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Face à face avec l’Histoire : Haïti au Québec (1ère partie)

En l’honneur du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, Amélia, Bianca et Laura vous présentent l’histoire de la diaspora haïtienne au Québec. 

Haiti ChérieAdélia Meynard | Le Délit

L’influence d’Haïti au Québec et à Montréal est indéniable. Il suffit pour s’en apercevoir de porter un regard sur les nombreux symboles qui sillonnent la culture québécoise. Regardons le parc Toussaint-Louverture qui rappelle un personnage historique important pour la communauté haïtienne, mais également pour l’Histoire. Écoutons le créole qui s’immisce dans le joual québécois : bagay, lakay, patnais. Et maintenant, découvrons l’origine de ces ancrages de la culture haïtienne dans le paysage québécois.

Première vague : dictature et exil politique (1960–1970)

L’histoire de l’immigration haïtienne au Québec débute avec l’instauration du duvaliérisme en Haïti. Voulant mettre fin au règne des « Mulâtres », François Duvalier, surnommé « Papa Doc », accède à la présidence de la République lors des élections de 1957, candidat choyé par l’armé. Dès son entré en poste, il amende la Constitution haÏtienne et s’auto-proclame président à vie. Il instaure dès lors un régime autoritaire à l’aide de sa propre Gestapo, les « tontons macoutes ».

C’est donc ce contexte politique très répressif que fuient, au début des années 1960, les quelques milliers d’Haïtien·ne·s qui arrivent au Québec en tant que réfugié·e·s politiques. Cette première vague d’immigration, aussi appelée « l’exode des cerveaux », est principalement composée de professionnel·le·s, d’enseignant·e·s, de médecins, d’avocat·e·s et d’infirmier·ère·s. Leur immigration est facilitée par des réformes apportées au système d’immigration au Canada : en 1962, la discrimination raciale, qui était alors l’une des caractéristiques principales de sélection des immigrations, a été éliminé par le gouvernement fédéral. 

Ces nouveaux·elles arrivant·e·s s’installent en grande majorité dans la métropole montréalaise, situation qu’ils·elles croient temporaire, ne se doutant pas que la dictature durera plus d’une trentaine d’années. De profonds changements sont alors en train de s’opérer dans la société québécoise, alors en pleine Révolution tranquille. Le besoin de main d’œuvre spécialisée est fort à cette époque où les systèmes de santé et d’éducation sont en pleine transformation. Ces services étaient jusqu’alors contrôlés par l’Église. Étant francophones, ces Haïtien·ne·s intègrent rapidement le marché de l’emploi, leurs diplômes et leurs compétences étant reconnus sans difficulté. La perte inestimable de ces intellectuel·le·s pour Haïti marque un gain important pour la société québécoise. Avec la création du Ministère de l’Éducation et d’institutions d’enseignement laïques, bon nombre d’enseignant·e·s haïtien·ne·s participent activement à la scolarisation des Québécois·e·s.

« C’est en 1966, au courant de la première vague, qu’est arrivé mon grand-père, Maurice Péan, bientôt suivi par sa femme, Irène François, et leurs enfants. Fonctionnaire auprès du gouvernement Magloire, avant la prise de pouvoir par les Duvaliers, et fervent opposant du régime, il fait partie de ces intellectuel·le·s qui, menacé·e·s par les tontons macoutes, ont dû fuir le pays. Après un détour par les États-Unis, il s’est installé à Jonquière, où il a enseigné pendant le reste de sa vie, tout en entretenant le rêve (vain) de retourner s’établir en Haïti un jour »

Laura Doyle Péan

Dans les années qui suivent le début de la dictature en Haïti, François Duvalier se proclame président à vie et assure la succession de la présidence à sa famille. En 1971, à l’âge de 19 ans, Jean-Claude Duvalier prend le pouvoir à la suite du décès de son père. « Baby Doc » effectue quelques changements par rapport au régime précédent, mais l’insécurité et la violence prévalent tout de même. 

Laura Doyle Péan Située dans le quartier Petite-Bourgogne, sur la rue Dominion, cette murale en créole n’est qu’un des nombreux signes de la présence haïtienne à Tiohtià :ke (sur l’île de Montréal).

Seconde vague : instabilité et quête d’un meilleur avenir (À partir des années 1970)

Poussé par une recrudescence de la violence, une deuxième vague d’Haitien·ne·s quittent le pays. Cette nouvelle vague se distingue de la première par sa composition. Ce sont principalement des ouvrier·ère·s, moins scolarisé·e·s et moins qualifié·e·s, qui viennent s’installer et combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs de la manufacture et des services. Ils·elles vont devoir affronter de nombreux défis.

« C’est au début de la seconde vague que mon grand-père, Nicrèle Charles, arrive seul à Montréal à la recherche d’un avenir meilleur pour sa famille. Il travaille alors dans l’industrie du textile et de la broderie. Sa famille le rejoindra graduellement au cours des années qui suivent ; ma mère arrivera à Montréal en 1978 »

Amélia Souffrant

Ces nouveaux·elles arrivant·e·s subiront une intégration plus difficile que celle de la première vague. Étant peu qualifié·e·s, ils·elles reçoivent de faibles salaires et travaillent de longues heures souvent sans sécurité d’emploi. La discrimination raciale dans un marché du travail déjà exigeant dresse d’autres obstacles à l’intégration de ces immigrant·e·s. Les traitements discriminatoires dont sont victimes les Haïtien·ne·s au sein de l’industrie du taxi sont dénoncés dans le rapport d’enquête de la Commission des droits de la personne et mènent d’ailleurs à la création du Bureau du taxi en 1987. Au cours de cette deuxième vague, des organisations voient le jour afin de lutter contre les injustices que subissent les Haïtien·ne·s, facilitant ainsi leur intégration. C’est ainsi que sont fondés La Maison d’Haïti et le Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM) en 1972. Ils offrent, entre autres, des services d’accueil, d’accompagnement et d’interprétation. La communauté doit faire face à de nombreux défis : « précarité de statut, pauvreté, fragilisation des familles, taux élevé de monoparentalité, décrochage scolaire, violence, délinquance, etc. »

« Vous croyez que c’est simple,
quand on vient d’un pays d’été
où tout le monde est noir,
de se réveiller dans un pays d’hiver
où tout le monde est blanc »

Dany Laferrière, Chronique de la dérive douce

À ce sujet, l’une des première mobilisations de la communauté haïtienne et de la Ligue des droits de l’homme permettra la régularisation de plusieurs sans papiers qui ont vu leur visa de touriste expirer. En 1973, à la suite de la décision du gouvernement fédéral de retirer la possibilité de demander le statu de résident permanant, c’est entre 25 000 et 30 000 immigrant·e·s qui sont menacé·e·s d’expulsion. Cette situation soulève l’indignation au Québec auprès de la société civile et du gouvernement québécois qui font pression auprès du gouvernement fédéral. Sommé de répondre à ce problème, celui-ci adopte plusieurs mesures, dont l’Opération Mon Pays qui permettra aux Haïtien·ne·s de réguler leur statut. Puis, de plus en plus de législations en matière d’immigration favorisent la réunification des familles, ce qui accordera un plus grand capital social à ces immigrant·e·s de la deuxième vague.

En 1986, la dictature des Duvaliers tombe finalement. La chute du régime ne marque pas pour autant la fin de l’instabilité politique et de l’insécurité dans un pays fragilisé par les sanctions économiques imposées par des puissances coloniales, notamment la dette d’Indépendance, équivalente à 28 milliards de dollars, que la France lui avait imposé en 1825. 

Le Canada continue donc d’attirer des immigrant·e·s. Ils·elles sont toujours en quête d’un meilleur avenir et ne prévoient pas nécessairement rentrer en Haïti, contrairement aux immigrant·e·s de la première vague. À partir des années 1990, l’immigration haïtienne sera principalement composée de travailleur·se·s qualifié·e·s.

« Ma famille et moi sommes arrivées en 2002. À l’époque, ma mère travaillait comme pharmacienne en Haïti. Elle a été « recrutée » pendant son travail par une agente d’Immigration Canada. Elle a dit à ma mère que le Canada était à la recherche de personnes comme elles, qualifiées et avec une famille afin de venir s’installer dans leur pays. En l’espace de quelques jours, mes parents ont pris la décision de s’installer à Montréal avec la certitude qu’ils pourraient ainsi offrir un meilleur avenir à leurs enfants »

Bianca Annie Marcelin

C’est dans un contexte de grande fragilité sociale que survient le séisme du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince. Le séisme de magnitude 7.0 emporte plus de 250 000 personnes et en blesse 300 000 autres. Cette terrible catastrophe amène une autre vague d’immigrant·e·s qui bénéficieront du programme de parrainage du Canada ainsi que d’autres mesures facilitant leur immigration. Entre 2010 et 2015, environ 5 500 personnes arrivent au Canada via des programmes spéciaux créés par les gouvernements québécois et canadiens. En 2016, on dénombre près de 143 165 personnes issues de la communauté haïtienne vivant au Québec, province qui accueille près de 90% de cette communauté au Canada

Plusieurs de ces personnes, de même que des travailleurs et travailleuses d’autres origines, demeurent dans une situation d’immigration précaire, attendant une décision quant à leur demande d’asile ou demeurant au pays sans statut. Cette situation a été exacerbée par la pandémie et la présence policière accrue. Le programme spécial mis en place en décembre 2020 pour permettre aux demandeuses et demandeurs d’asile ayant prodigué des soins directs aux patient·e·s durant la première vague de la pandémie de régulariser leur statut a été dénoncé par plusieurs organismes, dont la Maison d’Haïti et le BCHM, comme étant trop limité. Au début de la pandémie, ces deux groupes s’étaient joints à environ 150 organismes membres de la Table de concertation au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) pour appeler le gouvernement fédéral à régulariser toutes les personnes sans-statut vivant au Canada, et des mobilisations à cet effet continuent encore.

Cette plus récente contribution indispensable à la bonne gestion de la pandémie démontre à nouveau l’inestimable apport des communautés haïtiennes à la société québécoise.


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