Un voyage organisé par Hillel Montréal consistant en un séjour gratuit en Israël a causé beaucoup de débat à l’Université McGill le semestre dernier. Après une motion du conseil législatif de l’AÉUM (Association étudiante de l’Université McGill, SSMU en anglais) appelant à la démission d’une conseillère si elle participait au voyage, une intervention de l’administration mcgilloise et la non-ratification de la motion par le comité d’administration de l’AÉUM, Le Délit fait retour sur les événements ayant marqué l’actualité des dernières semaines.
Voyages gratuits
Début octobre, les membres de l’exécutif de l’AÉUM Sam Haward (vice-président aux Finances) et Sanchi Bhalla (vice-présidente aux Affaires internes) ainsi que d’autres acteurs étudiants à McGill ont reçu une offre d’une participation gratuite à un voyage en Israël de la part de Hillel Montréal, un groupe ayant pour but de favoriser l’engagement des étudiants juifs sur les campus montréalais, dont McGill. Les deux représentant·e·s ont refusé l’offre de Hillel Montréal. Parmi les autres acteurs ayant refusé l’offre se trouvent Tomas Jirousek, commissaire aux Affaires autochtones de l’AÉUM, ainsi que deux membres exécutifs du Black Student Network (BSN). L’affaire a été révélée par le McGill Daily dans un article coécrit par le McGill Students’ Chapter of Independent Jewish Voices ainsi que par Students in Solidarity for Palestinian Human Rights at McGill.
Certains membres d’autres associations étudiantes comme l’AÉFA (Association étudiante de la Faculté des Arts, AUS en anglais) et de la SUS (Association étudiante de la Faculté des Sciences, SUS en anglais) ont également reçu une offre afin de participer à ce voyage.
Dans l’invitation formelle offerte à Sam Haward et obtenue par le McGill Daily, Hillel Montréal décrit le voyage comme étant « un séminaire allant explorer l’histoire ancienne de la région et aborder des réalités politiques et religieuses nuancées sous des angles variés ».
Conflit d’intérêts ?
L’offre de Hillel Montréal a été critiquée parmi les différentes associations étudiantes. En effet, à l’AÉUM, l’offre a été mentionnée une première fois pendant le conseil législatif du 14 novembre 2019, soit le lendemain de la publication de l’article du McGill Daily. Un représentant du comité sénatorial, André Lametti, a d’abord soulevé la question à savoir si accepter l’offre de participer à ce voyage consistait en un conflit d’intérêts selon les politiques de l’AÉUM, questionnement également partagé par le vice-président aux Affaires externes Adam Gwiazda-Amsel, compte tenu de la nature politisée du débat entourant le conflit israélo-palestinien sur le campus.
Le 28 novembre, au conseil législatif suivant, une motion présentée par le conseiller Jérémy Garneau appelait d’une part les participants au voyage à décliner l’offre, et d’autre part demandait la démission des membres du conseil d’administration (CA)de l’AÉUM désirant participer tout de même au voyage. La motion indique que le voyage constitue un cadeau « d’une valeur plus que négligeable » et que les membres du conseil d’administration devraient le refuser pour éviter toute apparence de conflit d’intérêts. Toutefois, Bryan Buraga, le président de l’AÉUM, a expliqué que le CA, suite au conseil législatif du 14 novembre, avait établi que la participation au voyage n’était pas un conflit d’intérêt réel ou apparent selon les critères de la politique actuelle.
« [la] motion appelait […] les participant·e·s au voyage à décliner l’offre et […] demandait la démission des membres du CA de l’AÉUM désirant participer tout de même au voyage »
S’en est suivi un très long débat sur la motion, qui a finalement été approuvée au conseil législatif. Seul le nom de Jordyn Wright, conseillère de la Faculté des sciences et membre du CA prévoyant participer au voyage, figurait sur la motion. Adin Chan, un autre étudiant membre du conseil législatif et du conseil d’administration prévoyant participer au voyage avait finalement décliné l’offre d’Hillel Montréal au moment du débat. Contacté par Le Délit, Chan a expliqué avoir d’abord annoncé à Hillel Montréal en privé qu’il déclinait l’offre le 15 novembre, avant d’annoncer à sa décision à l’AÉFA le 20 novembre, puis au CA le 21 novembre.
Polarisation
L’approbation de la motion a fait grand bruit sur le campus et au-dehors. En effet, Jordyn Wright, de confession juive, a dénoncé dans une publication sur Facebook ce qu’elle conçoit comme étant une attaque envers son identité juive et pro-Israël : « Le président de l’AÉUM m’a isolée et a encouragé d’autres à m’attaquer. Je suis la seule conseillère ciblée, malgré le fait qu’un autre conseiller non juif sera également du voyage. […] Ce n’est pas la première fois que des étudiants juifs à McGill sont intimidés au sein des gouvernements étudiants. » La conseillère a également dénoncé l’attitude de la SUS à son égard. « Le comité exécutif de l’Association étudiante de la Faculté des Sciences m’a lancé un ultimatum : ou bien je renonce au voyage, ou bien je renonce à ma position au sein du comité exécutif. Il y a une menace implicite de destitution au cas où je ne démissionnerais pas.»
Le 1er décembre, une lettre ouverte publiée au sein du Bull and Bear signée par des conseillers de l’AÉUM dénonçait également la motion du conseil législatif et sa tentative « de retourner une décision du comité d’administration déclarant qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts ».
L’administration de l’Université McGill a également pris part au débat. Dans un courriel envoyé à tous les étudiants le 2 décembre, Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante), indique que « le vote qui a eu lieu le 28 novembre dernier au sein du conseil législatif de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) nous [l’administration, ndlr] inquiète au plus haut point ». Critiquant la décision de l’AÉUM sur le sujet, Labeau a également déclaré que « la direction de l’Université McGill continue de suivre la situation de près et fera le nécessaire pour que ses étudiants se sentent en sécurité et exempts de harcèlement et, à cette fin, elle n’hésitera pas à tenir l’AÉUM responsable du respect des principes et des valeurs de sa propre constitution ».
Réunion d’urgence
Suivant le courriel, une réunion d’urgence du conseil d’administration de l’AÉUM a eu lieu le lundi 2 décembre. Le comité d’administration a pour tâche de ratifier les motions du conseil législatif pour leur donner valeur légale. Devant une galerie d’assistance exceptionnellement bondée, le conseil d’administration a essentiellement continué le débat du conseil législatif, à savoir si le conseil pouvait voter une motion de ce genre. Bryan Buraga a déclaré qu’il ne voyait pas comment ses commentaires ont pu être perçus comme des attaques personnelles à l’égard de la conseillère Wright. Il a par ailleurs qualifié le courriel de l’administration de « menace » et a dénoncé l’attitude d’ingérence de McGill dans le dossier.
Parmi l’assistance, un membre de Hillel Montréal a lu une déclaration écrite d’avance pour « dénoncer l’antisémitisme » de la motion et le fait de comparer Hillel Montréal « à un lobby ». Cette intervention a suscité de vives réactions au sein de la réunion, notamment dans l’assistance. Parmi celle-ci se trouvaient des étudiant·e·s solidaires envers les Palestiniens qui ont critiqué l’appel à l’antisémitisme, et ont déclaré qu’il est trop facile « d’utiliser l’antisémitisme comme un bouc émissaire ». Par ailleurs, ils ont également dénoncé l’attitude de McGill dans le dossier. Bien qu’ils soient d’accord avec le fait de dénoncer l’intimidation et l’antisémitisme réellement présents pour les étudiants juifs, ils ont décrié le fait que l’expérience vécue et les difficultés des étudiants palestiniens et arabes ne soient pas entendues de la même façon.
Après deux heures de débat, le comité d’administration a finalement décidé de ne pas ratifier la motion. Le directeur Gwiazda-Amsel a expliqué qu’il n’était pas du ressort du conseil législatif de voter sur les conflits d’intérêts et que le comité se devait de ne pas ratifier la motion.
« Après deux heures de débat, le conseil d’administration a finalement décidé de ne pas ratifier la motion [du Conseil législatif]. »
Réactions
Après le vote du comité d’administration, l’AÉUM a publié un communiqué expliquant le raisonnement derrière la décision. D’entrée de jeu, l’AÉUM a tenu à clarifier que la motion ne visait pas Israël ou les étudiants juifs en particulier, mais que les voyages constituaient un cadeau dont la valeur dépasse 50 dollars, et qu’ils étaient donc soumis à la Conflict of Interest Policy. L’AÉUM explique également que « le comité d’administration, dans sa décision de ne pas ratifier la motion du conseil, reconnaît que bien que les membres du conseil ne soient pas satisfaits avec la présente portée de la politique de conflit d’intérêts, le conseil n’est pas le forum approprié pour aborder des enjeux de ressources humaines ». De plus, l’Association étudiante a tenu à exprimer son soutien auprès de la conseillère Jordyn Wright et a rappelé l’importance de la sécurité pour tous sur le campus. L’AÉUM a également critiqué le courriel de Labeau : « Bien que nous appréciions le soutien pour la sécurité des étudiants juifs et pro-Israël sur le campus, un tel soutien n’a pas été démontré envers les étudiants palestiniens et arabes. »
De son côté, l’AÉFA, dans un courriel envoyé aux étudiants le 3 décembre, a exprimé sa « profonde déception » de voir deux de ses membres, le représentant des arts Andrew Chase, et le vice-président aux finances Stefan Sujavac, participer au voyage en Israël. L’AÉFA a tenu « rappeler » que les actions des membres exécutifs « étaient dommageables pour les étudiants palestiniens sur le campus ».
Enfin, le 19 décembre, un groupe de leaders étudiants de confession juive, dont les v.-p. Madeline Wilson et Adam Gwiazda-Amsel, a publié une lettre ouverte dans le McGill Tribune. Dans cette lettre, le groupe soutient que « bien que l’antisémitisme soit abject, les critiques entourant le voyage et ses conséquences ne constituent pas de l’antisémitisme ». Le groupe exprime également son inquiétude quant au financement du voyage par le Maccabbee Task Force, un organisme décrit par le groupe comme étant « explicitement Anti-BDS (Boycott, Divestement and Sanctions) », et aussi quant à la façon dont les « leaders étudiants » ont été ciblés par Hillel Montréal.
Contacté par Le Délit, Hillel Montréal a indiqué que 20 étudiants mcgillois avaient finalement participé au voyage ayant eu lieu du 29 décembre 2019 au 8 janvier 2020.