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La poésie des cheveux qui tombent

Le poème acéré.

Elissa Kayal | Le Délit
  1. La poésie des cheveux qui tombent

 

 

Je n’ai pas de miroir dans ma salle de bain

 

Je passe beaucoup trop de temps à regarder mon reflet faire des grimaces

Dans un miroir-aimant de réfrigérateur

J’aimerais savoir mieux gérer mon temps

 

Je me demande si mes cheveux sont trop longs

Je suis obligé de me raser avec un miroir-aimant

De six pouces par trois

 

Je perds des poils

Je perds mes poils

Je pense à toi

 

Quand je me rase mon père trouve que j’ai du talent

Quand je me rase je me rappelle le son de tes doigts sur ma peau

 

***

 

Je ne comprends pas la gravité

L’absurdité des cheveux tombés dans la douche

 

J’ai adopté un poisson à l’animalerie

Un poisson réfugié

Je me demande pourquoi les poissons n’ont pas de cheveux

Pourquoi ils meurent aussi vite

 

***

 

Longtemps j’ai réfléchi à un remède pour la perte de cheveux

J’ai même pensé changer de branche

De métier

 

Quand ma mère me demande si j’ai trouvé un travail

Je lui réponds que je m’ennuie de toi

 

J’étais allé porter mon curriculum vitae

Au centre de recherche sur la perte des cheveux de McGill

Mais tu me disais que ça changerait rien

Que c’était pas grave

Qu’il y avait de la poésie dans les cheveux qui tombent

 

***

 

Tantôt j’ai mis mes mains en coupe

Je croyais qu’avec un peu de magie

J’aurais pu voir tes nœuds doux tes lignes de mains

 

Mon seul talent est d’avoir une ligne de main parfaitement symétrique

Avec la ligne de mon autre main une fois mise en coupe

 

Mon seul talent est de faire en sorte qu’un souvenir ordinaire

Devienne un moment marquant par défaut

 

Je ne joue pas de piano je ne fais pas d’escalade

Je ne suis pas Français

J’ai de magnifiques lignes de mains symétriques

Et j’écris des poèmes

 

Mon seul talent est de me perdre dans l’herbe les fourmis

Les nappes de pique-nique les sandwichs aux betteraves les pois au Wasabi

Mon seul talent consiste à me perdre

Dans le vertige flou de tes clavicules

 

***

 

Tantôt j’ai mis mes mains en coupe

Je me suis demandé si j’avais envie de te revivre

 

J’ai fait l’amour à une autre femme

Avec tes lèvres et ton sourire croche comme musique de fond

Je me demande si on peut tromper une femme pendant l’acte

 

Dans le métro

En sifflotant la beauté de tes canines


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