Aller au contenu

Tournesols à la tomate

Les gestes d’activisme radicaux : désespérés ou ridicules ?

Laura Tobon | Le Délit

Le 14 octobre dernier, deux activistes de Just Stop Oil (Fin au Pétrole, tdlr), un groupe qui milite contre l’exploitation des combustibles fossiles, sont entrées dans une salle de la Galerie nationale (National Gallery) de Londres avec deux boîtes de conserve de soupe à la tomate Heinz en main. Splat ! – c’est le son qu’a fait la tomate en s’écrasant sur la vitre qui protège Les Tournesols, célèbre toile de Vincent Van Gogh. « Qu’est-ce qui vaut plus, l’art ou la vie ? (tdlr) », a exprimé une des manifestantes, sa main collée au mur du musée anglais. « Êtes-vous plus soucieux de la protection d’un tableau ou de la protection de notre planète ? », a ajouté l’autre manifestante.

De la grève de la faim à l’immolation par le feu, ces formes de protestation qu’on peut qualifier de « radicales » ont historiquement été déployées par des mouvements activistes pour attirer l’attention vers des situations désespérées. En effet, le coup de la soupe de Just Stop Oil ne sort pas de l’ordinaire. Prenons par exemple la désobéissance civile de Gandhi dans les années 1930 et 1940, ou bien le blocage du pont Jacques-Cartier par Extinction Rébellion en 2019. Si le tableau, protégé par une vitre en verre, a échappé à la tomate, quel est le problème ?

« Splat ! – c’est le son qu’a fait la tomate sur la vitre qui protège les Tournesols, célèbre toile de Vincent Van Gogh »

« Ce n’est pas la bonne façon de protester. Ils sont contre les émissions [de gaz à effets de serre, ndlr] donc ils attaquent Van Gogh ? Tout ce que ça fait, c’est de soutenir les négationnistes du climat, » a partagé un internaute. Plusieurs ont pris cet acte comme une opportunité pour critiquer Just Stop Oil, qui reçoit une partie de son financement du Climate Emergency Fund, un fond de subvention d’activistes pour la justice climatique basé à Los Angeles qui a commencé avec une subvention de 500 000$ de l’héritière de Getty Oil, Aileen Getty. Certain·e·s ont critiqué le geste comme étant plus aliénant qu’utile tandis que d’autres plaisantaient en disant que les manifestantes ciblaient Les Tournesols parce qu’il s’agit d’une peinture à l’huile. Dégoût et rage circulaient sur Internet ; c’est un acte « ridicule », « sans cible ou objectif », peut-on lire. Même si, symboliquement, la tomate sur le Van Gogh ne représente pas grand-chose, les manifestantes ont réussi à exprimer une chose : un désespoir à travers le ridicule. Nous sommes avant tout dans une situation de désespoir en ce qui a trait à la crise climatique.

« La consommation de combustibles fossiles est l’un des plus grands enjeux de notre temps et le principal moteur du réchauffement planétaire »

La consommation de combustibles fossiles est l’un des plus grands enjeux de notre temps et le principal moteur du réchauffement planétaire. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a encore averti que les émissions actuelles planétaires placent les pays loin du 2 ̊ C d’ici 2100. Avec les sécheresses, les incendies, les tempêtes, l’élévation du niveau de la mer et l’épuisement des ressources naturelles, la dystopie devient réalité et on s’approche d’un monde tout comme dans le Soleil vert de Richard Fleischer. Si la soupe sur le Van Gogh ne va pas nous sauver alors que la Terre est sur le point d’exploser, elle aura au moins eu le mérite de nous faire rire alors que la planète est enflammée.


Dans la même édition