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Séismes : les communautés syriennes et turques à l’œuvre

Les associations étudiantes de McGill se mobilisent pour soutenir les victimes.

Margaux Thomas | Le Délit

Dans la nuit du 5 au 6 février 2023, la Syrie et la Turquie ont été violemment frappées par plusieurs séismes, les plus dévastateurs atteignant magnitude 7.8 et 7.5. Ces tremblements de terre ont causé d’importantes pertes humaines et matérielles dans le sud de la Turquie (à Adana, Gaziantep et Kahramanmaras) et dans le nord-ouest de la Syrie (notamment Alep et Idlib). Selon Radio Canada, au dimanche 12 février, le bilan humain s’élevait à plus de 33 000 morts sur l’ensemble de la zone (dont environ 29 600 turcs et 3 500 syriens). En plus de ce lourd bilan humain, le séisme est à l’origine d’une crise humanitaire de grande ampleur sur les territoires touchés et la découverte journalière de nombreuses victimes supplémentaires s’accompagne aussi de la nécessité de reconstruire rapidement afin de permettre une réorganisation des deux pays. Selon Adelheid Marshang, responsable des situations d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 23 millions de personnes seraient impactées par les conséquences de ce séisme. 

Les communautés syrienne et turque de McGill –  ayant une population respective de 50 et de 200 étudiants – ont rapidement réagi après les évènements. En effet, l’Association des étudiants syriens de McGill (McGill Syrian Student Association), et la Société des étudiants turcs de l’Université McGill (Turkish student Society of McGill University) se sont mobilisés tout au long de la semaine afin de fournir toute l’aide possible aux victimes du séismes dans leurs pays, que ce soit par des récoltes de dons matériel, des levées de fonds et des activités de sensibilisation et de soutien aux victimes (directes et indirectes) du séisme.

« Le matériel collecté a “ largement ” dépassé les capacités de transport et de fret de l’avion disponible »

Balca Naz Erozden

L’action de la communauté turque 

La Société des étudiants turcs de l’Université McGill (TSSMU) a été créée en 1994 dans le but d’améliorer l’expérience des étudiants turcs de McGill à travers de nombreux événements, activités et campagnes d’information. À la suite du séisme, la TSSMU a rapidement agi en contactant le lundi 6 février le consulat général de Turquie à Montréal afin de proposer une mobilisation et agir pour aider les victimes du séisme en Turquie. 

Dans un communiqué paru dès le 6 février, le consulat a annoncé la mise en place d’une campagne de récolte de dons de matériel pour soutenir les victimes en Turquie. Parallèlement, le consulat a aussi coordonné avec la compagnie aérienne British Airlines le transport de cette aide vers la Turquie dès le mercredi 8 février.

C’est donc en l’espace d’une journée, le mardi 7 février, que la Société des étudiants turcs de McGill a mis en place une action de récolte de dons. Tout au long de la journée, les membres de l’association ont récolté l’aide matérielle des étudiants, notamment les dons de boîtes de conserves, de couvertures, de protection hygiénique, et bien plus encore. 

Un soutien porté avec succès

Dans un entretien avec Le Délit, Balca Naz Erozden – coprésidente de l’association – nous a dit qu’elle se réjouissait de l’ampleur du mouvement. Elle nous a affirmé que même en l’espace d’un jour les récoltes ont été très importantes, et qu’elle était « vraiment surprise d’une telle participation des étudiants ». Nous apprendrons même par la suite que le matériel collecté a « largement » dépassé les capacités de transport et de fret de l’avion disponible, et que le reste du matériel sera transporté plus tard en fin de semaine. 

De son côté, l’Association des étudiants syriens de McGill s’est aussi mobilisée. Cette association créée en 2014, oriente ses actions autour de différentes missions, notamment culturelles, éducatives, humanitaires et sociales. 

Tout au long de la semaine, l’association a distribué des dépliants sur l’ensemble du campus et a incité les étudiants de McGill à effectuer des dons aux organismes humanitaires comme la Croix Rouge canadienne ou les Casques blancs.

Le vendredi 10 février, l’Association des étudiants syriens de McGill a lancé sa propre campagne de dons (financiers), réunissant plus de 2000 dollars canadiens en une journée, l’équivalent de 28 000 livres turques. Tout au long de l’après-midi, l’association a également mené une campagne d’information et de sensibilisation à la question syrienne, notamment en mettant en place des moments de discussion entre les étudiants syriens et mcgillois plus généralement. Leur action s’est terminée par un émouvant moment de silence accompagné de bougies devant le bâtiment de la Société des étudiants de l’Université McGill sur la rue McTavish. 

« Cela aurait dû être fait cinq jours plus tôt. Après cinq jours, il est trop tard, une grande partie des victimes sous les décombres sont mortes »

Lana Almerhej

Un problème politique de fonds limitant l’action humanitaire.

Au cours de la semaine, l’Association de la communauté syrienne a fait l’objet de nombreuses critiques. En effet, dans une entrevue  avec Le Délit, Lana Almerhej  – responsable médiatique de l’Association des étudiants syriens de l’Université McGill – nous a informé que l’association avait reçu des critiques par message, questionnant sa trop faible mobilisation après les évènements. Les auteurs des critiques considéraient entre autres que leur action était trop tardive en comparaison à l’action de l’Association des étudiants turcs de McGill, qui s’était tenue dès le lendemain des faits. 

Au cours de l’entrevue, Lana Almerhej nous a informé que leur initiative a été très lente en raison de la complexité de trouver des moyens d’agir pour aider la population syrienne. En effet, depuis 2011, afin de « priver le régime (syrien, ndlr) des ressources dont il a besoin pour continuer de commettre des actes de violence sur les civils », les États-Unis, le Canada ou encore l’Union Européenne ont mis en place un embargo sur la Syrie, se traduisant par des sanctions importantes sur certains secteurs économiques syriens, le gel des avoirs financiers de responsables syriens et une exclusion de la Syrie de certains services financiers. 

Dès 2016, le journaliste Patrick Cockburn considérait déjà ces multiples sanctions comme « sources de souffrance chez les syriens et empêchant la livraison d’aide humanitaire à la population syrienne ». Au cours de l’entrevue, Lana Almerhej nous a fait part de son désarroi quant à la relative impossibilité d’aider son pays en raison des sanctions, alors que celui-ci « souffre toujours plus » depuis 2011. Elle a par la suite énuméré les différentes crises qui ont eu lieu depuis 2011 : une crise politique de 2011 à 2018, une crise environnementale avec de grands feux de forêts en 2020, la crise sanitaire liée à la Covid-19, et maintenant, un tremblement de terre. 

Tout au long de la semaine, alors que les sanctions étaient toujours en vigueur, les membres de l’Association des étudiants syriens de McGill ont eu beaucoup de mal à trouver des moyens d’aider. « En raison du maintien de ces sanctions, nous ne pouvions pas mettre en place une campagne d’aide matérielle comme l’a fait la TSSMU », souligne Lana. Elle nous a donc expliqué qu’ils ont dû trouver des moyens d’aider malgré les sanctions, en passant notamment par le Nour – Bureau de Change, une plateforme financière différente du système bancaire traditionnel, comparable à Western Union.

Depuis le séisme, de nombreux organismes humanitaires comme le Croissant-Rouge syrien ont fait appel à la levée des sanctions par la communauté internationale. Même si certaines avancées ont été réalisées au cours de la semaine, Lana ne s’est pas montrée convaincue par l’efficacité de la levée de ces sanctions : « Cela aurait dû être fait cinq jours plus tôt. Après cinq jours, il est trop tard, une grande partie des victimes sous les décombres sont mortes.» 

« Il faut désormais maintenir ce soutien sur le long terme, et éviter que les gens se désintéressent, comme c’est souvent le cas après un certain temps »

Chabel Sara

Une mobilisation commune sur les réseaux sociaux

Les capacités d’actions des deux associations n’étant pas les mêmes, il n’y a pas eu de collaboration directe entre les deux associations. Balca Naz Erozden de l’Association turque nous a mentionné que s’il n’y avait pas eu de collaboration entre les deux associations, c’est parce que leur action provenait d’une initiative portée par le consulat turc, ce qui la restreignait naturellement à la communauté turque. Les deux associations se sont néanmoins mutuellement soutenues et ont apporté de la visibilité sur les réseaux sociaux. Elles ont toutes deux incité la communauté mcgilloise à soutenir les mêmes organisations non gouvernementales (ONG), comme la Croix Rouge canadienne, les Casques blancs, et bien d’autres encore.

Au cours de nos entrevues, les membres des deux associations nous ont affirmé que leurs actions se concentreraient désormais sur le soutien aux populations turques et syriennes, et que leur objectif serait de maintenir l’intérêt  des membres de la communauté mcgilloise à l’égard de ce sujet. 

Chabel Sara – le président de l’Association des étudiants Syriens de McGill – nous a ainsi affirmé que même si la mobilisation a été un vrai succès du côté turc comme syrien, « il faut désormais maintenir ce soutien sur le long terme, et éviter que les gens se désintéressent, comme c’est souvent le cas après un certain temps ».


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