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L’éducation supérieure, facteur d’anglicisation à Montréal ?

Le Délit a rencontré les membres du Mouvement des Jeunes Souverainistes dénonçant les politiques caquistes devant l’Université McGill le 4 février 2021. 

Julie-Anne Poulin | Le Délit

Le 4 février dernier, des membres de la cellule Falardeau du Mouvement des Jeunes Souverainistes (MJS) étaient à l’entrée de l’Université McGill avec deux bannières dénonçant les politiques de la Coalition Avenir Québec (CAQ). Cette cellule anonyme a pour but de mobiliser la population à l’indépendance du Québec par l’entremise « d’actions de propagande », selon leurs propres termes. À plus grande échelle, le Mouvement des Jeunes Souverainistes, rassemblant plus de trois mille souverainistes et amateurs de politique sur son groupe Facebook, se veut un groupe non partisan militant pour la souveraineté auprès des électeurs qui n’ont pas connu les deux référendums. 

Les politiques caquistes 

Dans le cadre de son projet de relance économique, élaboré dans le projet de loi 66, le gouvernement de la CAQ a financé l’agrandissement du l’Université McGill et du Collège Dawson, deux institutions anglophones. Le 9 février, le gouvernement Legault a refusé une motion du Parti Québécois pour rediriger cent millions de dollars au réseau francophone collégial plutôt qu’à l’expansion de Dawson. 

Une analyse effectuée en 2014 par le ministère a conclu que le Collège Dawson se retrouve en déficit structurel de près de 10 000 mètres carré. Selon Richard Filion, ancien directeur général du Collège Dawson, « cet agrandissement constitue d’abord une normalisation des espaces auquel le Collège Dawson a droit en vertu des normes en vigueur» ; des normes fondées sur la base d’un devis scolaire établi à la fin des années 1990 et situant sa capacité d’accueil à 7 075 étudiants. L’ancien directeur général présente les chiffres : 60 % des étudiants fréquentant le collège proviennent des commissions scolaires anglophones et 40 % des commissions scolaires francophones. Parmi ces derniers, environ 17% se disent francophones et 23% se disent allophones, soit les « enfants » de la loi 101. 

L’Université McGill, selon les dernières statistiques publiées en automne 2019, compte environ 40 153 étudiants ; 45,4% d’entre eux ont l’anglais comme langue maternelle, 18,9% ont le français et 35,7% ont une langue maternelle autre que les deux langues officielles du Canada. 47,9% proviennent du Québec, alors que 20,2% proviennent du reste du Canada et 31,9% sont des étudiants étrangers. 

Le Délit a rencontré des représentants anonymes de la cellule Falardeau pour en apprendre plus sur leurs revendications. Les représentants expliquent avoir utilisé le mot « assimilation » sur leurs pancartes pour parler d’un phénomène à la fois culturel et linguistique. Pour eux, « un Québec qui s’anglicise est un Québec qui s’assimile ». Ils affirment avoir utilisé ce mot « à connotation plus crue » puisqu’il leur semblait fondamental de démontrer le côté « assimilateur de ces politiques ».

« Le « surfinancement » des réseaux collégial et universitaire anglophone donnerait, selon les représentants, une longueur d’avance à ces institutions au détriment du réseau francophone, rendant l’option anglaise plus attirante pour les étudiants montréalais »

Quant au concept du colonialisme, souvent mentionné dans le groupe de discussion du MJS, les représentants anonymes avouent sa dilution à travers les années. Les dynamiques socio-économiques ne sont plus les mêmes que celles qui prédominaient au Québec du 20e siècle. Cependant, ces personnes font allusion à un « colonialisme plus subtil », ancré dans les domaines culturel et linguistique. Le « surfinancement » des réseaux collégial et universitaire anglophone donnerait, selon les représentants, une longueur d’avance à ces institutions au détriment du réseau francophone, rendant l’option anglaise plus attirante pour les étudiants montréalais. 

La CAQ a promis une révision et un renforcement de la loi 101. « Le but de notre action, c’est non seulement d’élargir l’étendue de la loi 101 à des entreprises, mais également au réseau collégial anglophone, puisqu’il est facteur d’anglicisation à Montréal. » Selon eux, le choix d’étudier en anglais au collégial mènerait à un train de vie anglophone, suivi par des études universitaires anglophones, puis par un travail à prédominance anglophone, résultant en une langue commune anglaise au détriment de la langue de Molière.

L’autre côté de la médaille

Dimitrios Valkanas, étudiant à la Faculté de droit de l’Université McGill, n’est pas de cet avis. Selon lui, élargir l’étendue de la loi 101 créerait des injustices et différences sociales parmi le peuple québécois tout en lui mettant des bâtons dans les roues. « Dans plusieurs pays européens, dont les Pays-Bas, l’immersion anglophone est obligatoire. Le Québec a de la chance de pouvoir s’offrir une éducation anglophone de qualité sans devoir débourser une fortune, ne serait-ce que pour deux infimes années. » Selon lui, parler d’abandon de la langue française comme langue commune est « simplement erroné ». Selon l’Office québécois de la langue française (OQLF), 82% des étudiants québécois font leurs études dans une université francophone, dont 95% des francophones et 70% des allophones.

Dimitrios ajoute que « retirer le droit à une éducation anglophone à bas coût au Québec aux membres de la classe moyenne ferait ressortir les dynamiques sociales oppressantes pour la majorité des francophones et des immigrants ». Selon lui, l’anglais étant une langue populaire à travers le monde et ouvrant les portes du marché du travail, seulement l’élite québécoise pourrait donc se permettre une éducation en anglais et, ainsi, dominer le monde des affaires. Cela lui semble « injuste, considérant que les politiciens québécois Parizeau et St-Pierre Plamondon ont effectué leurs études supérieures en anglais ». « Pourquoi interdire ces opportunités aux moins nantis ? », demande-t-il. Pour lui, le résultat est clair : ces politiques entraîneraient une assimilation bien différente et plus nocive, celle « d’une élite bilingue à laquelle la majorité de la population québécoise serait soumise. Dans un contexte de mondialisation, il serait imprudent de retirer cette liberté au peuple québécois ». 

« Retirer le droit à une éducation anglophone à bas coût au Québec aux membres de la classe moyenne ferait ressortir les dynamiques sociales oppressantes pour la majorité des francophones et des immigrants »

Dimitrios Valkanas

Joint par Le Délit, Frédéric Bastien, ancien candidat à la chefferie du Parti Québécois et professeur d’histoire au Collège Dawson, a déploré que les manifestants aient décidé de conserver l’anonymat. « Le Québec n’est pas une dictature. Si on prend position, il faut l’assumer et avoir la force de nos convictions pour aller de l’avant. »  


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