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Premières Nations, deuxième vague

Discussion sur la situation des communautés autochtones face à la COVID-19. 

Parker Le Bras-Brown | Le Délit

Le 14 janvier dernier, l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL) a organisé une table ronde virtuelle sur la question du racisme auquel sont confrontés les peuples autochtones dans le système de santé québécois. Animée par le chef de l’APNQL, Ghislain Picard, la discussion des cinq invité·e·s était axée autour de trois thèmes principaux : la COVID-19 et son effet sur les autochtones, le racisme systémique dans le système de santé et les politiques publiques concernant la santé des autochtones en général. 

Un modèle exemplaire

Dr Stanley Vollant, médecin et chirurgien innu, et Dr Amir Khadir, spécialiste en microbiologie médicale-infectiologie, soutiennent depuis le printemps dernier la cellule stratégique de la Nation innue face à la COVID-19. Les deux professionnels de la santé, conviés à la table ronde, se sont entendus pour affirmer que les populations autochtones du Québec s’en étaient bien tirées face à la première vague de la pandémie, car elles se sont mobilisées rapidement, bloquant promptement l’accès à leurs communautés afin d’empêcher les éclosions, et ont sollicité la participation des leaders autochtones et des acteurs du milieu communautaire. Ex-député de la circonscription de Mercier pour Québec Solidaire, Dr Khadir a noté que le gouvernement québécois aurait eu intérêt à s’inspirer des communautés autochtones en mobilisant davantage le milieu communautaire, notamment les travailleur·se·s sociaux·ales et les coordonnateur·rice·s locaux·ales, pour appuyer l’appareil institutionnel de la Santé publique. 

« L’éloignement et l’isolement de certaines communautés rendent difficile la gestion des éclosions, selon la sous-ministre Gideon »

Les invité·e·s ont d’ailleurs souligné l’importance que revêtait cette réussite lors de la première vague étant donné les nombreux indices de vulnérabilité au virus dans les populations autochtones. Valérie Gideon, sous-ministre déléguée des Services aux autochtones du gouvernement fédéral, a rappelé que les conditions de vie dans les communautés – notamment la surpopulation dans les logements – augmentent les risques de transmission et que l’éloignement et l’isolement de certaines communautés rendent difficile la gestion des éclosions.

Une deuxième vague qui inquiète

Malgré l’innovation, la mobilisation et la résilience des populations autochtones du Québec, qualités soulignées par la directrice générale de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador Marjolaine Sioui, les invité·e·s ont fait part de leurs nombreuses inquiétudes face à la deuxième vague de la pandémie qui sévit déjà dans les grandes villes et dans les Prairies. À l’Hôpital Notre-Dame à Montréal, Dr Vollant a fait état des choix déchirants imposés aux professionnel·le·s de la santé, contraint·e·s de laisser mourir certain·e·s patient·e·s faute de place aux soins intensifs. La sous-ministre Gideon a, quant à elle, fait part des ravages de la deuxième vague dans les communautés autochtones des Prairies : 87% des communautés du Manitoba et 92% des communautés de l’Alberta ont été touchées par des éclosions. Ces statistiques se voulaient un « encouragement [pour le Québec] à planifier pour le pire » qui serait d’ailleurs encore « à venir » selon Dr Vollant. 

« Alors que les grands centres urbains comme Montréal manquent déjà d’infirmier·ère·s et se voient obligés de fermer l’accès à l’urgence, Dr Vollant a dit craindre le manque de ressources nécessaires pour faire face aux éclosions pour les communautés autochtones » 

Or, les infrastructures temporaires et les effectifs nécessaires pour faire face aux éclosions font cruellement défaut, selon Joliane Ottawa, infirmière atikamekw de Manawan. Dans cette communauté, les hébergements temporaires qui pourraient accueillir des professionnel·le·s de la santé au cours des deuxième et, peut-être, troisième vagues sont insuffisants aux dires de l’infirmière. Cette dernière craint que sa communauté « manque de bras si nous, les infirmières, tombons au combat » contre le virus. Dr Vollant a abondé dans le même sens, se disant « pessimiste » face aux effectifs ; alors que les grands centres urbains comme Montréal manquent déjà d’infirmier·ère·s et se voient obligés de fermer l’accès à l’urgence, il a dit craindre le manque de ressources nécessaires pour faire face aux éclosions pour les communautés autochtones. 

L’urgence de la vaccination et de la sécurisation culturelle

Pour empêcher la situation « catastrophique » des grandes villes de se répéter dans les communautés autochtones, « la vaccination est le [nerf] de la guerre » selon Dr Vollant, qui s’est dit « déçu » que le gouvernement provincial n’ait pas davantage priorisé la vaccination des peuples autochtones. Or, au-delà de l’accès au vaccin, un obstacle de taille demeure : les autochtones n’auraient pas confiance en le système de santé québécois, selon le médecin. Des traumatismes profonds et un climat de crainte caractériseraient le rapport entre les peuples autochtones et le système de santé, a affirmé Joliane Ottawa. Les images du décès tragique de Joyce Echaquan, loin d’être un cas isolé aux dires de Marjolaine Sioui, en sont un témoignage visuel. 

Pour réinstaurer la confiance des autochtones envers le système de santé publique et les sensibiliser à la nécessité du vaccin, a affirmé Joliane Ottawa, la sécurisation culturelle – soit la prodigation de soins dans le respect de l’identité culturelle des patient·e·s – est clé et sera amenée par l’adoption du principe de Joyce. Ce document, produit dans la foulée de la mort de Joyce Echaquan le 28 septembre dernier, émet des recommandations afin de garantir aux autochtones « un droit d’accès équitable, sans aucune discrimination, à tous les services sociaux et de santé […]» dans la reconnaissance et le respect des « savoirs et connaissances traditionnelles et vivantes des autochtones en matière de santé. » Selon Dr Vollant, cette sécurisation culturelle se doit d’être une ouverture à la différence, et l’octroi de « soins [de santé] respectueux à toutes les communautés canadiennes » devrait s’ajouter aux cinq principes sur lesquels repose la Loi canadienne sur la santé. 

« Pour réinstaurer la confiance des autochtones envers le système de santé publique et les sensibiliser à la nécessité du vaccin, la sécurisation culturelle est clé et sera amenée par l’adoption du principe de Joyce, selon l’infirmière atikamekw Joliane Ottawa »

Enfin, le principe de Joyce somme les gouvernements provincial et fédéral de reconnaître l’existence du racisme systémique. De son côté, Dr Vollant, tout en appuyant pleinement le principe de Joyce, a affirmé que, si le gouvernement québécois avait de la difficulté avec l’«épineux » terme « racisme systémique », un concept d’un nom différent comme « discrimination systémique » lui conviendrait dans la mesure où des gestes concrets seraient posés afin de l’éliminer.


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