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La poésie des trottoirs

Regard sur le premier livre de Nelly Desmarais.

Justine Latour, © Le Quartanier

Marche à voix basse est paru le 8 mars 2022 aux éditions du Quartanier. Il s’agit du premier recueil de poésie de Nelly Desmarais, poète et directrice administrative de la même maison d’édition, qu’elle a rédigé en partie dans le cadre de sa maîtrise en recherche-création à l’Université du Québec à Montréal. Marche à voix basse donne à voir une déambulation, un vaste chemin à travers le soi, la souffrance, la tragédie vécue de près ou de loin, mais aussi la douceur et la proximité que l’on peut ressentir envers un lieu. Dans le cas du recueil, c’est du quartier Hochelaga-Maisonneuve dont on parle, c’est à travers lui que déambulent plusieurs voix, à travers plusieurs époques. D’une certaine manière, c’est lui qui donne lieu aux corps que le recueil mobilise, à ces subjectivités qui s’y entrecroisent.

Dans l’individuel, le collectif

Le recueil se construit comme un casse-tête – ses neuf parties sont le résultat d’un travail assidu dont la précision se fait sentir et se font écho les unes aux autres avec harmonie. Les poèmes interrogent à la fois l’expérience individuelle – la voix poétique se dédouble, alterne entre le je et le elle, raconte une errance dans le quartier, une agression, l’enfance dans un couvent – et l’expérience collective. Est notamment racontée la tragédie du cinéma Laurier-Palace, qui a pris feu en janvier 1927, tuant près de 80 enfants. Pour Nelly Desmarais, qui souligne l’importance de la structure du recueil et qui raconte les heures passées à agencer ces neuf sections, cette partie sur le Laurier-Palace tient lieu de pont entre l’individuel et le collectif. « C’est là le propos », nous dit-elle. Dans Marche à voix basse se déploie alors une réflexion parmi d’autres : comment un événement tragique vécu dans la collectivité peut-il trouver écho dans la souffrance d’un individu, et, de la même manière, comment la violence vécue sur le plan individuel peut-elle résonner à l’échelle collective ? L’un et l’autre se répondent, selon l’autrice. D’où l’importance du lieu, dans lequel, pour Nelly, on projette nos histoires : « on lit le monde avec nos propres références. »

« Dans le recueil, le corps et le lieu sont poreux et entrent en dialogue : l’écriture émerge autant de l’un que de l’autre »

Le corps dans le lieu

« On n’écrit jamais seul·e », dit Nelly. En effet, si la voix de Marche à voix basse est douce, simple et efficace, elle est accompagnée des nombreux exergues qui ouvrent chaque section. Ces exergues produisent l’effet d’une constellation et soulignent l’impossibilité d’écrire sans que les textes, les auteur·rice·s qui nous habitent ne transparaissent. L’écriture nécessite ces voix qui nous sont antérieures tout autant qu’elle a besoin du lieu. Dans le recueil, le corps et le lieu sont poreux et entrent en dialogue : l’écriture émerge autant de l’un que de l’autre. Hochelaga reflète les états d’âme de la voix poétique, il y répond, il absorbe presque le corps qui se meut entre ses murs. Au-delà de toute souffrance, le quartier est là et accueille quiconque s’y échoue.

« Marche à voix basse se déploie en hommage à la vie que l’on retrouve entre les craques du trottoir, dans les enseignes effacées et derrière les fenêtres placardées »

Si Marche à voix basse s’entame avec un je qui quitte son chez-soi, qui s’élance, son dernier poème se clôt avec cette même voix qui retourne à sa chambre à la tombée du jour, pleine des choses vues. La marche encadre ainsi le recueil, lui donne son souffle et sa corporalité. Marche à voix basse se déploie en hommage à la vie que l’on retrouve entre les craques du trottoir, dans les enseignes effacées et derrière les fenêtres placardées.


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