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Vaccination obligatoire : McGill n’a pas la piqûre

La question fait débat ici et ailleurs au Québec.

Alexandre Gontier | Le Délit

La décision de l’Université McGill de ne pas imposer la vaccination aux membres de sa communauté a fait l’objet d’un débat mouvementé au sein de ses corps professoral et étudiant depuis son annonce. McGill tient avant tout à offrir ses activités d’enseignement en personne, ont affirmé le vice-principal exécutif adjoint (enseignement et programmes d’études) Chris Buddle et le premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) Fabrice Labeau. Ils espèrent que restreindre l’accès aux services non essentiels et aux activités extrascolaires aux personnes adéquatement vaccinées sera un incitatif suffisant pour encourager les autres membres de la communauté à se faire vacciner.

Dans cette perspective, McGill se veut conciliante quant à l’application des mesures sanitaires et tolérera les manquements accidentels aux mesures sanitaires pour les premières semaines de la session. L’optimisme de l’Université n’est toutefois pas partagé par toute la communauté mcgilloise. Certaines voix se sont publiquement opposées à l’approche actuelle, la jugeant insuffisante pour contenir la pandémie et garantir un environnement sécuritaire.

Opposition de l’AÉUM

 L’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) s’est adressée à Fabrice Labeau, Chris Buddle, la principale Suzanne Fortier et au Centre des opérations d’urgence dans sa lettre ouverte du 11 août dernier. L’AÉUM déclarait que les étudiant·e·s n’ont pas les outils et les informations nécessaires à une reprise des cours sécuritaire. La lettre réclamait entre autres l’obligation de porter un masque à l’intérieur des bâtiments du campus, l’adaptation des cours pour permettre un apprentissage à distance et l’interdiction d’obliger les étudiant·e·s à se présenter à leurs cours en personne. L’AÉUM remettait également en question la décision de l’Université d’exiger un retour sur le campus sans distinction de statut vaccinal.

L’importance de la population étudiante mcgilloise (40 000 personnes) confèrerait aux décisions de l’Université une influence considérable sur la santé publique de la région de Montréal, lit-on dans la lettre. L’AÉUM demande donc à McGill de prioriser dans ses décisions la sécurité et la santé de la communauté montréalaise plutôt que le retour sur le campus.

Les arguments légaux et éthiques au centre du débat

Le 16 août, une lettre écrite et signée par 12 professeur·e·s de la Faculté de droit remettait en question la position de l’Université selon laquelle elle n’aurait pas l’autorité légale d’imposer la vaccination, car ce serait contraire au droit de refuser une intervention médicale recommandée. Afin de rester dans les limites de la loi, les signataires proposent à McGill d’exiger une preuve vaccinale avec des exceptions pour des raisons religieuses ou médicales. Le 23 août, une seconde lettre signée par 35 professeur·e·s de droit – à laquelle l’AÉUM a donné son soutien – conteste à nouveau les arguments de McGill. Les signataires soutiennent que l’Université aurait l’autorité de prendre ses propres décisions. Il serait donc à sa discrétion d’imposer des mesures plus strictes que celles du gouvernement du Québec. 

 Les juristes soulignent également que l’approche non coercitive de McGill représente un risque pour les personnes vulnérables, telles les personnes immunosupprimées, âgées ou enceintes. Bien que l’Université les exempte de participer aux activités du campus, cette formule serait en soi discriminatoire : les réunions en personne ayant toujours lieu, ces personnes vulnérables à la COVID-19 n’auraient d’autre choix que de s’exclure si elles souhaitent se protéger d’une possible contamination sur le campus. De plus, il est attendu des individus concernés qu’ils dévoilent des informations médicales confidentielles pour profiter des mesures particulières à leur effet. Les signataires trouvent cette approche beaucoup plus intrusive que de devoir dévoiler le statut de vaccination et la perçoivent comme une entorse injustifiée à la vie privée.

« L’Université a non seulement l’autorité légale de rendre la vaccination obligatoire pour accéder à son campus, mais elle a une obligation légale de le faire »

La lettre se conclut en affirmant que l’Université a non seulement l’autorité légale de rendre la vaccination obligatoire pour accéder à son campus, mais qu’elle a une obligation légale de le faire. À défaut de quoi, l’Université pourrait être accusée de discrimination et jugée responsable de la transmission dans sa communauté. 

Le 16 août, l’Association des Professeur(e)s et Bibliothécaires de McGill (APBM) a adopté une motion d’appui à la vaccination obligatoire.

Réponse de McGill

L’Université soutient que la situation actuelle ne présente pas suffisamment de risques pour sa communauté pour réserver l’accès au campus aux personnes pleinement vaccinées. Dans un communiqué datant du 24 août, Fabrice Labeau a souligné que, selon les données du ministère de l’Enseignement supérieur, plus de 85% de la population étudiante universitaire du Québec avait reçu au moins une dose de vaccin, et près de 70% en avait reçu deux. Le message rappelait également que près de 80% des étudiant·e·s universitaires arrivant à l’aéroport Trudeau étaient adéquatement vacciné·e·s. 

En conférence avec la presse étudiante le 27 août, Fabrice Labeau et Chris Buddle ont nié que l’approche de McGill pose un risque indu aux membres vulnérables de sa communauté. Le risque auquel sont exposés ces individus serait inhérent à la pandémie, ont-ils affirmé, et ne découlerait pas de la décision de l’Université. « Nous devons apprendre à vivre avec le virus », a affirmé Fabrice Labeau, rappelant que les demandes d’accommodements et d’exemptions pour raisons médicales seront toujours accordées.  Le 26 août dernier, Claire Downie, v.-p. aux Affaires universitaires de l’AÉUM, a révélé avoir reçu plusieurs avis d’étudiant·e·s dont les demandes d’accommodements ou d’exemptions avaient été refusées par leurs professeur·e·s ou par des membres de l’administration.

Ailleurs au Québec

La problématique de la vaccination obligatoire est répandue à travers plusieurs milieux du Québec, incluant la communauté universitaire. Le gouvernement Legault a décidé de tenir une commission parlementaire sur la question, à laquelle le Bureau de coopération interuniversitaire (BCI) a été appelé comme intervenant. En entrevue à l’émission Midi-Info de Radio-Canada le 27 août dernier, le Dr Pierre Cossette, président du BCI, a expliqué que son organisation était à majorité contre la vaccination obligatoire, reconnaissant toutefois les divergences entre les directions d’établissements.

« Le professeur qui ne veut pas [se faire vacciner], je dois suspendre son salaire ? L’étudiant qui ne veut pas [se faire vacciner], je le retourne chez lui ? Il interrompt ses études pour combien de temps ? »

Pierre Cossette

Selon lui, exiger une preuve vaccinale mettrait les universités dans une position embêtante face à leurs membres réfractaires. « Le professeur qui ne veut pas [se faire vacciner], je dois suspendre son salaire ? L’étudiant qui ne veut pas [se faire vacciner], je le retourne chez lui ? Il interrompt ses études pour combien de temps ? » a dit Pierre Cossette, rappelant que les universités ont des obligations envers ces personnes malgré leur refus de se faire vacciner.

Pierre Cossette se dit préoccupé par le « ton alarmiste » des personnes qui font pression pour l’adoption de la vaccination obligatoire. Il souligne que le taux de vaccination du Québec figure au haut du classement mondial et qu’il continuera de grimper.

Quant aux possibles risques pour les universités de s’exposer à des poursuites si celles-ci n’exigent pas de preuves vaccinales, Pierre Cossette semble ne pas s’en faire. « Depuis le début de la crise, on a des menaces de poursuites de tout ordre » dit-il. « On a un masque pour tout le monde, des mesures de services sanitaires extensives, des cliniques de dépistages, des cliniques de vaccination et une population dont la vaccination progresse » rappelle-t-il. Selon lui, les mesures mises en place dans la plupart des universités suffisent à ce que ces dernières remplissent leurs obligations. 


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