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Quand la photographie alerte sur la fin d’un mode de vie

Entrevue avec Jonathan Fontaine, lauréat du concours World Press Photo 2023.

Jonathan Fontaine

Le 29 août, Le Délit s’est rendu en avant-première au vernissage de la 16e édition de l’exposition World Press Photo 2023. Désignée par le New York Times comme « le plus important événement en photojournalisme », l’exposition est prolongée de deux semaines cette année et sera ouverte au public du 30 août au 15 octobre au Marché Bonsecours à Montréal.

La Fondation World Press Photo, basée aux Pays-Bas, est une organisation à but non lucratif, engagée pour la liberté de la presse. Celle-ci est inscrite dans La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme comme le droit « de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ». Cette liberté fondamentale représente un enjeu considérable pour les photojournalistes, qui sont souvent menacés lorsqu’ils se rendent sur le terrain dans certains pays moins démocratiques. Par ailleurs, elle ne cesse de reculer dans le monde depuis 2012, d’après un récent rapport de l’UNESCO. La Fondation World Press Photo propose un concours annuel aux photographes et photojournalistes internationaux, dont les œuvres sont ensuite exposées, qu’elles soient gagnantes ou non, pour mettre en lumière des enjeux sociétaux souvent dissimulés par certains gouvernements. Le Délit a eu l’occasion de réaliser une brève entrevue avec le lauréat de l’édition 2023, Jonathan Fontaine.

« Tu n’as pas d’appartement ; ta vie est un sac à dos »

Depuis 2013, ce photojournaliste français parcourt le monde pour réaliser des reportages photographiques. Cette année, il a reçu le premier prix pour sa série de photographies intitulée L’ultime voyage du nomade, dans laquelle il expose les conséquences du réchauffement climatique sur le nomadisme pastoral, en déclin dans la corne africaine. Ces nomades se déplacent avec leur troupeau, mais parce que les animaux périssent lors des grandes sécheresses, ils sont contraints d’abandonner leur mode de vie et de se sédentariser dans des camps, où ils deviennent des réfugiés climatiques. L’image gagnante représente Samira, jeune fille de seize ans, observant l’un
de ces camps de réfugiés, situé en Éthiopie.

Le Délit (LD) : Comment choisissez-vous vos destinations quand vous partez faire vos reportages ?

Jonathan Fontaine (JF) : Il y a plusieurs facteurs. Parfois, je connais un petit peu le pays et le sujet que j’ai envie de réaliser. Ça m’arrive d’aller dans un pays que je ne connais pas et d’y trouver le reportage à faire. Donc, la destination n’est pas toujours commandée ou prévue. Je voyage non-stop depuis dix ans. Je suis constamment à la recherche de ce que je peux faire et à la découverte de nouveaux pays. Avant tout, je suis voyageur, photographe, et journaliste. Un exemple : l’Éthiopie fait un grand barrage sur le Nil, ce qui amoindrit l’eau au Soudan et en Égypte. Je me dis qu’il y a un truc qui se passe et j’y vais. Après, cela peut changer : on a une idée entre-temps et quand on est sur le terrain, soit c’est différent, soit ça change.

LD : Ciblez-vous particulièrement des pays en développement ?

JF : Oui, je ne fais pas beaucoup le Canada (rires). Ce qui m’intéresse dans mon travail, c’est plutôt l’impact que la vie humaine, l’économie humaine, a sur les gens. Cela passe par la déforestation, le changement climatique. C’est pour cela que souvent, les pays les plus touchés restent en Afrique, en Amérique du Sud, et dans des parties de l’Asie. Donc, c’est sûr que je ne choisis pas les États-Unis. De toute façon, j’aime bien découvrir des cultures différentes de la mienne. On apprend toujours. Moi, j’ai une culture occidentale. Quand on est dans une forêt avec des gens qui sont nomades, il y a un décalage. Mais les gens, ils vivent comme ça et ils sont heureux, ou malheureux de ne plus vivre comme cela. Quand certains profitent des avions et d’une économie riche, d’autres en souffrent…

« Moi, l’art, j’aime quand il est engagé »

LD : Ne culpabilisez-vous pas parfois quand vous êtes sur place et comparez votre sort au leur ?

JF : Non, c’est ma motivation. C’est parce que je viens de pays aisés que je me dis que c’est un devoir d’aller documenter ce savoir pour le ramener et changer les choses à ma manière. Cela amène beaucoup plus d’attention à ces injustices, alors c’est vrai que si je pouvais gagner tous les ans, cela m’aiderait !

LD : J’ai lu que vous vous déplacez à vélo pour réaliser vos reportages, n’est-ce pas trop difficile parfois ?

JF : Ça c’est nouveau. Je commence à explorer de nouvelles façons de voyager. Et le vélo, j’aime beaucoup. Donc relier les chemins par la terre, cela permet de croiser des villages, faire des rencontres, et dénicher des histoires. C’est comme faire un documentaire. On trouve quelque chose et on reste vivre avec les gens. Je suis encore en train d’explorer ce mode de déplacement. Pour l’instant je ne vois pas ça comme une façon de faire, parce que je continue à voyager, à prendre l’avion, même si j’essaie de me limiter à deux vols par an. Mais si pendant mon voyage, je veux changer de pays, je m’impose de prendre le bus, ce qui est bien parce que l’on rencontre beaucoup plus de gens par les transports en commun qu’en avion. Une méthode lente, mais qui s’oppose justement à la mondialisation, qui veut que tout soit rapide. C’est un choix. Pas beaucoup de photojournalistes font comme moi. D’autres préfèrent voyager au gré des commandes, ou alors se baser dans un même pays pendant longtemps, c’est un autre modèle. Moi j’ai mon modèle à moi. Tu n’as pas d’appartement ; ta vie est un sac à dos.

LD : Quand vous faites vos photos, vous sentez-vous plus artiste ou journaliste ?

JF : Journaliste.

LD : Vous donnez la priorité au message plutôt qu’à la beauté artistique ?

JF : C’est ça. Disons que je privilégie le côté… intérêt général. Le journaliste rapporte la réalité à la presse internationale. Je me considère donc juste comme un rapporteur. Je rapporte les informations, et après, c’est la politique qui doit faire la suite. Clairement, c’est un grand débat, parce que les gens me disent : « Mais si, tu es un artiste ! » Si on me perçoit comme artiste, d’accord, mais moi je me sens plutôt photographe-journaliste, documentariste. Mais, il y a différents types de photographes. Certains sont plus artistiques, contemporains. Moi, l’art, j’aime quand il est engagé.

Vous pouvez aller voir l’exposition World Press Photo au Marché Bonsecours jusqu’au 15 octobre pour y découvrir les photographies de Jonathan Fontaine, et de bien d’autres artistes engagés à travers la planète.


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