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Face au virus, approches différentes et divisions politiques

Daniel Béland se prononce sur l’impact de la COVID-19 au Canada. (1|4)

Rafael Miró | Le Délit

Le Délit s’est entretenu avec le spécialiste Daniel Béland, professeur titulaire de la chaire James McGill au Département de sciences politiques et directeur à l’Institut d’études canadiennes de McGill (IÉCM), sur les conséquences de l’épidémie mondiale de COVID-19 au Canada. Cet article est le premier d’une série de quatre, portant sur l’impact du coronavirus au Canada.

Le Délit (LD) : Bonjour Pr. Béland. D’abord, comment le coronavirus a‑t-il eu des répercussions et en aura dans l’avenir sur l’économie canadienne ? 

Daniel Béland (DB) : Sur le plan économique, c’est une situation qui est sans précédent. Si on parle du nombre d’emplois qui ont été perdus durant une période de temps très courte, cela s’est produit très, très rapidement. Ce qu’on a vu le mois dernier, c’est qu’il y a eu cinq fois plus de pertes d’emplois mensuelles que lors d’autres crises. C’est vraiment du jamais vu depuis qu’on a des statistiques sur le chômage, même si on compare avec la crise immobilière de 2008 ou avec le krach boursier de 1929.

Je pense que le Canada ne s’en tire pas mieux que les autres pays. On regarde la situation aux États-Unis, où le taux de chômage a déjà triplé en deux mois et ça va continuer à augmenter mais c’est la même chose au Canada. Je pense que nous sommes dans une situation qui va durer encore plusieurs mois. Et on ne sait pas si ça va dépendre uniquement de la durée de la crise sanitaire en temps réel, parce que le virus a aussi affecté l’économie.

LD : Actuellement, on voit que différentes stratégies de confinement ou de déconfinement émergent dans les provinces. Le Québec et la Colombie-Britannique, en ce moment, sont en train d’entamer leur déconfinement, alors que les autres provinces semblent tenir à le prolonger le plus longtemps possible. Comment est-ce que ces mesures différentes vont affecter les provinces ?

DB : Il y a en effet des différences entre les provinces. Je pense que le Québec fait un peu cavalier seul, parce que c’est la province qui a les pires statistiques sur le plan sanitaire, surtout à Montréal. Si on prend le nombre de morts, qui est selon moi le meilleur indicateur de la situation d’une province parce qu’il n’est pas affecté par le nombre de tests effectués, le Québec est vraiment en tête. Et donc, au Québec, ce déconfinement qui est en train de se produire crée des tensions, non seulement à l’intérieur de la société québécoise, mais aussi entre Ottawa et Québec. 

Pour ce qui est de la Colombie-Britannique, et d’ailleurs aussi de la Saskatchewan, on assiste à un retour à la normale graduel. Ces provinces sont quand même proportionnellement beaucoup moins affectées. La Colombie-Britannique a vraiment fait un bon travail pour prévenir l’épidémie ; elle a un très bon système de santé publique. Et puis, peut-être à cause de sa proximité avec la Chine, elle a pris des mesures très tôt en comparaison au Québec. 

LD : Qu’est-ce qui explique l’approche du Québec, qui veut déconfiner malgré le risque ?

DB : Au Québec, il y a un grand écart entre Montréal et le reste de la province — les régions, comme on dit et c’est un écart qui n’est pas seulement sanitaire mais aussi politique. On a un gouvernement, avec la CAQ [Coalition Avenir Québec, ndlr], où seulement deux députés sont élus sur l’île de Montréal. Donc, on peut dire que, sur le plan politique, leur force est vraiment dans les régions. Comme les régions sont en général moins touchées, les gens veulent rouvrir plus rapidement. Cela crée des tensions au Québec, entre Montréal et le reste de la province, entre le gouvernement Legault et la Ville de Montréal, et même entre le gouvernement Legault et le gouvernement fédéral parce que les libéraux [fédéraux] sont forts à Montréal. 

LD : La crise sanitaire n’a donc pas effacé, ou du moins mis au second plan, ces divisions propres à la politique ?

DB : Je pense que la politique, vous savez, ça, ça ne disparaît jamais. Ça peut passer à l’arrière plan, mais un premier ministre, ça reste quand même un premier ministre. Qu’il soit provincial, fédéral ou un député, ça reste un politicien, peu importe ce qui se passe.

En tout cas, c’est sûr que la politique partisane est beaucoup moins à l’avant-scène qu’elle ne l’était au début de la crise, ou avant le début de la crise. Il y a parfois un peu de bisbille, mais si on compare avec ce qui se passe aux États-Unis ou dans d’autres pays fédéraux comme le Brésil, on se débrouille assez bien au Canada. Quand même, il y a des tensions de temps en temps, non seulement entre Québec et Ottawa, mais aussi entre d’autres provinces et Ottawa : on l’a vu au début de la crise, au sujet de la fermeture des frontières, où certaines provinces pensaient que le fédéral prenait trop de temps. Après ça, les tensions se sont dissipées et il y a eu une bonne collaboration. Mais là, les tensions avec le Québec commencent à revenir à l’avant-scène ; on va voir comment ça va continuer au cours des prochaines semaines.

Les propos de M. Béland ont été édités par souci de concision. Propos recueillis le mardi 12 mai.


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