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Histoire d’un amour en fuite

Queen and Slim dépeint la passion dans un contexte de violences policières.

Universal pictures

Un premier rendez-vous qui s’achève, des éclats de rire dans une voiture, un gyrophare qui surgit dans le rétroviseur, un contrôle de police abusif, une situation qui dégénère, un coup de feu : le décor de Queen and Slim est planté. 

Dans un élan de légitime défense, une jeune femme (Angela Johnson, interprétée par Jodie Turner-Smith) et un jeune homme (Ernest Hinds, interprété par Daniel Kaluuya) noir·e·s américain·e·s se retrouvent avec le meurtre d’un policier sur les bras. C’est le début d’une cavale à travers les États-Unis durant laquelle la fuite précipitera les sentiments naissants du jeune couple, et où le désir de survie cristallisera le désir amoureux.

Esthétique soignée

Accordons-nous d’abord sur un point : Queen and Slim est un film à l’esthétique sans pareille. Les couleurs, tantôt éclatantes, tantôt pastel, et les plans, toujours épurés, ne sont pas sans rappeler d’autres œuvres de la réalisatrice Melina Matsoukas telles que le clip « Formation » qu’elle a réalisé pour la chanson de Beyoncé. La bande-son du film laisse entendre les voix de nombreux artistes noir·e·s, de Lauryn Hill à Blood Orange en passant par Solange. Ensemble, l’image et le son se mêlent pour nous offrir un spectacle à l’harmonie apaisante, rendant presque agréable le récit de cette cavalcade. 

Du côté des acteur·rice·s, Jodie Turner-Smith effectue une remarquable première performance sur grand écran en maîtrisant parfaitement l’arc émotionnel évolutif de son personnage. Effectivement, le voyage sera l’occasion pour la jeune femme d’apprendre à se montrer plus vulnérable à autrui, et notamment envers  son partenaire de fuite. Daniel Kaluuya, révélé quant à lui au grand public par sa performance remarquable dans Get Out (Jordan Peele, 2017), nous gâte des regards béants et riches en émotions dont il connaît si bien la recette.  Apparaissent aussi à l’écran, plus brièvement mais non moins talentueusement, d’autres acteur·rice·s de renom comme Bokeem Woodbine, Chloë Sevigny ou encore Indya Moore. 

Dure réalité

Pendant deux heures, Melina Matsoukas nous tient en haleine à travers une œuvre où la passion se décline dans un va-et-vient déconcertant entre l’ardeur d’un amour à consommer au plus vite et la crispation sociale provoquée par la récurrence des violences policières à l’encontre des personnes noires. En effet, au cours de son périple médiatisé, le couple fugitif reçoit beaucoup de soutien et devient malgré lui, à travers tout le pays, le symbole de la lutte contre ces violences. Le croisement de ces deux thèmes atteint son apogée lorsqu’une scène d’amour des plus torrides est présentée en alternance avec une scène de sanglantes émeutes ; provoquant un effet particulièrement déconcertant chez le·la spectateur·ice. Effectivement, l’on ne sait plus à quelles émotions adhérer, et l’on se retrouve balloté·e entre l’intense colère des manifestant·e·s et la grande sensualité du couple.

Dans son ensemble, Queen and Slim est une œuvre poignante et d’une beauté saisissante qui ne manqua pas de me soutirer quelques larmes. Alors que le jeu du chat et de la souris semble ne jamais finir, l’illusion d’une fin heureuse n’est pas offerte par le scénario de Lena Waithe. Effectivement, le dénouement du récit nous rappelle à la violente réalité dans laquelle il est ancré : celle du traitement intransigeant — comprendre meurtrier, et sans aucune présomption d’innocence — réservé aux corps noirs par les forces de l’ordre.


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