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Les Premières Nations : assoiffées de changement

Les communautés autochtones au Canada demeurent sans eau potable.

Alexandre Gontier | Le Délit

Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la résolution 64/292, réitérant la reconnaissance du droit à l’eau comme un facteur « essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme ». Malgré tout, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme estime qu’encore aujourd’hui, 2,1 milliards de personnes à travers le monde souffrent d’un accès limité à l’eau potable.

À ce jour, les pays en développement demeurent la cible principale des critiques en matière de politiques hydrauliques. Une fois disséquées, les critiques sur la gestion des eaux révèlent deux tendances qui sont, en ma- jeure partie, hors du contrôle des pays en développement : des infrastructures inadéquates ou permettant un accès limité à de l’eau propre, ainsi que des réserves en eau qui se drainent à un rythme insoutenable pour les pays en développement, autant en raison des populations grandissantes que du réchauffement climatique.

La situation au Canada

Le Canada, où l’eau est une ressource abondante et facile d’accès, reste trop souvent épargné par les condamnations politiques et médiatiques auxquelles les pays en développement sont confrontés, alors que le problème y est aussi réel. Au Sud, l’instabilité des gouvernements est souvent citée pour expliquer la gestion inefficace de la crise de l’eau, tandis qu’ici, cette corrélation est loin d’être aussi claire. Le décalage entre les moyens déployés par le gouvernement du Canada pour assurer un apport adéquat en eau potable à ses communautés autochtones et le rendement de ses investissements, qui s’accroissent de façon constante depuis déjà plusieurs années, est flagrant. Comment le Canada, qui compte parmi les pays les plus nantis en termes de ressources naturelles, peut tolérer que ses Premières Nations soient privées d’une ressource qui leur était exclusive à l’époque précoloniale ?

« Dorothy, une membre de la Première Nation Neskantaga, déplorait avoir vu des membres de sa communauté perdre la vie au fil des ans en raison d’un assainissement inadéquat des eaux »

Au Canada, 29 communautés des Premières Nations sont actuellement contraintes par un avis à long terme – un avertissement de plus d’un an – concernant la qualité de l’eau courante. Le gouvernement libéral de Justin Trudeau se rassure en se rappelant les 137 avis qui étaient en place lors de son élection en 2015, auxquels il avait d’ailleurs promis de mettre fin avant mars 2021 dans le cadre de son projet de réconciliation. Malgré les fonds injectés par le gouvernement fédéral, l’échec est clair. En somme, 63 nouveaux avis ont été mis en place depuis le début du mandat libéral, un progrès minime comparé aux promesses qui avaient été faites.

Or, la différence est que, contrairement aux pays en développement, le Canada est loin de manquer d’eau. En effet, près de 20% des réserves mondiales d’eau douce se situent en territoire canadien. Bref, le Canada ne se trouve ni dans une situation précaire quant aux ressources à sa disposition, ni soumis à la fragilité d’un État illégitime ou dictatorial. Le blâme doit donc être attribué au gouvernement et à sa négligence perpétuelle envers les communautés autochtones. Le désintérêt du gouvernement fédéral envers les Premières Nations est flagrant lorsque l’on considère le statut limitant et discriminatoire imposé à ces communautés. Ce statut particulier est prôné par l’État en raison des bienfaits qu’il engendre, notamment des exemptions fiscales et des tarifs avantageux, mais il perpétue la subordination des communautés autochtones.

Passer à l’action

Le 1er février dernier, Christopher Moonias, ex-chef de la Première Nation de Neskantaga, soulignait sur Twitter le 28ème anniversaire de l’avis à long terme quant à la qualité de l’eau imposée à sa communauté. Deux ans plus tôt, sa communauté et lui avaient publié une vidéo de sensibilisation, où plusieurs membres de la nation Neskantaga faisaient état de la situation concernant leur accès à l’eau, un droit dont ils sont privés depuis 1995. Dorothy, une membre de la Première Nation Neskantaga, déplorait avoir vu des membres de sa communauté perdre la vie au fil des ans en raison de l’insalubrité des eaux. En plus de devoir bouillir leur eau, la nation est affectée au quotidien par des problèmes de santé accrus, notamment des plaques cutanées documentées sur la page Twitter de Christopher Moonias. Maggie, pour sa part, indiquait que « l’eau, c’est la vie à Neskantaga ».

« Selon un rapport du vérificateur général du Canada datant de février 2021, il semblerait que le gouvernement fédéral ait eu recours à des mesures temporaires dans plusieurs réserves afin de retirer les avis concernant la qualité de l’eau »

À Neskantaga, le gouvernement a lamentablement échoué, et la communauté en a assez. En juin 2020, les installations d’assainissement des eaux semblaient presque prêtes à entrer en fonction. La communauté avait mentionné vouloir s’assurer que les infrastructures soient fiables à long terme avant d’accepter que l’avis soit levé. Selon un rapport du vérificateur général du Canada datant de février 2021, il semblerait que le gouvernement fédéral ait eu recours à des mesures temporaires dans plusieurs réserves afin de retirer les avis concernant la qualité de l’eau, mais sans avoir la réelle conviction que ses mesures assureraient une eau propre aux communautés ciblées de façon permanente. Après presque 30 ans à vivre sans eau potable, il est évident que la Première Nation Neskantaga hésite à offrir sa confiance au gouvernement.

En novembre 2019, un recours collectif contre le Canada est intenté afin d’obtenir un dédommagement pour les communautés autochtones ayant passé maintes années sans eau propre. Le recours collectif concernait tous les membres des Premières Nations du Canada qui vivent sur une réserve et qui ont souffert, pendant au moins un an, d’un avis à long terme concernant la qualité de l’eau. En 2020, M. Moonias, représentant la nation Neskantaga, s’est joint au recours pour finalement obtenir réparation pour les années de négligence de l’État à leur égard. À ses côtés se trouvent la Nation crie de Tataskweyak, représentée par Doreen Spence, ainsi que la Première Nation Curve Lake, représentée par Emily Whetung.

C’est en décembre 2021 que le recours collectif se conclut par un règlement s’élevant à 8 milliards de dollars. Sur une période de neuf ans, le gouvernement fédéral investira 6 milliards pour améliorer différentes infrastructures d’assainissement des eaux, versera 1,5 milliards en prestations individuelles aux membres touchés par les avis sur la qualité de l’eau, et 400 millions seront alloués à un fonds assurant la préservation de la culture. 

Encore une fois, le gouvernement utilise l’argent comme un remède miracle à un mal qui mérite une attention sincère, considérant que demeurer aussi longtemps sans eau propre ne peut être pris à la légère. Dans quelle mesure est-ce que recevoir une compensation financière s’avère une indemnisation juste pour pallier les 28 années passées par la communauté de Christopher Moonias sans eau potable ? Peut-on réellement parler de justice ? Il semblerait que verser de l’argent soit une solution simple pour l’État, mais surtout un moyen de limiter les critiques à son égard. Il va de soi qu’un goût amer reste aux Premières Nations, puisque quelques centaines de dollars offerts à chacun ne rattraperont pas les années privées du droit fondamental à l’eau. C’est trop peu, trop tard. Au moins, l’essentiel serait d’assurer à toutes les communautés autochtones de l’eau propre, et ce, continuellement.


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