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Le français en sursis à McGill ?

Layla Lamrani | Le Délit

À l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie, une libre opinion signée par le Groupe d’action pour l’avenir de la langue française (GAALF) dans Le Devoir soulignait la nécessité de « prendre tous les moyens nécessaires pour ralentir, arrêter, puis inverser le déclin de la langue française au Québec ». Le GAALF, notamment composé des ministres caquistes Martine Biron et Jean-François Roberge, affirme que les efforts pour la préservation du français doivent être particulièrement orientés vers les jeunes, qui sont davantage exposés à l’anglais dans la vie de tous les jours. En tant qu’étudiant·e d’une université anglophone, on peut légitimement se demander quels obstacles se présentent aux initiatives à McGill pour valoriser le français et assurer son accessibilité sur le campus.

Parmi la liste non exhaustive d’initiatives étudiantes qui donnent une plateforme d’expression au français à McGill, on peut citer l’équipe éditoriale du Délit, le Collectif de poésie francophone de McGill, le club de débat francophone de McGill ou encore l’Association générale des étudiant(e)s de langue et littérature françaises qui se renouvellent constamment et doivent trouver une relève au sein de 20% de la communauté mcgilloise, soit l’équivalent de sa population francophone. Être une minorité francophone sur le campus n’est d’ailleurs jamais bien éloigné de la perspective d’une fin des activités pour ces groupes. C’est d’ailleurs le sort réservé à la seule troupe francophone de théâtre de l’Université McGill, Franc-Jeu, qui a dû fermer ses portes à l’automne dernier en raison d’un « manque d’effectif ».

Selon Ana Popa, commissaire aux Affaires francophones de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM), la curiosité pour les initiatives francophones de la part des étudiant·e·s est cruciale pour revendiquer une amélioration des services qui leur sont offerts, voire pour leur pérennité. L’existence des groupes francophones peut se révéler elle-même un enjeu de taille dans le cadre des référendums de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM). Par exemple, la demande de création de frais d’accessibilité en français de 0,25$, l’une des plus basses contributions demandées lors d’un référendum étudiant à l’AÉUM, a été refusée à l’hiver 2022. En ce qui a trait au bien-fondé de la présence des groupes francophones sur le campus, « on voit encore des préjugés envers la communauté francophone », souligne Ana Popa.

Il persiste également une méconnaissance des ressources francophones disponibles. Assurant la cohésion et le partage de ressources entre différentes organisations francophones de McGill, la Commission aux Affaires francophones (CAF) a d’abord pour mandat la défense des droits étudiants. Un questionnaire mené auprès de 100 étudiant·e·s par la CAF cherchait à sonder la population étudiante sur leurs connaissances des droits étudiants. Une bonne partie des réponses révélaient une « hésitation » de se prévaloir de certains droits, notamment celui « de soumettre en français ou en anglais tout travail écrit devant être noté », indiqué à l’article 15 de la Charte des droits de l’étudiant. La crainte « d’être évalué injustement » ou que « les professeurs et chargés de cours saisissent mal le propos en raison d’une mauvaise maîtrise du français » sont des motifs mentionnés de manière récurrente.

Il existe donc bel et bien un écart entre les droits francophones et la capacité des étudiant·e·s à s’en prévaloir. Les ressources censées faciliter l’accès au français à McGill demeurent souvent trop peu partagées, voire inaccessibles pour bon nombre de francophones sur le campus. Sur cet enjeu, la CAF et l’AÉUM travaillent à traduire les pages d’organisations étudiantes, de clubs et de services pour lesquelles il n’existe actuellement aucune description en français.

Cette accessibilité au français ne se limite toutefois pas à la traduction et devrait faire l’objet d’un effort soutenu de la part de l’Université. Si les services en anglais sont naturellement priorisés pour permettre à une majorité d’étudiant·e·s d’en profiter, tout le monde n’a pas une même aisance avec cette langue. Ana Popa mentionne à ce titre que le niveau d’anglais requis dans les cours n’est pas le même que celui nécessaire pour bénéficier de conseils en santé mentale ou pour se défendre devant le comité d’intégrité universitaire. En ce sens, l’implication des étudiant·e·s ne peut seulement servir de vecteur de la langue française ; elle doit permettre une meilleure compréhension des enjeux communautaires qui atteignent directement la vie des francophones.


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