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Réinventer la mode chez les étudiants

Une entrevue avec l’association étudiante Dsign Lab McGill.

Jade Lê | Le Délit

Cette semaine, Le Délit a conversé avec deux membres de l’association étudiante mcgilloise @dsignlabmcgill pour en savoir plus sur le monde de la mode à l’Université McGill. Créée il y a deux ans, cette association compte plus de 60 membres aujourd’hui et espère pouvoir s’agrandir dans les semestres à venir.

Le Délit (LD) : Dans les grandes lignes, comment présenteriez-vous votre club ? Quels sont ses objectifs ?

Dsign Lab McGill (DLM) : Je dirais que le DsignLab est destiné à être un espace de collaboration et de rassemblement pour les personnes qui travaillent dans différents domaines de la création artistique. Nous comptons trois piliers. Il y a la photographie, la mode et les arts visuels. L’année prochaine, nous allons mettre en place un laboratoire de design bimensuel, où nous bloquerons un espace de studio pendant trois heures. L’idée est de susciter des collaborations en dehors du DsignLab. Ainsi, si quelqu’un réalise un projet de mode, crée une robe, par exemple, il suscitera peut-être l’intérêt de quelqu’un qui s’intéresse à la photographie, et ils pourront alors faire ensemble une séance de photos pour un éditorial de mode. Ou peut-être qu’une personne impliquée dans l’art aimera la robe et que nous ferons une conception visuelle dessus. L’idée principale est donc de créer une communauté créative à McGill, car beaucoup de gens ont constaté en arrivant ici qu’ils avaient perdu leurs liens avec le monde de l’art. Nous voulons donc raviver cette passion et créer un espace interactif.

LD : Quels sont les axes directifs de votre club ?

DLM : Je pense que la chose la plus importante à noter à propos de notre club, c’est qu’il est orienté vers le développement durable. Je pense que c’est l’une des principales composantes de nos projets récents, car la mode est aujourd’hui une activité qui n’est pas durable, malheureusement. Nous essayons donc de motiver la nouvelle génération et la communauté mcgilloise à aller en friperie, à acheter des vêtements réutilisés, à les reconvertir au lieu de les jeter, à apprendre à les réparer et à faire ces choses qui vont prolonger la vie de leurs articles au lieu de passer immédiatement à l’achat de quelque chose de neuf sur le présentoir. La semaine dernière, nous avons mis en place un programme très prometteur. Il s’agissait d’un événement où les étudiants pouvaient apporter leurs vêtements endommagés, avec de petits trous ou des déchirures, et notre équipe les réparait pour un prix très bas par rapport à la majorité des services couturiers de Montréal. Si on a fait ce service de réparation, c’était pour sauver des habits de la décharge.

« Nous essayons donc de motiver la nouvelle génération et la communauté mcgilloise à aller en friperie, à acheter des vêtements réutilisés, à les reconvertir au lieu de les jeter »

LD : D’après vous, quel est l’impact de votre club sur les étudiants ? Comment le mesurez-vous ?

DLM : Je pense que nous avons un impact considérable sur le monde de la mode étudiante, en tout cas à McGill. Notre défilé de mode fait parler les gens après coup. Beaucoup de personnes sont venues me voir et m’ont dit que la prochaine fois qu’ils iraient au centre commercial, ils allaient mieux réfléchir à ce qu’ils achèteraient parce que le spectacle les avait touchés et qu’ils voulaient être plus soucieux avec leurs achats. Et je pense que cela est dû en grande partie à l’artiste qui est venu. Il s’appelle Jan Van Esch, et c’est un artiste en résidence à McGill, qui a réalisé une pièce sur la surconsommation de la fast fashion. Il a entendu parler de notre projet, a demandé à en faire partie et nous lui avons demandé de faire la finale. Dans son œuvre, il portait sur lui environ 120 articles d’habillement, cela correspond à la moyenne de ce qu’un habitant de l’Amérique du Nord conserve en même temps dans sa garde-robe. Lorsque l’on voit tout ce matériel entassé sur un individu, on se demande s’il est vraiment nécessaire d’en avoir autant. Nous avons collaboré avec une boutique appelée effe, qui travaille avec de nombreux créateurs locaux. Nous avons également contacté deux friperies du boulevard Saint-Laurent, l’une d’entre elles étant également un refuge pour femmes, appelé La Maison du Chaînon, et l’autre étant SnobShop. Ces deux magasins correspondent tout à fait à notre vision du développement durable. En plus de la reconversion d’habits, le propriétaire de SnobShop crée ses propres vêtements, les coud à partir de vieux matériaux recyclés, et propose des vêtements qui tiennent compte de toutes les tailles. Le Chaînon, quant à lui, propose une gamme de vêtements différents à des prix très abordables. Nous voulions nous assurer que nous avions des marques accessibles à tous, sans discrimination socio-économique.

Laura Tobon | Le Délit

LD : Quels pas prenez-vous vers l’inclusivité ? Votre club abrite-t-il une diversité de corps, d’ethnies et de genres ?

DLM : D’après moi, l’espace de la mode propose un spectre d’expression du genre plus large et il est possible
de sortir de la binarité. L’une des choses vraiment géniales est la capacité de briser les stéréotypes de genre à travers la mode, à travers l’art visuel. C’est l’endroit idéal pour contourner ce que nous supposons être les binaires de genre et pour expérimenter l’expression en dehors de ce qui a été considéré comme la norme. Il est vraiment formidable de voir beaucoup de membres de notre club prendre des risques et s’exprimer d’une manière qui leur est propre et qui n’est pas conforme à ce que le monde leur a imposé. Lors de notre dernier défilé, nous n’avons pas demandé de mesures aux mannequins au moment de l’audition, mais seulement après leur sélection, pour que nous puissions leur trouver les vêtements à la taille adéquate. Nous avons essayé de varier les apparences. Je pense donc que le simple fait d’avoir une variété de mannequins sur le plateau est déjà un pas en avant vers l’inclusivité et la démocratisation de la mode.

« L’espace de la mode propose un spectre d’expression du genre plus large, il offre la possibilité de sortir de la binarité »

LD : Avec quelles marques et magasins avez-vous collaboré ?

DLM : Cette année, nous l’avons fait soit gratuitement, soit grâce à des commanditaires. Le défilé de mode que nous avons organisé au premier semestre a été en partie financé par Écosystème Jeunesse Canada (ÉJC). Nous avons obtenu tous les vêtements grâce à des partenariats. Nous avons donc passé des journées entières à nous rendre dans différents magasins de seconde main et à présenter le projet du défilé de mode : « Pourriez-vous nous prêter quelques pièces qui vous reviendront ? Et nous vous ferons de la publicité, nous dirons à tout le monde le nom de votre magasin. C’est donc mutuellement bénéfique. »

LD : En travaillant au sein d’une association de mode étudiante, votre perspective
sur la mode a‑t-elle changé ? En somme, pouvez-vous donner une définition de la mode ?

DLM : Je pense que le plus intéressant avec la mode, c’est qu’elle est difficile à définir en elle-même. Il y a des choses qui sont incluses dans le monde de la mode et que les gens ne considèrent pas nécessairement comme de la mode. Par exemple, d’une certaine manière, le maquillage peut aussi être une forme d’expression de la mode qui ne se limite pas à l’habillement. La mode est un moyen d’exprimer ce que l’on ressent à l’intérieur, à l’extérieur, c’est de l’art à porter, ou même, pourrait-on dire, c’est une façon de parler sans mots. La spécificité de la mode, c’est sa capacité à exprimer des émotions, des valeurs, des désirs, des passions d’une manière qui n’exige pas nécessairement le caractère explicite d’autres formes d’art.




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