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Creusons-nous la tombe de l’enseignement ?

Magali Thouvenin | Le Délit

Le mois de décembre marque dans les cercles universitaires une période bien souvent exigeante, voire carrément drainante. À l’approche de la fin de session, nombreux·ses sont ceux et celles dont le sommeil se fait rarissime, les bonnes habitudes laissant place aux longues nuits d’études. Dans ce tourbillon estudiantin, difficile de préserver une bonne santé mentale et de jongler — sans rien échapper — avec les examens, les travaux finaux et les nombreux projets. Mais à l’ombre de notre quotidien étudiant travaillent d’arrache-pied ceux et celles dont l’importance est trop souvent minimisée : les professeur·e·s et chargé·e·s de cours qui ont, depuis le début de la pandémie, effectué un virage à 180 degrés pour réussir à se « renouveler ».

La suspension des cours universitaires en mars dernier ne pouvant pas durer, le passage au numérique s’est effectué en l’espace de quelques semaines. On a alors demandé à la communauté universitaire d’apprendre à maîtriser Zoom, les breakout rooms et toutes sortes de fonctionnalités connexes. Nos professeur·e·s ont dû porter le fardeau d’un enseignement à réinventer, en plus d’apprivoiser dans un nouveau format une profession apprise pour la plupart il y a des années. Impuissant·e·s face aux restrictions qui nuisent à l’apprentissage de leurs étudiant·e·s et à leur propre enseignement, de nombreux·es professeur·e·s ont ajusté leurs plans de cours et répondu à des courriels d’étudiant·e·s inquiet·ète·s, en plus d’offrir du soutien émotionnel à celles et ceux dans le besoin. Mais qu’en est-il de leur propre santé ? La charge mentale des professeur·e·s générée par la gestion du corps étudiant ajoute à leur stress et s’accumule dangereusement, les mettant à risque d’un épuisement professionnel qu’il faut à tout prix éviter. Où sont les mesures gouvernementales pour appuyer celles et ceux qui portent sur leurs épaules le poids de la qualité de l’enseignement et de la recherche universitaire ?

Le taux d’épuisement professionnel serait d’ailleurs plus élevé chez les universitaires que dans la population en général. Les conditions de travail des professeur·e·s se sont détériorées de par le travail à domicile, et la pandémie n’a fait que renforcer les inégalités déjà présentes. Plusieurs études démontrent notamment que la responsabilité des enfants et des aîné·e·s qui incombe généralement aux femmes a un impact particulièrement néfaste sur leur productivité et leur santé mentale. 

Les cours de premier cycle étant majoritairement enseignés par des chargé·e·s de cours – principalement des femmes et des personnes racisées – leurs conditions d’emploi sont bien souvent précaires et leur salaire, relativement minime. Dans une lettre ouverte adressée à l’administration de la Dalla Lana School of Public Health, une partie du corps professoral dénonçait entre autres les inégalités et le manque de sécurité d’emploi pour les employé·e·s au statut précaire. Cette lettre ne relève pas d’un cas isolé, en démontre l’émergence de plusieurs cercles universitaires qui dénoncent l’inefficacité et l’insuffisance des services offerts au corps professoral.

« Les universités doivent ouvrir la porte à des mesures plus ciblées, comme des services de garde gratuits et un ajustement plus flexible des exigences en matière d’enseignement et de recherche »

Les professeur·e·s permettent l’apprentissage en occasionnant des élans de créativité et ce sont celles et ceux qui sont garants d’un savoir qui se doit d’évoluer. Puisque leur travail est si précieux, tâchons d’en prendre soin : les universités doivent ouvrir la porte à des mesures plus ciblées, comme des services de garde gratuits et un ajustement plus flexible des exigences en matière d’enseignement et de recherche. Ces mesures permettraient entre autres de pallier certaines des nombreuses inégalités. Briser les plafonds de verre qui existent au sein des universités nous demande d’oser investiguer le problème de l’épuisement professionnel, et, pour cela, il requiert d’agir sur la manière dont celui-ci est réparti inégalement en société.


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