Aller au contenu

La nuit à McGill

Le Délit explore les services étudiants nocturnes de McGill.

Hadrien Brachet | Le Délit

La nuit tombe, et la lune envahit le ciel zinzolin pendant que la lumière des lampadaires recouvre les flocons de neige d’une couverture ambre. Alors que la ville se prépare pour déclarer la fin d’une nouvelle journée, les services nocturnes de McGill se réveillent, dans l’attente d’un appel, dans l’attente de quelqu’un en besoin de leur aide.

Ces services sont Walksafe, Drivesafe, et McGill Students’ Nightline, dont Le Délit a eu le privilège d’observer le travail. Constitués de volontaires — anonymes — étudiant·e·s à l’Université McGill, ces services ont la mission essentielle de faire de McGill une communauté plus inclusive et un espace plus sécuritaire. Le Délit s’est entretenu avec Nightline et Walksafe en exclusive pour partager le travail, souvent méconnu, qu’ils fournissent à la communauté mcgilloise et montréalaise.

Le soutien d’une écoute active

Lorsque l’horloge sonne à 18 heures, McGill Students’ Nightline ouvre ses lignes. Nightline, actif depuis 1984, est un service d’écoute disponible de manière anonyme, confidentielle et sans jugements à celles et ceux qui ont besoin de soutien, d’informations, ou qui tout simplement souhaiteraient parler pendant un moment avec un·e inconnu·e. Le service est ouvert toutes les nuits de l’année scolaire mcgilloise, de 18 heures à 3 heures du matin, et ferme pendant la pause de Noël et l’été.

Entrevue avec la vice-présidente

Le Délit s’est entretenu avec Megan McGill, vice-présidente aux Affaires externes de McGill Students’ Nightline et étudiante à McGill. Megan se charge d’agir comme liaison entre Nightline et la communauté montréalaise.

Le Délit (LD) : Peux-tu nous expliquer comment Nightline fonctionne ? Comment cela se passe lorsque nous appelons Nightline ?

Megan McGill (MM) : Pour nous contacter, il suffit d’appeler au (514) 398‑6246 et un volontaire répond  au téléphone. Parfois les lignes sont complètes, mais généralement cela n’est pas le cas. Il n’y a pas d’attente d’appels. Si les lignes sont complètes, alors vous êtes notifié.e.s de cela, et l’appel est coupé. 

LD : Quelles sont les périodes les plus chargées pour Nightline ?

MM : Honnêtement, cela est très variable. D’après mon observation personnelle, lorsque je travaillais en tant que volontaire [en tant que coordinatrice externe de Nightline, Megan ne prend plus d’appels, ndlr], c’était presque aléatoire, mais je pense que les périodes les plus occupées sont celles où les étudiant·e·s se sentent le plus stressé·e·s.

LD : Qui sont ces fameux volontaires de Nightline, et quel est leur entraînement ?

MM : Pour commencer, les volontaires sont des étudiant·e·s à McGill, des membres anonymes et confidentiel·le·s de la communauté de McGill autour de vous. Ils·elles passent un processus de recrutement de deux entrevues. À la suite des entrevues [s’ils·elles sont sélectionné·e·s], il y a une période d’entraînement intégral qui prépare les volontaires à gérer tout type de sujet possible en appel. Ils·elles sont aussi entrainé·e·s en long et en large dans l’écoute active, parce que c’est principalement ce que nous faisons.

LD : On entend souvent le concept d’écoute active. Pourrais-tu nous expliquer ce que cela signifie ?

MM : En fait, l’écoute active peut signifier beaucoup de choses différentes pour beaucoup de personnes différentes. Donc je suppose que je ne devrais que parler pour moi-même, car cela ne signifie pas la même chose pour tout le monde, même pour nos volontaires. Dans mon opinion, l’écoute active est une façon de faire en sorte que la personne que tu écoutes se sente entendue. Et cela peut prendre différentes formes pour différents appels, ou même lors d’interactions en personne. Car chaque interaction est différente, et pour cela mérite un type d’écoute différente, que ce soit en donnant une validation des sentiments d’une personne, en leur faisant comprendre que leurs sentiments sont naturels, le but final étant toujours que la personne se sente confortable et en sécurité avec toi, et qu’elle sente que tu l’entendes.

LD : Pourquoi l’existence de Nightline est-elle importante pour la communauté de McGill ?

MM : Je pense que, parfois, lorsqu’on se sent submergé·e, ou isolé·e, ou en général lorsqu’on veut juste parler, il peut être plus facile de parler à quelqu’un que l’on ne connaît pas, ou quelqu’un dont on sent qu’il ne va pas nous juger. Dans ces cas, Nightline est un espace où l’on peut partager, en liberté, ce qu’on sent qu’on a besoin de partager, et il n’y a pas de répercussions pour cela, il n’y a pas cette préoccupation de ce que vont penser nos ami·e·s. Et aussi, je pense que c’est un service qui fait en sorte que les gens sachent qu’on est là, même s’ils·elles peuvent avoir l’impression que personne ne l’est. Pour cela, je pense que c’est un service important pour la communauté mcgilloise, et ce le sera toujours.

LD : Pourrais-tu partager pourquoi tu as rejoint Nightline initialement ?

MM : En fait, pour en dire un peu sur ma vie, je suis étudiante en deuxième année de maîtrise. Je suis venue à McGill après mon diplôme à l’Université Western. Je suis allée à la foire aux activités (Activities Night, en anglais) à McGill pour m’impliquer dans la communauté mcgilloise parce que j’étais nouvelle dans la ville et que je ne connaissais pas vraiment de gens. Alors, je suis tombée sur Nightline par hasard. J’avais déjà participé à un service d’écoute similaire, dans mon ancienne université, et Nightline avait l’air d’être un endroit où je pourrais rencontrer des gens avec des valeurs similaires aux miennes.

LD :  Sens-tu que tu as appris beaucoup de choses, et que tu as grandi en tant que personne depuis que tu as rejoint Nightline ?

MM : Absolument. Je pense que — même si j’ai déjà mentionné que j’avais de l’expérience en écoute active auparavant — je sens que je suis le plus équipée à communiquer efficacement en ce moment de ma vie, et j’attribue une grande partie de cela à Nightline, et tout ce que j’y ai appris. Même dans le cadre de ma vie personnelle, je pense que je suis beaucoup plus capable d’écouter mes proches grâce à Nightline.

L’oreille à l’écoute

À la suite de l’entrevue avec Megan, Le Délit a appelé le service Nightline pour en faire le test. « Hello, McGill Students’ Nightline » entend-on d’une voix chaleureuse, mais neutre — l’on ne veut surtout pas assumer l’état émotionnel de la personne qui appelle, à Nightline — à l’autre bout de la ligne. Andrew* nous parle de son expérience à Nightline.

LD : Peux-tu nous dire pourquoi tu as rejoint Nightline ?

Andrew : J’espère que ce ne sera pas une réponse trop longue. Je n’avais initialement pas de but précis en tête. J’ai juste pensé que j’ai toujours été bon·ne avec les gens, et j’ai toujours senti que mes ami·e·s, les gens autour de moi, avaient une inclinaison de venir vers moi avec leurs soucis, les choses qu’ils·elles avaient en tête qu’ils.elles voulaient partager. Et j’ai juste pensé que j’avais cette tendance naturelle à rendre les gens à l’aise, en les écoutant, mais en même temps en évitant de les juger. Car je pense qu’il n’était pas demandé de moi de donner une opinion personnelle. Je voulais juste être là pour écouter. Et j’ai toujours aimé écouter les gens, être là pour eux.elles. C’est pourquoi, quand j’ai vu cette opportunité, j’ai juste sauté dessus.

LD : Qu’as-tu appris de cette expérience avec Nightline ?

Andrew : Je pense qu’une chose que j’ai apprise est que n’importe qui, quel que soit son âge, son genre, son histoire, peut se retrouver dans différents types d’états émotionnels à n’importe quel moment de la journée. J’ai appris que c’est très important d’être ouvert, de parler aux gens. Car la solitude est probablement la pire chose que l’on puisse ressentir. Les gens veulent seulement une voix, les gens veulent que quelqu’un soit là avec eux·elles, peu importe si c’est physiquement, ou juste quelqu’un au téléphone. Et cela peut vraiment faire une différence. 

LD : Comment est-ce, travailler à Nightline ? Est-ce généralement stressant, est-ce gratifiant ?

Andrew : C’est vraiment gratifiant. J’ai vraiment l’impression que je suis en train de contribuer à la communauté mcgiloise, montréalaise. Par moments, cela peut être vraiment éprouvant, car j’essaye de faire preuve d’empathie avec les gens, et parfois l’on entend des histoires, des émotions qui peuvent être dures à écouter. Mais en même temps, nous sommes en train d’aider les gens, et nous sommes en train de faire le bien. Donc, à la fin, tout cela en vaut absolument la peine. 

Marco-Antonio Hauwert Rueda

Une promenade en compagnie

En 1991, à la suite d’une série d’incidents autour du campus, l’AÉUM et le Centre d’intervention en matière d’agression sexuelle de l’Association étudiante de l’Université McGill (SACOMSS en anglais, Sexual Assault Centre of the McGill Students’ Society) ont créé WalkSafe. Ce service gratuit et confidentiel permet à celles et ceux qui le souhaitent d’être raccompagnés la nuit jusqu’à chez eux par des volontaires. Walksafe fonctionne partout sur l’île de Montréal et les bénévoles peuvent prendre le métro ou même le taxi avec celles et ceux qui font appel à eux.

Rencontre avec la présidente

Étudiante en sociologie à McGill, Tamara Janowski est présidente de WalkSafe. Le Délit l’a rencontrée.

Le Délit (LD) : Pour commencer, peux-tu nous expliquer comment WalkSafe fonctionne ? Comment cela se passe lorsque nous appelons ?

Tamara Janowski (TJ) : Vous pouvez nous appeler au (514) 398‑2498 durant nos heures opérationnelles, du dimanche au jeudi de 21h à minuit et le vendredi et samedi de 21h à 3h. Un·e régulateur·rice répondra, vous demandera votre localisation, votre destination, si le numéro avec lequel vous appelez est celui sur lequel les volontaires pourront vous joindre et vous donnera un temps d’arrivée estimée. Nous vous enverrons alors une équipe de deux marcheur·euse·s, qui porteront des vestes rouges avec WalkSafe écrit à l’arrière et vous appelleront en arrivant à votre localisation !

LD : En général, quel est le temps d’attente entre le moment de l’appel et l’arrivée des volontaires ? Combien d’appels avez-vous par soir en moyenne ?

TJ : Cela dépend vraiment d’où ils·elles sont ! Ils peuvent être à 5, 10, 20 ou même 45 minutes s’ils·elles sont loin. Pour les appels, cela dépend du moment de l’année. Frosh est certainement la période la plus chargée parce qu’il y a beaucoup d’événements où nous voulons être et ils·elles sont souvent très éloigné·e·s les un·e·s des autres.

LD : Qui sont les volontaires ? Quel est le processus de recrutement ?

TJ : Il faut être étudiant·e à McGill pour faire partie de WalkSafe, que ce soit de premier cycle ou de deuxième cycle. La candidature se fait en ligne et ceux·celles qui sont sélectionné·e·s passent un entretien. Les volontaires recruté·e·s suivent alors une formation générale, où ils·elles apprennent les politiques, les procédures, et comment faire une marche, etc. Nous sommes à la recherche d’une formation externe également, mais c’est encore en processus de confirmation.

LD : Qu’est-ce qui fait de WalkSafe un composant aussi important des services étudiants à McGill ?

TJ :  Nous sommes un service de réduction de risques (harm reduction, en anglais), nous ne sommes pas un service de protection, mais c’est l’idée que nous sommes là au cas où qui fait de nous un service important de McGill. Nous offrons ce sentiment de sûreté et sécurité. Vous savez que cette option existe si vous le souhaitez.

LD : Quel est ton rôle en tant que présidente de WalkSafe ?

TJ : En tant que présidente, j’anime les réunions, je fais les comptes-rendus. Je suis le premier lien entre l’AÉUM et WalkSafe pour tout ce que nous avons besoin de faire ensemble. J’aide les autres à remplir leur rôle. J’agis comme un soutien, mais je vérifie également qu’ils font leur travail.

LD : Personnellement, que t’a apporté ton expérience au sein de l’organisation WalkSafe ?

TJ : Honnêtement, j’adore WalkSafe ! Bien sûr, assumer plus de responsabilités en tant que vice-présidente externe puis présidente a été stressant par moments, mais c’est réellement enrichissant. Nous avons une équipe incroyable. Ce fut aussi très intéressant de faire des changements et réaliser des projets. Nous avons refait notre marque cette année, nous avons donc un nouveau logo. Nous avons également des affiches qui arrivent. 

Une marche sûre

Après avoir rencontré sa présidente, Le Délit a testé WalkSafe. Il est 21h15 lorsque, vendredi le 7 février, nous composons le (514) 398‑2498 depuis nos bureaux. Le·a régulateur·rice nous répond immédiatement, nous demande notre adresse et notre destination. 10 minutes plus tard, deux volontaires, vestes rouges sur le dos, nous attendent au rez-de-chaussée du bâtiment. À 21h, ils·elles ont débuté leur quart qui durera jusqu’à minuit quand un autre binôme viendra prendre leur relève jusqu’à 3h du matin.  Malgré la tempête de neige qui s’est abattue sur Montréal, Thomas et Henry* sont fidèles au poste et nous rejoignent avec le sourire. C’est loin d’être leur première nuit à parcourir Montréal pour raccompagner celles et ceux qui en ont besoin : pour Thomas, c’est son troisième semestre à WalkSafe, pour Henry le quatrième. « C’est un grand engagement » explique Thomas, notamment parce qu’« il n’y a pas que les quarts réguliers, il y a aussi les quarts lors d’évènements, comme Frosh. Mais c’est très enrichissant ». « C’est très exigeant et tu dois aimer pour le faire parce que si tu n’aimes pas tu ne vas pas accomplir le travail supplémentaire que cela requiert » ajoute Henry, « mais faire en sorte que les gens soient en sécurité […], qu’ils·elles soient heureux·ses, cela donne de la valeur à ce travail ! ». Henry et Thomas insistent aussi sur l’importance du travail en binôme. En effet, les volontaires se déplacent toujours en équipe, jamais seul·e·s.

Pour eux, s’engager à WalkSafe n’est pas seulement rendre service à celles et ceux qui font appel à eux, mais, plus largement, contribuer à la communauté mcgilloise. « Je souhaite que McGill puisse se sentir en sécurité. […] On ne fait pas ça parce que l’on se sent moralement obligé·e·s de le faire, on le fait parce que l’on veut faire partie de la communauté d’une façon où l’on puisse l’aider à s’améliorer et créer un environnement sûr pour que les étudiant·e·s se sentent à l’aise durant la nuit » développe Thomas. D’ailleurs, « chacun a sa propre raison [pour faire appel à WalkSafe] » ajoute-t-il, « évidemment certaines personnes l’utilisent parce ce qu’elles ne se sentent pas en sécurité, mais d’autres parce qu’elles veulent plus se sentir intégrées à la communauté de McGill ». « Notre travail ne consiste pas juste à marcher avec les gens jusqu’à chez eux.  […] Le plus important est de s’assurer que les gens se sentent en sécurité, parler avec eux·elles » précise Henry. Les professeur·e·s peuvent également faire appel au service.

Alors que nous nous approchons de notre destination, Thomas tient à rappeler que WalkSafe n’est pas le seul service nocturne offert à McGill. À part ce dernier et Nightline, il existe un troisième service proposé par l’AÉUM. Les jeudis, vendredis et samedis, de 23h à 3h, DriveSafe propose de raccompagner en véhicule celles et ceux qui le souhaitent, en appelant le (514) 398‑8040. Le service a deux nouveautés ce semestre : des navettes au départ de Service Point les vendredis et samedis à 23h30, 00h30, 01h30 et 02h30 et une extension de son service régulier au territoire des Mohawks de Kahnawake.

« McGill est comme une famille, donc nous devons prendre soin les uns des autres pendant la nuit » conclut Henry. 

*Les prénoms cités ont été changés pour préserver l’anonymat des volontaires. 


Articles en lien