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Barbie : Trouver l’équilibre entre féminisme et lucrativité

Retour sur la comédie événement de l’été.

Clément Veysset | Le Délit

Créer la recette idéale qui combine humour, mise en scène, engagement et rentabilité au box-office n’est pas une tâche facile. Pourtant Barbie, la superproduction de l’été, signée Greta Gerwig, y parvient brillamment et coche toutes les cases d’une comédie estivale réussie. Après des films comme Lady Bird ou Les Filles du Docteur March, figures d’un cinéma d’art et d’essai moderne, la réalisatrice s’illustre avec un long-métrage hollywoodien rafraîchissant, porté par un duo Robbie-Gosling plein d’énergie ainsi qu’une promotion et une bande originale XXL (Dua Lipa, Billie Eilish, Ice Spice…). Retour sur le film événement de l’été.

Barbie (Margot Robbie) profite d’une vie de rêve à Barbieland, monde parallèle féerique où toutes les poupées sont confiantes, puissantes et persuadées d’avoir permis le bonheur des femmes dans le monde réel. À Barbieland, les figures masculines, qui sont toutes des Ken, vivent dans l’ombre des Barbies, se contentant du peu d’attention qu’elles leur accordent, à l’image du Ken principal (Ryan Gosling), qui cherche désespérément l’amour de Barbie. Quand cette dernière, pour une raison qu’elle ignore, commence à penser à la mort ou à perdre son talent de marcher uniquement sur la pointe des pieds (et ce, pour pouvoir porter des talons hauts en permanence), elle cherche à retrouver sa vie d’antan et à guérir de cette étrange maladie. Trouver l’enfant à qui elle appartient dans le monde réel devient alors la mission de Barbie : l’humeur de la jeune fille serait la raison des problèmes de notre héroïne. Des aventures improbables issues de la rencontre entre Barbieland et le monde réel s’ensuivent et dictent le ton pour le reste du film.

Barbie aurait pu être l’énième comédie commerciale aux airs enfantins, sans véritable style ou message important, souffrant d’un terrible manque de profondeur et de pertinence. Le film s’illustre pourtant par le style déjanté de la mise en scène, ainsi que le jeu et l’humour adoptés par les comédiens. Les décors sont extravagants, hauts en couleur (en rose surtout), et percutent visuellement le spectateur. Cela s’accorde parfaitement avec l’humour du film​.Mattel (la société derrière les poupées Barbie) a offert pour le film une carte blanche à Greta Gerwig : cela résulte en un humour absurde, satirique et assumé, mais surtout surprenant, qui casse immédiatement les potentielles attentes du spectateur. La réalisatrice se permet notamment de multiples critiques de Mattel, ce qui est pour le moins surprenant. Par ailleurs, l’autodérision est omniprésente. Ainsi, quand Barbie délivre un monologue où elle affirme être laide en pleurant à chaudes larmes, Greta Gerwig se permet une voix hors champ sagace, insinuant que, pour que la scène soit crédible, choisir Margot Robbie pour jouer Barbie n’était peut-être pas le meilleur choix de la distribution. Résultat : l’humour sans scrupule de Barbie nous donne l’impression qu’il a été tourné par une bande d’amis plutôt que par une équipe hollywoodienne financée par un solide chèque de $145M.

Cependant, Barbie reste profondément commercial et destiné à générer des recettes en dehors du seul domaine cinématographique, une caractéristique inévitable compte tenu de la nature du film. Il faut rester réaliste : bien que le film ne soit pas une publicité de 114 minutes pour le fabricant de jouets américain Mattel, son côté féministe très assumé rajeunit l’image de la société détentrice de la poupée, deuxième géant mondial des jeux et jouets derrière Lego. En passant par le cinéma, et avec un tel niveau d’autodérision, les créateurs de la poupée redorent leur blason, en s’offrant une image plus dans l’air du temps auprès d’un large public.

Un succès aussi fracassant que celui de Barbie ouvre évidemment une porte en or vers un nombre infini d’opportunités commerciales pour l’entreprise. En effet, le film offre un potentiel massif de « marchandisage », et Mattel a déjà signé avec plus de 100 marques pour créer des produits dérivés du film. Cette stratégie va leur permettre de vendre plus, dans des domaines plus variés, au-delà des magasins de jouets afin de devenir une tendance durable auprès des consommateurs de tous âges. Ainsi, Mattel a déjà établi des partenariats lucratifs avec de nombreuses marques, allant de l’habillage à la nourriture, en passant par les cosmétiques et les consoles de jeu vidéo. Le film, qui a marqué l’histoire en devenant le premier réalisé par réalisatrice en solo à atteindre le milliard de dollars au box-office, est donc un coup commercial retentissant pour Mattel, mais aussi pour Warner Bros, géant de la production hollywoodienne, qui est derrière ce qui sera très probablement l’un des plus importants succès de l’année.

« L’humour sans scrupule de Barbie nous donne l’impression qu’il a été tourné par une bande d’amis plutôt que par une équipe hollywoodienne financée par un solide chèque de$145M »

Les revenus de Barbie sont impressionnants et c’est plutôt encourageant : le film s’illustre par l’évocation de sujets cruciaux comme le complexe du sauveur blanc ou l’appropriation culturelle, mais surtout par un féminisme bien endossé par la réalisatrice. Greta Gerwig, dans une entrevue accordée à Konbini peu après la sortie du film, confie que l’ambivalence de Barbie est l’un des éléments principaux qui l’a motivée à réaliser le film.Elle rappelle, par exemple, que « même avec son corps complètement irréaliste, qui l’aurait empêchée de se tenir debout tellement ses proportions sont invraisemblables, elle avait aussi un travail ». Aux États-Unis, en 1960, seulement 41% des femmes âgées de 45 à 64 ans étaient actives professionnellement. Selon Gerwig, Barbie reflète la constante évolution du féminisme, et le film, sans renier l’histoire controversée que représente la poupée, en présente une image nouvelle, plus moderne : Barbie devient un symbole de liberté pour qui rien n’est impossible.

« Selon Gerwig, Barbie reflète la constante évolution du féminisme, et le film, sans renier l’histoire controversée que représente la poupée, en présente une image nouvelle, plus moderne : Barbie devient un symbole de liberté pour qui rien n’est impossible »

Barbie nous incite à s’interroger sur la place de la femme dans toutes les sphères de la société, que ce soit au sein de la famille, dans les entreprises et dans la communauté, en abordant les notions de patriarcat et de matriarcat. Barbieland est indéniablement une société matriarcale, dans laquelle les femmes détiennent les postes les plus importants, notamment en politique, où siège une Barbie présidente, incarnée par la comédienne Issa Rae. C’est une société idéale, dans laquelle la jalousie entre femmes n’existe pas, et où la sororité et l’entraide sont omniprésentes, avec des femmes fières qui se soutiennent entre elles. Les plaidoyers du personnage de Gloria, joué par America Ferrera, rappellent avec ferveur ce que ça implique d’être une femme, et remettent en question des normes sociétales réductrices pour ces dernières, sur leur apparence par exemple. Gloria explique notamment que les femmes doivent être minces, mais pas trop, être des mères aimantes, mais ne pas parler de leurs enfants en permanence, ou alors prendre des décisions, sans pour autant écraser les idées des autres. Enfin, la remarque d’Aaron Dinkins, interprété par Connor Swindells, salarié de premier niveau chez Mattel, qui compare les relations hommes/ femmes et salariés/cadres, complète un tableau dénonciateur, astucieux pour une comédie hollywoodienne. Avec ironie, il demande : « Je suis un homme sans pouvoir, est-ce que ça fait de moi une femme ? »


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