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« La CEVES est là pour durer »

Quelle est la visée de la coalition étudiante pour un virage environnemental et social ?

Aya Hamdan

Dans plusieurs années, on  se rappellera probablement du 4 février 2020 comme d’un grand jour pour l’activisme étudiant au Québec. Ce mardi-là, la coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) s’est officiellement présentée lors d’une conférence de presse à l’UQAM, à la suite d’un travail d’organisation qui durait depuis l’été 2019. Trois mouvements – Pour le futur, Devoir environnemental collectif (DEC) et La planète s’invite à l’Université (LPSU) – qui rassemblaient les étudiant·e·s activistes de niveau secondaire, collégial et universitaire respectivement, sont aujourd’hui réunis pour faire bloc face au gouvernement alors que celui-ci, malgré deux grèves et des faits incontestables, continue à faire la sourde oreille. 

Je me suis entretenue avec Marie-Claude, membre du comité mcgillois de la CEVES – ou de son autre nom, Climate Justice Action McGill (C‑JAM) – afin qu’elle m’en dise plus sur le travail et les motivations des membres actif·ve·s de l’organisation. Elle fait partie du mouvement depuis le début du processus, puisqu’elle travaillait déjà au sein de LPSU, créé en février 2019 afin de mobiliser les étudiant·e·s universitaires autour de la première grève pour le climat du 15 mars dernier. Les trois grands mouvements étudiants, aux côtés d’autres organismes locaux, ont collectivement organisé l’évènement : « La mobilisation a été incroyable […], donc on a décidé de continuer et de rester ensemble. » C’est au fil des réunions qu’ils ont décidé de former la CEVES. « C’est la première fois, depuis les années 1960, que les trois niveaux s’unissent pour une cause ! Et c’est pour répondre à l’inaction des gouvernements. La science prouve [la crise climatique], le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr)… Même les scientifiques et les professeurs des universités dans lesquelles on étudie s’entendent pour dire qu’elle est réelle et qu’il faut agir au plus vite, puis les gouvernements n’écoutent pas. À la place, ils achètent des pipelines, ils approuvent toutes sortes de projets… C’est pour ça que la CEVES a décidé de s’unir, pour se mobiliser plus fort. »

Un fonctionnement horizontal

Les rencontres de la CEVES se font entre représentant·e·s de tous les établissements de niveau secondaire, collégial ou universitaire. Chaque institution a ses porte-paroles : le comité de McGill, toutefois, n’en a pas, et suit une structure non-hiérarchique : « On est tous sur un même niveau. […] La personne change à chaque fois. À C‑JAM, il n’y a pas de positions officielles. »

Plus de 45 établissements d’enseignement composent la coalition, ce qui demande un effort très élevé d’organisation : « Les rencontres de coordination réunissent les représentants de tous les campus, de tous les paliers, ainsi que les représentant·e·s des comités [spéciaux]. » Il y a des comités de campus et des comités de travail – Care et Justice Sociale, Communications, Mobilisations, Projets, etc. – choisissant chacun des délégué·e·s qui rencontreront les autres. « N’importe qui peut aller dans n’importe quel comité. Tout le monde travaille ensemble, les étudiants du secondaire sont considérés aussi capables que les étudiants d’université, tout le monde peut s’impliquer à tous les niveaux. » Les rencontres se font souvent sur internet ; en personne, elles sont plus rares. Il y a aussi des unités régionales, comme le sous-groupe montréalais : « Les campus les plus proches auront souvent des mobilisations similaires et des besoins similaires. » La création de comités régionaux assure donc un meilleur partage des informations et facilite la coordination.

Actions et démonstrations

Depuis sa création, la CEVES a fortement montré son soutien à la Nation Wet’suwet’en et dénoncé ouvertement les crimes de la GRC et du gouvernement fédéral envers les occupant·e·s du camp Unist’ot’en. Dans un communiqué de la coalition, l’on peut lire : « La Nation Wet’suwet’en est souveraine et leur statut a été clairement énoncé lors de la décision Delgamuukw v British Columbia de la Cour Suprême du Canada en 1977 ! Le colonialisme et l’impérialisme des gouvernements au nom des compagnies extractivistes doivent prendre fin immédiatement ! Le gouvernement fédéral et provincial, l’industrie et les services de police doivent se conformer à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (telle que ratifiée par la Colombie Britannique), ainsi qu’à Anuk Nu’at’en (lois Wet’suwet’en). »

La CEVES préconise les actions directes non-violentes. Le 14 février dernier, la coalition a participé à l’organisation de l’occupation des bureaux du ministre du Patrimoine Steven Guilbeault, aussi co-fondateur d’Équiterre et ancien membre de Greenpeace, afin de s’opposer au projet Teck d’exploitation de sables bitumineux en Alberta. Les activistes qui y étaient présent·e·s étaient muni·e·s de masques à l’effigie de Guilbeault et vêtus du même costume – une combinaison orange – que lui-même portait en 2001 lors d’une action de Greenpeace. Selon la CEVES, « M. Guilbeault a un rôle crucial à jouer pour que ce projet soit rejeté d’ici la date butoir du 28 février prochain ». Le projet, si approuvé, aura des conséquences désastreuses et irréversibles puisqu’il émettra plus de six millions de tonnes de gaz à effet de serre, selon Greenpeace. « L’objectif, c’est de mettre le plus de pression possible en personne. Déjà, si on achète des pipelines, on ne peut pas prétendre être carbo-neutre, on ne peut pas se proclamer leader en environnement ou en droits humains », explique Marie-Claude. « Et ces actions ont été très couvertes dans les médias, les actions directes non-violentes de cette ampleur attirent l’attention, ce qui est bien puisque malheureusement, beaucoup de gens ne sont pas au courant de ces projets-là. […] Et tout est connecté : ça ne s’arrête pas à un oléoduc, il y en aura d’autres après, et c’est pour ça qu’il faut continuer. »

Tout est connecté : ça ne s’arrête pas à un oléoduc, il y en aura d’autres et c’est pour ça qu’il faut continuer 

Ce sont les différents sous-comités de la CEVES qui se spécialisent dans l’organisation d’actions spécifiques, mais les mobilisations comme celle du 14 février se font le plus souvent de concert avec d’autres groupes indépendants, comme il a été le cas avec Greenpeace et Extinction Rebellion pour l’occupation des bureaux. « C’est ce qui fait qu’on a de l’aide externe. » À titre d’exemple plus local, Marie-Claude décrit la collaboration de C‑JAM avec plusieurs groupes étudiants de McGill, comme O‑SVRSE (Office for Sexual Violence Response, Support and Education), ISA (Indigenous Student Alliance) ou UGE (Union for Gender Empowerment) : « Le principe de la justice climatique, c’est qu’il y a plusieurs luttes qui viennent ensemble. C’est intersectionnel, on ne peut pas les séparer. Les groupes avec lesquels on va s’allier, c’est ceux avec qui les objectifs sont communs, ce sont pour la plupart des [groupes de] luttes sociales. On se consulte donc avec les différents groupes, on discute de leurs besoins puis on prévoit des actions. […] Aux portes ouvertes par exemple, on a fait une action directe sur le campus, qui était en collaboration avec SPHR [Students in Solidarity with Palestinian Rights]. On a une fosse mobilisatrice qui est assez forte, à C‑JAM, on veut donc l’utiliser pour contribuer aux actions des différents groupes et à leurs efforts. Et c’est réciproque. »

L’organisation de protestations comme celle des bureaux de Guilbeault est aussi particulièrement délicate. Marie-Claude explique qu’elle ne peut souvent se faire qu’en personne, puisque la communication sur Facebook ou Slack est impossible, leurs données n’étant pas cryptées. Ainsi, les membres qui n’y participent pas directement n’apprennent souvent que quelques jours auparavant qu’une action directe aura lieu. Dans les cas où les organisateur·rice·s espèrent rassembler plus de monde, la diffusion d’informations dans les médias doit se faire le plus tard possible et tout doit être prévu à la dernière minute.

Parker Le Bras-Brown

Semaine de transition

« On se base beaucoup sur l’escalation [qui peut être définie, en quelques mots, par avoir recours à des actions non-violentes à risque de plus en plus élevé], d’où l’idée de la Semaine de transition. […] On a commencé à bâtir un momentum en mars, puis en septembre : on essaye donc de faire monter la pression sur les gouvernements en augmentant la durée de la grève et de la mobilisation étudiante », explique Marie-Claude. La Semaine de la transition, c’est le plus gros projet de la CEVES jusqu’à présent : lorsque celle-ci a annoncé sa création le 4 février, c’était aussi pour présenter son Plan national d’urgence pour la Justice climatique (voir encadré) ainsi que pour appeler à une grève d’une semaine, du 30 mars au 3 avril 2020. La semaine sera marquée par des conférences, des séances de discussions, des occupations et des manifestations.

« Le but de la Semaine de Transition, c’est de réclamer nos espaces d’éducation pour enseigner ce que l’on croit qui est important. Parce que malheureusement, les universités, les écoles secondaires et les cégeps, à travers le gouvernement, ont un contrôle total sur ce qui nous est enseigné. Ce qu’on veut, c’est parler du réel état des choses, et de mobiliser plus pour continuer à escalader si jamais nos demandes ne sont pas entendues par le gouvernement et par les administrations des écoles. […] C’est une semaine que l’on prend pour se réapproprier notre éducation, dans le contexte de la crise climatique où l’on n’apprend pas ce qu’on devrait, pour se créer des espaces où discuter de la transition environnementale et sociale. »

La grève est un élément crucial de la Semaine de transition : à McGill, l’on peut s’attendre à des grèves rotatives, où chaque faculté fera grève pendant un jour différent de la semaine (voir encadré en bas de page pour les dates précises). « Si on ne la fait qu’un jour, on ne nous entend pas. […] Et avec l’urgence de notre problème, on n’a pas le choix de faire une action concrète. » L’on discute déjà de la possibilité d’une grève à durée illimitée ; l’option a déjà été soulevée l’automne dernier, lors de l’Assemblée générale de la Faculté des arts pour la grève du 27 septembre. Et bien qu’elle ait des conséquences potentielles bien plus importantes pour les étudiant·e·s, elle semble pour beaucoup être le seul recours afin d’avoir un réel impact sur les décisions prises quant à l’environnement.

Ce qu’on veut, c’est parler du réel état des choses, et de continuer à escalader si nos demandes ne sont pas entendues par le gouvernement

« Il faut voir la situation de l’autre côté : une grève d’une journée, ce n’est pas très menaçant pour un gouvernement. Mais si la grève se maintient, qu’il commence à y avoir des problèmes dans l’administration… Si jamais une session est annulée, qu’est-ce qui se passe pour les étudiants qui rentreront l’année d’après ? C’est cette peur-là qu’il faut aller chercher pour pousser à l’action. C’est aussi pour ça que les blocages de voies ferrées, en ce moment [par les mouvements de protestation en solidarité à Wet’suwet’en, ndlr], marchent si bien : c’est une façon de faire monter l’urgence. » Et le problème, explique Marie-Claude, c’est que l’urgence de la crise climatique, elle, n’est pas tangible, comparée à l’intensité de ses conséquences sur notre structure.

Elle critique la réponse qui avance qu’une grève, ou un désinvestissement, n’a pas d’impact à grande échelle : « C’est un symbole qui est immense, surtout lorsqu’on considère McGill, qui est l’ancienne université du premier ministre. […] Et ça construit un momentum, aux côtés d’autres écoles et d’autres industries. On fait partie d’un immense mouvement et il faut tous pousser dans la même direction. »

En cas de non-réponse des gouvernements, la grève illimitée s’impose comme solution ultime. « En tant qu’étudiants, nous avons un pouvoir puisque nous sommes la future génération de travailleurs et de travailleuses. C’est nous qui allons soutenir le système qui est en train de s’écrouler. » Pour faire bloquer le système afin de  le faire changer réellement, la grève a énormément de pouvoir. C’est ça, la vision de la CEVES : « On croit beaucoup plus aux changements du système qu’aux changements individuels. » La CEVES est là pour durer, me dit-elle, au nom de son comité. Tant que le gouvernement n’aura pas répondu aux demandes de la coalition, les étudiant·e·s ne cesseront de lutter. 


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