Aller au contenu

Un premier syndicat de professeur·e·s à l’Université McGill

Les professeur·e·s de droit ont gain de cause devant le Tribunal administratif du travail.

Laura Tobon | Le Délit

Le 7 novembre dernier, le juge Jean-François Séguin du Tribunal administratif du travail (TAT) a rendu une décision historique en ce qui concerne les relations industrielles au sein du milieu universitaire québécois : l’Association mcgillienne des professeur·e·s de droit (AMPD) a reçu la sanction du tribunal pour former le premier syndicat de professeur·e·s de l’Université McGill. Après des mois d’audiences virtuelles et en personne, parfois houleuses, la décision du TAT est tombée un an jour pour jour après le dépôt de la requête en accréditation de l’AMPD.

La pandémie comme élément déclencheur

La rentrée de l’automne 2021 a été marquée par des tensions entre les professeur·e·s de droit et l’administration mcgilloise. À l’époque, le débat sur l’imposition de la vaccination obligatoire faisait rage. Une lettre signée par 35 membres de la Faculté de droit avait été mise en circulation, argumentant qu’il était possible d’imposer la vaccination de manière compatible avec la Charte des droits et libertés de la personne. L’administration mcgilloise n’avait pas changé sa position : elle n’imposerait pas la vaccination obligatoire sur son campus, niant que son approche posait un risque indu aux membres vulnérables de sa communauté. En refusant les arguments mis de l’avant dans la lettre, « la réponse de l’Université était d’enseigner le droit aux professeurs de droit », affirme au Délit le professeur Richard Janda, membre de l’exécutif de l’AMPD. En conjonction avec l’exigence d’enseignement en présentiel sous peine de sanctions disciplinaires, cette situation aurait « dramatisé la volonté des professeurs de droit de participer à la création des politiques [qui leur sont] applicables », maintient le professeur Janda.

« La réponse de l’Université était d’enseigner le droit aux professeur·e·s de droit »

Le professeur Richard Janda

La réaction de McGill face à la pandémie aurait été symptomatique d’une « tendance lourde à la centralisation » au sein de l’Université, selon le professeur Janda. « L’Université est devenue un organisme beaucoup plus corporatif dans son organisation et sa gouvernance, et les professeurs ne sont pas consultés », indique-t-il. Les professeur·e·s se retrouveraient ainsi en situation de vulnérabilité face à l’Université, « sans moyens » dans des situations telles que le congédiement d’un·e collègue.

Pour le professeur Janda, il est crucial de préserver l’autonomie de la Faculté de droit, et, pour cela, il faut « que le Conseil de la Faculté redevienne un endroit décisionnel ». Il évoque la nature singulière de la Faculté de droit
– bilingue et transsystémique – pour souligner en quoi il est important que les politiques d’enseignement universitaires reflètent la réalité spécifique du Pavillon Chancellor Day.

La décision et les audiences qui l’ont précédée

La réalité unique de la Faculté de droit a été un élément crucial de l’analyse du Tribunal administratif du travail. En effet, l’Université contestait la validité de l’AMPD comme unité de négociation proposée, plaidant que l’unité appropriée devrait plutôt inclure tous·tes les professeur·e·s à son emploi. Or, le tribunal n’a pas été convaincu par les arguments de McGill selon lesquels la Faculté de droit n’est qu’une part, comme toutes les autres facultés et départements, du tout « extrêmement centralisé » que forme l’Université. Le tribunal a d’ailleurs souligné qu’il n’était pas anodin que McGill elle-même ait reconnu que « les professeurs de la Faculté de droit forment possiblement un groupe distinct ».

Le Délit a été en mesure d’assister à plusieurs des audiences virtuelles du TAT, notamment lors des contre-interrogatoires du Provost Christopher Manfredi et du Doyen de la Faculté de droit Robert Leckey. Les échanges entre les avocat·e·s de l’Association et de l’Employeur, respectivement Me Sibel Ataogul et Me Corrado De Stefano, étaient parfois houleux, surtout lors des nombreuses objections. À plusieurs reprises, le juge Jean-François Séguin a été tenu d’intervenir, reconnaissant que « les choses s’enflamm[ai]ent » et prenaient une tournure « un peu chaotique », invitant les avocat·e·s à « calmer le jeu ».

Faut-il craindre la grève ?

Interrogé à savoir si les étudiant·e·s de la Faculté de droit devaient maintenant craindre une grève de leurs professeur·e·s, le professeur Janda s’est voulu rassurant. « Le Code du travail est assez bien rédigé », affirme-t-il, « son orientation est d’éviter que la négociation de la première convention collective mène à une situation de grève ». En outre, selon le professeur, les principales revendications de l’AMPD concerneront davantage des enjeux de gouvernance, d’autonomie et de transparence au niveau de la Faculté de droit, plutôt que des questions purement économiques. « Ce n’est pas demain la veille que les professeurs de droit voudront être en situation de grève pour insister sur des augmentations salariales », ajoute-t-il.

« Ce n’est pas demain la veille que les professeurs de droit voudront être en situation de grève pour insister sur des augmentations salariales »

Le professeur Richard Janda

Bien que le professeur Janda estime que la situation n’évoluera probablement pas dans la direction de la grève, une décision de l’Université pourrait selon lui changer la donne. En effet, si McGill choisit d’entamer un processus de révision judiciaire (le mécanisme d’appel des décisions des tribunaux administratifs), elle risquerait
d’« empoisonner les rapports [entre l’Association et l’Université] dès le départ », selon le professeur.

Pour l’instant, l’Université n’a pas publiquement renoncé à porter la décision du TAT en révision judiciaire. Elle dispose de 30 jours après la publication de la décision, soit jusqu’au 7 décembre, pour annoncer ses intentions. Interrogée par Le Délit, l’Université s’est limitée à dire, par le biais de sa relationniste des médias Frédérique Mazerolle, qu’elle « reconnaît la décision rendue » et qu’elle examinera la décision « de manière approfondie au cours des prochaines semaines ».

Quel impact pour les étudiant·e·s ?

Interrogé à savoir ce que la décision du tribunal changera concrètement pour les étudiant·e·s de la Faculté de droit, le professeur Janda anticipe des retombées positives : « Si nous réussissons à rendre la gouvernance de la Faculté plus robuste et si le Conseil de la Faculté devient plus important, la voix des étudiant·e·s sera renforcée par notre désir d’investir ces instances de plus de pouvoirs ». En effet, des représentant·e·s étudiant·e·s siègent au Conseil de la Faculté et, aux dires du professeur Janda, ont déjà utilisé cette position pour contribuer au développement de la Faculté, notamment en promouvant l’adoption du programme transsystémique.

« Je pense que la présence des étudiants lors des audiences a envoyé un message à McGill, en signalant que c’est un enjeu qu’on suit attentivement et sur lequel on veut attirer de l’attention »

Casey Broughton, étudiante en droit de deuxième année

Casey Broughton, étudiante en droit de deuxième année, fait écho à cet espoir d’impact positif pour les étudiant·e·s de la Faculté : « il y a une plus grande opportunité de solidarité forte entre les professeurs et les étudiants ». Casey a manifesté son soutien à la cause de ses professeur·e·s en rédigeant des lettres au Doyen Leckey, en changeant sa photo de profil Zoom pour afficher le message « Laissez-les se syndiquer (Let them unionize) » et en assistant aux audiences du TAT virtuellement et en personne. Elle n’était d’ailleurs pas la seule : « Je pense que la présence des étudiants lors des audiences a envoyé un message à McGill, en signalant que c’est un enjeu qu’on suit attentivement et sur lequel on veut attirer de l’attention.»

Ramener McGill dans le contexte québécois

Commentant le contexte ayant précédé les démarches de syndicalisation de l’AMPD, le professeur Janda note que l’état des relations industrielles à McGill semblait refléter une mentalité des années 1960. « On a l’impression que McGill s’imagine dans une réalité autre que la réalité québécoise », affirme-t-il. En effet, jusqu’à présent, McGill faisait maille à part des autres universités de la province en n’ayant aucun syndicat professoral. « Avec ce qui vient de se produire, la Faculté de droit rejoint la communauté québécoise », affirme le professeur Richard Janda.


Dans la même édition