillant de Guylaine Tremblay dans Les étés souterrains.

Rose Chedid | Le Délit

C’est dans l’ambiance intimiste de la salle de la Grande Licorne, au théâtre La Licorne, que Guylaine Tremblay nous livre un solo bouleversant. Elle y incarne une professeure de littérature à Montréal, chez qui une maladie dégénérative va progressivement altérer les capacités physiques et mentales. Deux moments de sa vie se répondent tout au long de la pièce : ses étés en Provence qu’elle passe accompagnée de ses amis, et sa solitude dans un centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD).

Une pièce qui se joue sur deux tableaux

La pièce dure 1h40 sans entracte. Le décor est minimaliste : une table, des oranges, des fleurs et un écran. Une toile presque vierge qui laisse toute la place à l’actrice pour nous faire passer des cigales de la Provence au silence du CHSLD. Le jeu de contraste des lumières oranges et bleues nous accompagne également dans les transitions entre ces deux moments de vie. Le texte a été conçu spécifiquement pour l’actrice par Steve Gagnon. Il y dépeint une « femme rare » à laquelle peuvent s’identifier toutes les femmes. C’est un personnage extrêmement vivant, on s’attache à son caractère franc et plein d’humour. Elle prend de la place, danse la salsa, exprime à voix haute ses opinions. Féministe, elle n’hésite pas à traiter ses amis de misogynes s’ils n’ont pas un comportement approprié envers les femmes. Derrière son franc-parler, la protagoniste a une grande pudeur dans l’expression de son affection. C’est au CHSLD qu’elle se fait un devoir d’aller jusqu’au bout de ce qu’elle a vécu avec ses proches pour qu’il n’y ait « rien à regretter ». Elle parlera de son amour pour ceux qui l’entourent jusqu’à ce que la maladie la rende aphone. Ce qu’elle redoute dans sa maladie, c’est la dépendance aux autres, elle qui nous avoue ne jamais avoir appris à être fragile. Mais c’est cette vulnérabilité qui va lui permettre de s’ouvrir et d’exprimer son amour sincèrement. Le contraste entre les scènes se déroulant en Provence et celles qui se passent dans le CHSLD est ainsi d’autant plus marqué qu’il met en scène la protagoniste sous deux aspects opposés : d’un côté, son imperméabilité dans sa force joyeuse, de l’autre, sa sensibilité touchante lors de sa maladie.

Une véritable lettre d’amour aux autres et à la vie

C’est une pièce qui parle d’amour, et, en cette qualité, qui met en lumière les relations interpersonnelles qui entourent la protagoniste. On est touchés par l’affection qu’elle porte à sa fille, alors que la protagoniste nous confie qu’elle a été dure avec elle afin qu’elle ne soit pas « une victime ». Elle parle de leur décalage dans leurs façons différentes de voir la vie, puis de leur éloignement. Pourtant, au CHSLD, les fleurs de sa fille sont les seules qu’elle accepte dans sa chambre, et quand elle évoque son absence dans son monologue, c’est pour dire qu’elles s’aiment « de la bonne manière ».

On y parle aussi de sa relation avec ses amis, qu’elle part rejoindre chaque été, de l’affection qu’ils se portent malgré leurs désaccords et l’évolution de leurs relations. Enfin, on y voit son amour pour Arthur, son compagnon. Elle qui a eu tant de mal à se montrer vulnérable dans sa relation avec lui — c’est le dernier à qui elle annonce sa maladie — elle exprime au CHSLD toute la tendresse qu’elle lui porte. Ses dernières paroles contemplent la beauté des moments qu’ils ont vécu ensemble.

« La lumière s’allume, Guylaine Tremblay commence à parler, et la magie s’opère »

Cette pièce participe à la mission du théâtre La Licorne, soit de créer un lien avec le public à travers un échange, de voir « l’autre comme révélateur de nous-même », tel que l’exprime le directeur artistique et général du théâtre, Philippe Lambert.

On le voit lors des soirs de représentation. La lumière s’allume, Guylaine Tremblay commence à parler, et la magie s’opère. La salle rit, la salle s’émeut. Un échange a lieu entre l’actrice et les spectateurs. En nous invitant à « continuer à parler fort », elle témoigne de la nécessité de prendre de la place, de ne pas se taire, car on « bâtit avec la parole ». Les étés souterrains est une pièce nécessaire dans son injonction à vivre.


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