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Le monde des TAs : regards sur McGill

Une exploration de leurs conditions de travail et de leurs expériences.

Clément Veysset | Le Délit

Alors que bon nombre d’étudiant·e·s cherchent à économiser pendant l’été, d’autres dépendent du salaire d’un emploi à mi-temps, effectué en parallèle de leurs cours. Quels que soient les profils, l’emploi à mi-temps se révèle être une composante essentielle de la vie étudiante, que ce soit à McGill ou dans d’autres universités canadiennes. Une étude de 2015 du Consortium Canadien de Recherche révèle que « près de six étudiant·e·s de dernière année sur dix occupent […] un emploi, dans 15 % des cas sur le campus ».

Parmi les étudiant·e·s‑travailleur·se·s qui convoitent une expérience professionnelle formatrice, plusieur·e·s s’orientent vers la position d’auxiliaire d’enseignement ou Teaching Assistant (TA), qui leur permet d’acquérir des compétences dans le champ d’expertise où ils·elles souhaitent exercer plus tard. Ce poste, pratiqué en étroite collaboration avec les responsables du cours, permet également de mieux s’initier à la pédagogie dans un contexte d’apprentissage réel. L’auxiliariat d’enseignement est-il à la hauteur des attentes des personnes qui l’exercent ? Le Délit s’est penché sur la question en interrogeant divers TAs, ainsi que leur syndicat, afin de comprendre comment sont régies leurs conditions de travail.

Entre engagement et compensation financière

Présent dans la majorité des universités canadiennes, l’auxiliariat d’enseignement constitue l’une des voies d’avenir les plus intéressantes qui s’offrent aux étudiant·e·s lorsqu’ils·elles en viennent à chercher un travail à côté de leurs études. À McGill, le poste présente un salaire relativement compétitif, s’élevant à plus de 30$ de l’heure, celui-ci pouvant légèrement diverger entre les départements. En sciences politiques, le salaire s’élevait à 32,38$ par heure au semestre d’hiver 2022 et demeurait donc très avantageux comparativement au salaire minimum, qui était alors de 13,50$ au Québec.

Raphaël*, qui a exercé à maintes reprises le poste d’auxiliaire d’enseignement durant son cursus universitaire, notamment durant sa maîtrise et son doctorat, confirme que « la compensation financière pour le travail de TA est fantastique (tdlr) ». Il ajoute cependant que le système de rémunération peut paraître ambigu à certains moments : « Le seul domaine où il y a une sorte de zone grise, je suppose, où cela ne semble pas nécessairement juste, c’est la façon dont l’argent gagné en tant qu’auxiliaire d’enseignement est parfois pris en compte dans l’enveloppe globale de financement. Vous travaillez, vous gagnez cet argent, mais ensuite c’est comme si c’était pris en compte dans le montant que vous êtes censés payer à McGill de toute façon. Certains étudiants pourraient avoir l’impression que le système fonctionne de manière à profiter d’eux. »

« En sciences politiques, le salaire s’élevait à 32,38$ par heure au semestre d’hiver 2022 et demeurait donc très avantageux comparativement au salaire minimum »

Ce système, au sein duquel opèrent les TAs, est bien connu de l’Association des étudiant·e·s diplômé·e·s employé·e·s de McGill (AÉÉDEM). Ce syndicat, fondé en 1993 et représentant plus de 2000 travailleuses et travailleurs, lutte pour les droits des auxiliaires d’enseignement à McGill. Leur principale mission : obtenir de meilleures conditions de travail et de meilleurs taux de rémunération pour les TAs, ainsi que de meilleurs services pour les étudiant·e·s.

Jade Lê | Le Délit

La convention collective établie entre l’Association et l’Université McGill, ayant expiré le 31 juillet dernier, doit être renégociée au cours de l’automne 2023. Selon le site web du syndicat, cette convention assure « des pratiques d’embauche justes et transparentes, une priorité d’embauche, un salaire standard qui augmente avec l’inflation, des congés sans solde, des protections contre le harcèlement et la discrimination au travail, une procédure de grief et une formation rémunérée ». Raphaël confie que le rôle de l’association est crucial : « Tous les TAs, du simple fait qu’ils ont un poste, sont techniquement membres de l’AÉÉDEM. Le syndicat [fait] beaucoup pour soutenir les TAs et s’assurer qu’ils vivent une bonne expérience à McGill. Ils sont en quelque sorte un point de contact en cas de problème, et ont négocié au cours des années un très bon taux horaire pour les TAs. » Mario Roy, président de l’AÉÉDEM, confirme dans une entrevue avec Le Délit que le syndicat est là « si nécessaire, pour supporter et faciliter les discussions [entre l’auxiliaire d’enseignement et le responsable du cours] afin de s’assurer que toutes les heures travaillées soient payées ».

« Le syndicat [fait] beaucoup pour soutenir les TAs et s’assurer qu’ils vivent une bonne expérience à McGill. Ils sont en quelque sorte un point de contact »


Raphaël*, ancien TA en musique

Comment les TAs gèrent-ils leur temps ?

La comptabilisation des heures doit normalement être déterminée préalablement entre le TA et le responsable du cours. « Le professeur rencontre les TAs au début du trimestre, puis à la moitié du trimestre, pour signer ce qu’on appelle un formulaire de charge de travail qui contient les détails sur la manière dont les heures vont être réparties. Il est ensuite recommandé aux TAs de suivre leurs heures afin de s’assurer qu’ils ne dépassent pas le nombre d’heures fixé pour le trimestre », nous explique Raphaël.

La convention collective prévoit que « l’affectation d’une Personne Auxiliaire d’enseignement à temps plein comporte au maximum cent quatre-vingts (180) heures de travail par trimestre », ce qui représente « en moyenne douze heures de travail par semaine ». Les instances pour lesquelles les TAs ne sont pas payé·e·s pourraient alors être le résultat d’heures supplémentaires qui n’ont pas été déclarées par les TAs.

En effet, la démarche pour faire reconnaître un surplus d’heures peut se révéler laborieuse, voire décourageante pour plus d’un·e. C’est le cas d’Emma*, TA en science politique aux trimestres d’automne 2021 et 2022 : « J’ai entendu dire qu’il serait possible de déclarer un surplus d’heures en les compilant, si on en avait besoin. Personnellement, je n’en ai jamais fait la demande, parce que même si c’est quelque chose qui peut être fait, je me sentirais mal à l’aise d’aller demander plus d’argent », nous a‑t-elle admis.

L’accès à davantage de ressources financières pour les TAs peut également se voir entravé par la nature du rapport entretenu avec la personne responsable du cours, par peur d’obtenir une mauvaise réaction de sa part.

Emma explique que les « professeur·e·s peuvent être des superviseur·e·s de maîtrise ou de thèse dont tu respectes le travail », et les relations avec eux·lles s’échelonnent parfois sur plusieurs années. Mario Roy évoque également que plusieurs TAs « aimeraient parfois solutionner un problème, mais ne sont pas prêts à écrire un grief pour maintenir une bonne relation avec leur professeur·e qui est aussi leur superviseur·e ».

Sur le site web de l’AÉÉDEM, il est estimé que « dans certains départements, les TAs qui ont des contrats de 45 heures travaillent régulièrement deux fois leurs heures, ce qui représente près de 1 500 $ par TA. » Est-ce le résultat d’un manque d’organisation des auxiliaires d’enseignement, ou est-ce plutôt le système mis en place pour encadrer leur emploi qui ne prend pas suffisamment en compte leur charge de travail réelle effectuée au quotidien ?

L’encadrement de l’emploi concerne également le processus d’embauche par lequel doivent passer les TAs avant leur entrée en poste. Ce processus fait l’objet d’un clivage, alors qu’il est décrit comme « opaque » par Emma mais comme « transparent » du côté de Louise*, ayant occupé le poste de TA en développement international et en sciences politiques. Sur le plan syndical, l’AÉÉDEM revendique pour sa part une plus grande clarté dans la détermination des critères d’embauche. « On a l’impression que des fois, il peut y avoir du favoritisme envers certains·es candidats·es au lieu de suivre l’ordre des priorités », nous explique Mario Roy.

Le processus d’embauche fonctionne selon un système de bassins prioritaires établi en fonction de l’année du candidat à la maîtrise ou au doctorat. Raphaël explique que « vous n’obtiendrez probablement pas de poste au cours de votre premier semestre, mais au cours de vos deuxième et troisième années dans le programme, vous aurez beaucoup plus de chances d’obtenir un poste ». Par souci de transparence l’Unité d’embauche est toutefois mandatée dans l’article 13 de la convention collective de transmettre au délégué syndical une « liste de toutes les personnes candidates du bassin prioritaire […] qui n’ont pas obtenu d’affectation de Personne Auxiliaire d’enseignement » et de « fournir, s’il y a lieu, des précisions sur le processus de sélection ».

À cela s’ajoutent des facteurs d’embauche variables selon les besoins spécifiques de chaque faculté, chaque cohorte et chaque cours. En effet, les types de poste de TA peuvent varier selon la nature du travail demandé, que ce soit superviser des laboratoires, corriger des examens, ou encore effectuer du mentorat. Comment les auxiliaires d’enseignement appréhendent-ils·elles eux·elles-mêmes leur propre expérience dans le milieu enseignant ?

Jade Lê | Le Délit

Relations TA-étudiants : un apprentissage mutuel ?

Le poste d’auxiliaire d’enseignement permet de travailler dans le domaine d’intérêt de l’étudiant·e, tout en lui permettant de développer de nouvelles capacités organisationnelles. Alors que certain·e·s considèrent cette expérience comme profondément enrichissante sur les plans humains et pédagogiques, d’autres l’ont davantage vécue comme un poids au quotidien.

Les TAs doivent adopter une méthodologie rigoureuse afin de corriger un grand nombre de copies ainsi qu’organiser et animer des conférences. Ces aspects organisationnels du poste sont vécus différemment selon les profils. Emma explique : « Honnêtement, j’ai trouvé ça tellement formateur. […] J’ai vraiment appris à m’approprier des sujets, des lectures complexes, pour pouvoir les expliquer et en discuter. Ça m’a vraiment ouvert des portes. C’est comme si j’avais suivi un cours, j’ai été payée pour le suivre. C’est vraiment un avantage, je trouve. »

Elle n’omet pas pour autant la charge mentale importante au quotidien. Ainsi, être TA peut se révéler pour certain·e·s être un obstacle dans l’accomplissement de leur propre carrière académique : « La façon dont le cours était monté […] j’ai trouvé ça très stressant […] parce que je suis en position d’autorité, mais j’apprends en même temps que les étudiantes et étudiants qui suivent le cours », nous a déclaré Emma.

Du côté de Raphaël et Louise, l’expérience se révèle majoritairement positive. Chacun confie qu’être TA est une expérience qui peut aider dans leur propre orientation, aider à mieux connaître leurs champs d’intérêt. Louise explique : « Je me suis juste inscrite pour être TA parce que c’est ce que tout le monde fait. Mais j’ai découvert que j’avais une passion pour l’éducation. En fait, je travaille maintenant hors du campus en même temps d’être tutrice parce que j’aime tellement enseigner. J’ai découvert cela, et j’ai vraiment apprécié chaque partie de l’expérience d’enseignement. J’ai orienté ma thèse de recherche sur les implications politiques de l’éducation en raison de cela. »

« La façon dont le cours était monté, […] j’ai trouvé ça très stressant […] parce que je suis en position d’autorité »


Emma*, ancienne TA en sciences politiques

Enseigner en tant qu’étudiant·e permet de développer des compétences dans le rapport à l’apprentissage. Louise explique qu’elle a établi une méthodologie stricte, et un système de notation poussé, qui a suscité quelques protestations de la part d’étudiant·e·s insatisfait·e·s : « La chose la plus importante en termes de compétences transférables est en quelque sorte de négocier les attentes. Surtout en ce qui concerne les notes, parce qu’on m’a accusé d’être une correctrice très sévère, très exigeante. […] Il m’est arrivé que des étudiants viennent à mon bureau avec l’air d’être prêts à se battre. Je leur dis alors : “D’accord, parle-moi de ça. Asseyons-nous et discutons, car ce n’est pas toi contre moi ou moi contre toi. C’est nous contre la note. Parle-moi donc un peu de ton point de vue. Qu’est-ce que j’ai manqué?” »

L’équilibre réside alors entre l’autorité et l’écoute : le poste devient une formation accélérée qui peut servir dans plusieurs domaines, surtout si l’élève compte s’orienter vers l’enseignement.

Le fait d’être TA peut être envisagé comme une expérience humaine qui change, dans une certaine mesure, le cours d’une vie. Louise, dans un témoignage plein d’émotions, montre que sa vie actuelle a été en partie forgée par son poste d’auxiliaire d’enseignement : « J’ai eu tellement d’expériences positives, et je suis presque gênée d’être si positive, si émotive. Mais j’ai vraiment adoré nouer des liens. J’ai plusieurs étudiants qui sont restés en contact avec moi après avoir obtenu leur diplôme. »

Raphaël estime vouloir donner en retour à ses TAs ce qu’il a appris en faisant lui-même l’expérience de ce poste. « J’essaie de m’assurer que mes TAs comprennent qu’il s’agit d’une occasion pour eux d’acquérir de l’expérience, de se sentir à l’aise pour contribuer aux cours et pour interagir avec les étudiants. Je veux qu’ils tirent le meilleur parti de cette opportunité. »

« J’ai eu tellement d’expériences positives […]. J’ai vraiment adoré nouer des liens »


Louise*, ancienne TA

L’Université McGill en fait-elle assez pour assurer aux TAs de meilleures conditions de travail et pour s’assurer que leur cheminement se déroule sans embûche ? Ou est-ce plutôt le fruit des années de combat de l’AÉÉDEM ? Louise offre certains éléments de réponse : « Je pense que mon opinion pourrait être un peu impopulaire. […] J’ai été surprise au cours des deux derniers semestres par ce que j’ai entendu de la part de mes collègues TAs au sujet des exigences ou de la charge de travail qui reste, à mon avis, incroyablement juste. » Elle admet tout de même que « c’est grâce au syndicat que nous bénéficions d’une situation aussi favorable à l’heure actuelle. Nous sommes incroyablement bien payés par rapport à tout ce que nous pourrions faire d’autre ».

*Prénoms fictifs


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