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Oxymores et littérature

Présentation des cinq œuvres du Prix littéraire des collégiens 2020.

Prix littéraire des collégiens

L’éducation contemporaine est fondée sur l’oxymore du désir élitiste de se démarquer des autres et du désir de son accessibilité à tous·tes. Cette antithèse prend toute sa splendeur lorsque l’on observe certaines universités américaines qui développent de vastes programmes d’aide financière et de recrutement d’étudiant·e·s « défavorisé·e·s », mais qui n’augmentent pas la taille de leurs classes.

Cette dichotomie contamine de manière similaire la littérature contemporaine. On lui donne une valeur puisqu’elle n’est pas lue par tous·tes, mais l’on argumente que tous·tes devraient la consommer de leur plein gré, dans leur temps libre. Le Prix littéraire des collégiens siège dans le gris de cette opposition. Il offre une opportunité que seul·e un·e professionnel·le de la littérature pourrait habituellement saisir, soit prendre le temps de lire gratuitement cinq livres québécois parus dans la dernière année. De plus, les délibérations ouvrent la porte à un processus démocratique et à de nombreux débats. Enfin, l’œuvre sélectionnée par le plus grand nombre de cégeps remporte le Prix littéraire des collégiens ainsi que la bourse qui lui est associée.

Puisqu’il n’est pas véritablement nécessaire de passer à travers chacune des publications littéraires québécoises pour goûter à cette littérature, le Prix littéraire est une occasion pour les lecteurs et lectrices d’obtenir des recommandations et de dénicher les oeuvres suivant leurs goûts. Après tout, le rôle des critiques est de démêler les Tolstoï des Shapiro. Ainsi, voici un résumé des cinq œuvres uniques que nous proposait la cohorte 2020.

Les offrandes Louis Carmain — VLB Éditeur
Plongeant au sein du Mexique contemporain, Les offrandes explore la juxtaposition de la tradition culturelle au réalisme hobbesien du quotidien d’une femme dans un pays inhospitalier. Maude, qui a quitté la Côte-Nord du Québec pour devenir inspectrice spécialisée en disparition d’animaux domestiques, s’engage à contrecœur dans le double meurtre d’une femme de chambre et de sa petite sœur. À travers un vocabulaire qui fait tourner les pages de nos dictionnaires, l’on remet en question les intentions et les valeurs derrière chaque interaction de ces personnages à la crasse flamboyante. En nous attachant aux individus qui nous déçoivent par leur instinct de survie cru, notre lumière de lecture se ferme bien tard avec ce livre en main.
Recommandé aux personnes qui mangent piquant pour le plaisir.

Ouvrir son cœur — Alexie Morin — Le Quartanier
Savoir comment être en société est une tâche bien ardue. Justement, qu’arrive-t-il quand l’on ne sait pas comment et que l’on est forcé de continuer à naviguer cet engourdissement des attentes, des responsabilités, de l’estime d’autrui et de la solitude ? Alexie Morin explore ses souvenirs, son enfance, ses rêves, sa fuite vers Montréal, mais surtout sa honte. Ouvrir son cœur encadre l’incursion au sein de la psyché humaine et de ses irrationalités. Cette introspection n’est pas pour n’importe quel public, mais les personnes qui s’y reconnaîtront pourront enfin avoir la certitude que leur torpeur n’était pas singulière et isolée.
Recommandé aux personnes qui se cherchent depuis longtemps.

Shuni — Naomi Fontaine — Mémoire d’encrier
Naomi Fontaine raconte à son amie Shuni, fille canadienne-française qui a quitté Uashuat, le village innu de l’autrice, la progression de sa réflexion sur sa condition d’existence autochtone. La narratrice utilise aussi ses pages pour prévenir son fils des différentes formes que prendront les assauts à son identité. La vie est un cercle que Naomi Fontaine traduit en prose pour relater le profond caractère humain des personnes qu’elle côtoie ou observe. Shuni est une œuvre sensible de la réalité coloniale contemporaine et en vaut le détour.
Recommandé aux personnes à l’intérieur des frontières du Canada, et ailleurs.

L’évasion d’Arthur ou La commune d’Hochelaga — Simon Leduc — Le Quartanier
Sous le ciel gris de Montréal, les pieds humides de neige fondue entrée dans nos bottes, l’on découvre l’histoire d’Arthur qui fugue de ses deux maisons pour vendre ses pilules afin de changer le monde et sauver son ami itinérant schizophrène. Arthur a 10 ans et ne sait pas naviguer sa relation étrange avec son père anarchiste et sa mère travailleuse sociale. D’un optimisme agressif qui réclame le nettoyage de personnages souillés, Simon Leduc nous introduit dans un univers tangiblement envoûtant qui pourrait très bien se dérouler en ce moment, près de la ligne verte.
Recommandé aux personnes qui n’aiment pas la police, mais un peu en fait.

Suzanne Travolta — Elisabeth Benoît — P.O.L. éditeur
Vous saurez exactement tout ce qu’il n’était pas nécessaire à savoir et rien de ce qui a capté votre attention. Par contre, cette exploration de la socialisation contemporaine, où s’imbriquent des histoires ficelées d’une main experte, ne vous permettra pas de l’abandonner si vite. En suivant Suzanne, première narratrice du roman, les amoureux échappent leurs papillons, les filles crédules s’y connaissent et les figures deux-dimensionnelles prennent de la profondeur. Surtout que Suzanne est espionnée par deux agents secrets. Montréal a toujours des histoires à faire découvrir, et la plume d’Elisabeth Benoît en est une qui nous laisse jeter un coup d’œil derrière le lourd rideau de velours que sont les façades sociales.
Recommandé aux personnes qui veulent essayer d’impressionner autrui avec leurs lectures.

La culture prend sa valeur de la croissance intellectuelle et des réflexions qui en émergent. Justement, le Prix littéraire des collégiens a un important effet de démystification du « monde adulte ». Ayant souvent été seulement immergé dans des œuvres « réussies », il est désillusionnant de constater que certaines choses aussi tangibles que des livres écrits, publiés, imprimés, reliés et vendus peuvent être abruptement mauvais. Cependant, les œuvres épatantes prennent de l’ampleur par la corde raide qu’elles ont su traverser jusqu’à notre fibre humaine. Cela nous rappelle que le futur est notre création et que certaines choses qui semblent bien solides ne tiennent pas toujours debout.  


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