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À quoi sert un journaliste s’il est désarmé ?

Sympathie pour le diable suit la trajectoire d’un journaliste pendant le siège de Sarajevo.

Shayne Laverdière, Les films Séville

« I am immortal ». Avec ces mots tracés à l’arrière de sa Ford Sierra, Paul Marchand parcourt Sarajevo. D’un combat à un autre, d’un massacre au prochain, du studio de radio à l’hôpital, des quartiers de l’Organisation des Nations Unies (ONU) à une boîte de nuit, il roule vite, sans s’arrêter. Pour éviter les tireurs embusqués. Pour témoigner.

Sarajevo, novembre 1992

Inspiré du roman autobiographique du reporter Paul Marchand, Sympathie pour le diable nous plonge dans Sarajevo assiégée en novembre 1992. D’un réalisme poignant, le film nous enferme au cœur de ce siège, le plus long de l’histoire moderne, qui fit près de 12 000 victimes. La caméra précise et juste de Guillaume de Fontenay reproduit sans filtre le quotidien des journalistes, la violence des combats, l’impuissance de l’ONU, une scène d’amour dans une discothèque sarajévienne. Au sensationnalisme ou au voyeurisme, le réalisateur préfère une immersion crue, directe, avec ses grands froids et ses quelques moments de chaleur.

Le journalisme face à la guerre

Méconnaissable sous son bonnet noir, le cigare à la bouche, Niels Schneider incarne avec brio la figure de Paul Marchand. Par sa personnalité déterminée et acharnée, n’hésitant pas à clamer haut et fort son mépris pour ses collègues, le reporter irrite autant qu’il suscite l’admiration. Son refus d’être cantonné au simple statut de témoin, sa prise perpétuelle de risques ainsi que son besoin irrépressible d’agir suscitent le questionnement sur la profession de reporter de guerre. Peut-on rester objectif face à l’horreur ? Comment filmer, photographier, sans prendre part, révolté, au conflit ? Et surtout, pourquoi ? À quoi sert un journaliste au milieu des bombes ?

Entre un Paul Marchand héros prêt à enfreindre les règles du journalisme pour sauver des vies ou simple accro au risque et à l’adrénaline, Sympathie pour le diable nous laisse choisir et souligne toute la complexité du personnage. Aux côtés du reporter, un photographe (Vincent Rottiers) et une traductrice serbe (Ella Rumpf) forment un trio relevé dans cet objet presque hybride, oscillant entre le documentaire et le film de guerre. Une réussite cinématographique et une leçon sur l’art d’être journaliste à ne pas manquer.


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