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Montréal en mouvement

Le Délit s’est entretenu avec Balarama Holness.

Équipe de Balarama Holness

Le Délit (LD) : Vous dites que Mouvement Montréal est un parti communautaire. Quelle est la philosophie derrière Mouvement Montréal ? Pourquoi avoir lancé ce parti ?

Balarama Holness (BH) : C’est pour enrichir notre démocratie et favoriser la participation citoyenne. On parle souvent de l’implication de la jeunesse, de la diversité, mais ces idées sont véhiculées par les grandes institutions qui ne les implantent que très rarement. Je suis un entrepreneur social, dans le sens que je crée un parti politique, mais je ne suis pas un politicien. En d’autres mots, je suis d’abord et avant tout un juriste, enseignant avec une maîtrise en éducation, un coach et un père de famille. Notre parti amène donc de l’authenticité et de l’honnêteté à un secteur politique qui en manque. Pour nous, la création d’un parti est importante pour deux raisons en particulier. D’abord, pour faire en sorte que des gens qui ne se sont jamais lancés en politique et qui ne se sentent pas représentés par une formation politique en place décident pour la première fois de leur vie de se présenter. 95% des personnes au sein de notre formation ne s’étaient jamais lancées en politique auparavant. Ce sont des avocats, des acteurs du milieu culturel, des urbanistes, des enseignants, des professionnels de tous les horizons qui s’engagent dans la démocratie. Ensuite, on veut créer une plateforme qui est à l’image des Montréalais et Montréalaises, qui répond à leurs besoins réels, mais aussi qui correspond à un démarrage très frais. C’est-à-dire que l’on peut vraiment créer notre plateforme et notre parti à partir de zéro, en partant des racines communautaires. 

« Notre parti amène donc de l’authenticité et de l’honnêteté à un secteur politique qui en manque » 

LD : Contrairement à Valérie Plante et à Denis Coderre, vous êtes le seul chef à promouvoir le définancement de la police à Montréal. Quelle est votre stratégie à cet égard ?

BH : D’abord, nous n’avons jamais parlé de définancement. On parle plutôt de réallocation. « Définancement » est un mot utilisé dans le but de connoter négativement une politique qui est juste. Par exemple, la ville de Montréal a coupé 100 millions de dollars dans les infrastructures. Pourtant, personne ne dit que Valérie Plante a définancé les infrastructures. En ce moment, il y a près de 4 000 policiers à Montréal. Le budget pour leurs salaires est de 550 millions de dollars et 40% des contraventions sont remises aux itinérants. Ça veut dire que 40% de nos effectifs servent à « policer » la pauvreté. À la place, nous proposons d’utiliser ces fonds-là pour donner aux itinérants un logement, une trousse de survie : aide en santé mentale, services sociaux, intervenants, etc. Il faut également mettre en place un encadrement pour favoriser leur réinsertion dans la société. Par analogie, s’il y a une famine, il n’est pas logique de mettre de l’argent pour mobiliser l’armée autour de la boulangerie. Il faut plutôt le mettre dans la distribution de pain pour nourrir la population.

« Puisque nous reconnaissons que nous sommes sur un territoire non cédé, cela implique qu’un pourcentage des taxes et de la prospérité économique générée à Montréal doit en partie être redistribué à ceux qui étaient là avant nous »

Il est aussi important de parler des gangs de rue et de la prolifération des armes à feu. Nous sommes en faveur des agences spécifiques qui ciblent ces individus-là et ces problèmes-là avec des connaissances accumulées par le SPVM et d’autres niveaux de gouvernement. C’est un moyen à court terme pour limiter la violence, qui ne doit pas non plus se traduire par une carte blanche pour le profilage racial et social. Mais à long terme, on doit s’inscrire dans la prévention en distribuant l’argent pour l’aménagement d’espace verts et pour favoriser le loisir, la récréation et le sport, l’éducation et l’expression culturelle. C’est une vision holiste de la sécurité publique. On utilise les ressources pour venir en aide aux personnes qui ne sont pas dangereuses mais qui sont en danger : celles qui se trouvent dans la rue, qui ont une dépendance à la drogue et qui sont à risque d’overdose, dont on a abusé, qui ont des problèmes de santé mentale, etc. Il faut commencer à encadrer la population vulnérable. Il faut arrêter de financer le SPVM avec 800 millions de dollars et continuellement oublier de diversifier les intervenants dans le secteur de la sécurité publique. Il faut mettre fin à l’idée archaïque de l’homogénéisation du SPVM voulant qu’il faille absolument un policier armé, mais qui n’est pas apte à intervenir spécialement pour désamorcer certaines crises.

LD : Quelles sont les raisons qui vous poussent à vouloir faire de Montréal une ville bilingue ? Ne pensez-vous pas que ça pourrait éloigner l’électorat francophone, notamment à la suite du départ de Marc-Antoine Desjardins et de plusieurs de ses candidats de votre caucus ?

BH : Il faut comprendre que ce n’est pas qu’une question politique. Cette position part de qui je suis. Ma mère est blanche, francophone, catholique et a grandi à Montréal. Elle a rencontré mon père, un immigrant jamaïcain noir, anglophone, protestant et issu d’un milieu rural, dans un concert de Bob Marley. Mon identité est donc intersectionnelle : à la fois francophone et anglophone, blanche et noire, etc. Je pense que ce raisonnement s’applique aussi à Montréal, qui est une ville internationale, cosmopolite, multiculturelle. C’est la réalité montréalaise et ça va au-delà de la politique. C’est donc pour ça que nous nous avançons cette politique de bilinguisme. Il y en a qui pensent qu’ils peuvent légiférer sur la culture et la langue d’une personne en utilisant la clause dérogatoire [de la Charte canadienne des droits et libertés, ndlr] – je parle ici du projet de loi 96 – pour faire en sorte que les tribunaux ne puissent pas intervenir. Nous allons leur répondre, et les gens vont se lever pour protéger leurs droits culturels et linguistiques. 

LD : Vous souhaitez adopter officiellement la Déclaration des Nations Unies sur les Droits de Peuples Autochtones. Que proposez-vous concrètement pour ce faire ?

BH : Nous sommes le seul parti qui souhaite reconnaître dans la Charte montréalaise des droits et responsabilités que Montréal est un territoire non cédé. Sans reconnaissance, il est difficile d’avancer. Ensuite, nous voulons allouer un pourcentage de notre budget, qui est actuellement de 6 milliards de dollars, pour pouvoir répondre à tous les besoins des peuples autochtones. En ce moment, le chiffre que nous avançons est de 400 à 500 millions de dollars. Puisque nous reconnaissons que nous sommes sur un territoire non cédé, cela implique qu’un pourcentage des taxes et de la prospérité économique générée à Montréal doit en partie être redistribué à ceux qui étaient là avant nous. On sait que les Autochtones sont surreprésentés dans la population itinérante de Montréal. Cet argent-là irait dans la construction de logements, dans l’aide à la santé mentale, dans l’intervention sociale, dans les services médicaux de proximité. On veut également innover dans le monde de l’entrepreneuriat en s’assurant de créer des emplois pour des personnes autochtones qui leur permettront de contribuer socialement, culturellement et politiquement à l’économie montréalaise. Finalement, il faut également favoriser la participation politique des personnes issues de communautés autochtones. À l’heure actuelle, à ce que je sache, il n’y a pas de candidats ou candidates autochtones qui se présentent aux élections montréalaises. Il faut y remédier. 

LD : Que proposez-vous pour améliorer les conditions  de vie des étudiants ?

BH : Il faut créer des logements spécifiquement pour les étudiants. Le plus grand enjeu est qu’il y a 180 000 étudiants à Montréal, ce qui représente une population plus grande que des centaines de municipalités au Québec. À eux seuls, les étudiants pourraient former une ville. Nous proposons d’adopter un règlement qui oblige les promoteurs à construire des logements abordables, sociaux et familiaux. Dans notre programme, nous souhaitons créer 5 000 logements pour étudiants.

Nous perdons également nos étudiants au profit de villes comme Toronto et Vancouver, car ils ne peuvent pas rester à Montréal en raison de la langue. Nous voulons faire en sorte que les entreprises puissent opérer en français et en anglais, en plus de permettre aux diplômés, dont le niveau de français est trop bas par rapport aux standards actuels, de tout de même travailler pour qu’ils puissent apprendre la langue dans leur milieu de travail. On ne veut pas qu’ils soient exclus avant même d’avoir accès au marché du travail. 

LD : Quelle est votre vision pour le transport en commun à Montréal ?

En ce moment, la Société de transport de Montréal (STM) a un déficit de 62 millions de dollars et des coupures de service de 30% sont prévues (selon Le Devoir, il s’agit d’une possibilité, mais le scénario priorisé par la STM consiste en des coupures de service d’environ 10%, ndlr). Le modèle d’affaire de la STM est basé sur l’achat individuel de billets d’autobus ou de métro, et si une pandémie frappe et que les ventes baissent, la STM tombe en déficit. Nous proposons donc que les grandes entreprises comme les banques et les universités soient partenaires de la STM en achetant automatiquement des abonnements pour leurs employés ou leurs étudiants. Le gouvernement du Québec ou celui du Canada rembourserait par la suite en partie ces institutions partenaires à hauteur de 60% à 75%, par exemple. On s’assure ainsi que les institutions qui ont les plus grandes empreintes écologiques ainsi que les gouvernements jouent leur rôle dans la lutte aux changements climatiques tout en garantissant un revenu à la STM.

« Projet Montréal est d’abord et avant tout une équipe de marketing »

LD : Le Devoir rapportait que Marc-Antoine Desjardins avait été pressenti pour se rallier à Denis Coderre et que, selon vous, cela aurait assuré la victoire d’Ensemble Montréal le 7 novembre. Vous avez donc fusionné avec Ralliement pour Montréal malgré vos différends. On comprend ainsi que vous ne souhaitez pas la victoire de Denis Coderre. Considérez-vous donner votre appui à Valérie Plante, si celle-ci est toujours à égalité avec Ensemble Montréal au moment du scrutin ?

BH : D’abord, je n’ai pas fait d’alliance avec M. Desjardins pour empêcher M. Coderre de gagner, mais bien parce que je souhaite une victoire pour Mouvement Montréal. Pour ce qui est de donner mon appui à Valérie Plante, la réponse est non, absolument pas. Projet Montréal est d’abord et avant tout une équipe de marketing. Parlons du bilan de Projet Montréal. En ce qui concerne le logement, ils ont mis trois ans et demi à implanter le règlement mixte (le Règlement pour une métropole mixte prévoit que ​​toute personne réalisant un projet résidentiel de plus de 450 m2 – environ cinq logements – doit contribuer à l’offre de logements sociaux, abordables et familiaux, ndlr). Aucun bâtiment construit à Montréal durant les quatre dernières années n’était assujetti à ce règlement. Ils prétendent avoir permis la construction 12 000 logements abordables, mais la vérificatrice générale de la Ville de Montréal et La Presse ont établi que moins de 1 200 logements sociaux sont actuellement occupés. Durant les quatre dernières années, le marché immobilier s’est enflammé, et c’est une faillite du point de vue de l’abordabilité. De plus, Projet Montréal définit comme abordable un logement dont le loyer est à 90% de la moyenne déjà énorme du quartier. C’est donc impossible pour nous de fusionner avec eux, car ils font le contraire de ce qu’ils disent.


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