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S’enfuir pour se reconstruire

Une question d’identité entre mémoire et histoire. 

Adélia Meynard | Le Délit

Entre souvenirs d’enfance, récits de fuite et questionnements identitaires, le documentaire d’animation Flee est basé sur le témoignage poignant d’Amin Nawabi (nom de plume), un réfugié afghan vivant au Danemark. Ce film, né de longs entretiens entre le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen, et Amin, son ami de longue date, a une particularité peu commune au genre documentaire : il alterne entre images d’archives et animation. Ainsi, le récit intime basé sur la vie d’Amin, qui apparaît à l’écran sous la forme d’un réconfortant dessin animé entre en dialogue avec les images d’archives d’une violence parfois crue. L’animation permet à la fois de jeter un voile pudique sur le récit d’Amin et de créer une distance nécessaire et saine pour les spectateur⋅rice⋅s : elle permet d’éviter les images spectaculaires d’un récit parfois violent tout en gardant à l’esprit que l’histoire d’Amin est avant tout adaptée de faits vécus. 

Double mensonge

Au cœur du récit d’exil d’Amin se trouve un questionnement identitaire. L’animation du documentaire n’est pas un choix purement esthétique : elle permet aussi de préserver l’anonymat de l’ami du réalisateur. Le protagoniste raconte son histoire pour la première fois, après l’avoir cachée à tous ses proches pendant de longues années, de peur de se faire dénoncer aux autorités. Il a également caché son homosexualité à sa famille afghane depuis sa plus tendre enfance. Ce double mensonge oblige Amin à refouler une grande partie de son identité, qu’il soit avec son entourage au Danemark ou avec sa famille afghane. Cette situation difficile à gérer est amenée à son paroxysme lorsque le protagoniste décide d’épouser son conjoint Kasper. Il n’a alors d’autre choix que de cesser de fuir et de mentir pour enfin révéler son passé et son identité. Les longues séances d’entrevue entre Amin et son ami réalisateur prennent alors une tournure thérapeutique et permettent au protagoniste de faire face à son passé pour mieux appréhender son futur. 

« L’animation du documentaire n’est pas un choix purement esthétique : elle permet aussi de préserver l’anonymat de l’ami du réalisateur »

Un témoignage historique

Le fait que le récit d’Amin soit un témoignage individuel n’en fait pas pour autant un récit dénué de contexte. Le constant va-et-vient entre la voix d’Amin et les images d’archives rappelle tout au long du film que le témoignage se doit d’être appréhendé avec une perspective historique : il ne s’agit pas d’un récit isolé. À l’inverse, il est important de garder à l’esprit que les images d’archives de foules et de guerre racontent, elles aussi, de multiples histoires individuelles que l’on voit sans regarder. Flee réussit le coup de force de passer avec tant de fluidité du récit d’Amin aux images d’archives que ces deux modes de narration finissent par se compléter et par raconter la même histoire. Le⋅a spectateur⋅rice est alors amené⋅e à côtoyer deux représentations très différentes du souvenir : l’une intime et poétique, l’autre crue et détachée.

« Le⋅a spectateur⋅rice est alors amené⋅e à côtoyer deux représentations très différentes du souvenir : l’une intime et poétique, l’autre crue et détachée »

Ces deux formes narratives ont pourtant un point commun : elles sont nécessaires à une prise de conscience de la réalité de la crise des réfugié·e·s. En somme, c’est grâce au dialogue entre la mémoire individuelle et la mémoire collective que le récit d’Amin se transforme en témoignage et qu’il vient prendre sa place au sein de l’histoire.


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