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Une chasse hallucinée

Retour sur La contemplation du mystère.

Alexandre Gontier | Le Délit

Présenté en grande première au Festival du nouveau cinéma, La contemplation du mystère d’Albéric Aurtenèche annonce par son titre les grandes ambitions du cinéaste pour son premier long-métrage. On y suit Éloi qui, un an après la mort accidentelle de son père lors d’une partie de chasse, revient sur les lieux du drame pour un hommage rendu à ce dernier par les chasseurs de la région. Profitant de son passage dans les bois pour vaincre son angoisse à l’aide d’hallucinogènes, Éloi se retrouve menacé par un énigmatique étranger connaissant son père et dont la présence attire l’animosité des chasseurs locaux, qui en savent plus sur le décès qu’ils ne veulent le dire. La quête de vérité d’Éloi se mêle à sa thérapie psychédélique, l’amenant à entrevoir le Mystère de la forêt.

Le cinéaste annonce d’emblée par le titre de son œuvre vouloir contempler le mystère, une mission dont il ne s’acquitte pas en produisant un film ésotérique d’un bout à l’autre, mais plutôt en créant un thriller aux fulgurances mystiques. Dans cette œuvre, les interrogations spirituelles cohabitent avec les questions classiques d’un film de suspens, l’incompréhension vis-à-vis des phénomènes mystiques côtoient l’incompréhension d’Éloi par rapport au double jeu des gens qui l’entourent. À ce titre, situer le récit dans la forêt s’avère judicieux, car cela permet non seulement au protagoniste de s’abandonner à une perception mystique de la nature, mais aussi de renouer avec une vulnérabilité et une imprévisibilité de l’humain qui sied bien au thriller. La réalisation d’Aurtenèche alimente aussi ce sentiment d’étrangeté omniprésente que requiert l’histoire. Par exemple, la direction photo vient découper rigidement l’espace, isolant les éléments du décor de manière à rendre les lieux artificiels et inquiétants. Cela crée un contraste avec le jeu plutôt réaliste des comédiens en renforçant l’impression qu’ils sont plongés dans une situation qui les dépasse.

Situer le récit dans la forêt s’avère judicieux, car cela permet non seulement au protagoniste de s’abandonner à une perception mystique de la nature, mais aussi de renouer avec une vulnérabilité et une imprévisibilité de l’humain qui sied bien au thriller

Le film n’est toutefois pas exactement à la hauteur de son titre, souffrant de la comparaison avec d’autres œuvres qui construisent leur récit atypique et ambigu avec plus de finesse. La présence de Martin Dubreuil fera entre autres penser certains à La Grande noirceur, mais on pourrait aussi citer Endorphine ou All You Can Eat Buddha comme autant de films qui parviennent à incorporer leur mystère dans l’entièreté du récit. En comparaison, Aurtenèche ne met réellement les pieds dans le mystique qu’à certains moments balisés du récit. Quant au thriller occupant l’autre moitié du récit, il finit par être expliqué par le dialogue de manière un peu trop classique, réduisant le mystère humain à une énigme dont on ne donnera les clefs qu’en temps et lieu. Bref, le corpus cinématographique québécois contient d’autres œuvres plus radicales dans le traitement énigmatique de leur récit, des œuvres dont la dimension mystérieuse est une constante et dont la force ne varie pas en fonction des scènes et des explications comme c’est le cas ici. On note aussi certaines lourdeurs en ce qui concerne les dialogues, notamment lorsqu’Éloi attaque la médiocrité de l’existence humaine au détour d’une phrase. Ces affronts à l’endroit de l’existence ramènent à l’avant-plan la volonté du film d’aborder de grands sujets et viennent caractériser le regard désabusé du personnage, mais le côté trop travaillé et adolescent de ceux-ci jure avec le ton du film.

En somme, La contemplation du mystère montre le potentiel du jeune cinéaste, même si cette œuvre ne parvient pas à embrasser totalement l’objectif établi par son titre. Un constat habituel pour un premier film, mais celui-ci vaut tout de même le détour en raison de sa proposition fantasmagorique qui s’éloigne des standards plus réalistes de la cinématographie québécoise. Il fait d’ores et déjà d’Aurtenèche un cinéaste à surveiller.


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