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Mois de l’Histoire Queer à McGill, une histoire de mémoire

L'équipe du Délit

Le mois d’octobre à McGill est dédié à la célébration de l’histoire queer. Meryem Benslimane, conseillère d’éducation en Équité a choisi d’articuler ce mois autour d’événements prenant la forme d’ateliers, de rencontres et de conférences ; le but est de souligner les réalisations passées et actuelles des communautés 2SLGBTQIA+ dans l’Université, à Montréal et au Canada. McGill est la seule université canadienne à célébrer ce mois, la seule donc à signifier clairement l’importance d’une telle histoire, et de sa mémoire. Si l’effort est encore particulier à notre Université, le mois semble tout de même se noyer dans les multiples événements qui ont lieu à McGill. Quelques semaines après le mois des Fiertés, la résonance de ce Mois apparaît insuffisante, sa pertinence étant peut-être peu comprise. Explorons alors l’importance de telles célébrations.

Les universités, car motrices de la recherche en histoire et en sciences sociales, sont des actrices majeures dans la conception et le filtrage des faits historiques. Les chercheur·se·s et les structures académiques auxquelles iels appartiennent forgent donc l’histoire que l’on connaît des communautés queers. Si les personnes en dehors des carcans hétéronormés ont été continuellement oppressées à travers les siècles, il n’est tristement pas surprenant que l’histoire qu’on leur accorde soit déformée, si ce n’est effacée pour être conforme à la rhétorique dominante emprise de ces normes oppressives. Jusqu’à très récemment, le travail historique fait des communautés queers était complètement ignoré dans les sphères académiques. Cependant, ces vécus sont loin d’atteindre le récit historique dominant. Si l’histoire n’est pas contée, elle est invisibilisée. Si elle est altérée, le devoir de mémoire se retrouve sclérosé.

Alors, célébrer le Mois de l’Histoire Queer s’inscrit dans un effort de reconnaître que le récit dominant privilégie certaines histoires et en marginalise d’autres. Cette hiérarchie balaie disproportionnellement certains vécus, plus particulièrement quand ils se voient mêlés à l’histoire coloniale. Cela se remarque notamment à travers l’effacement des personnes bispirituelles de l’idée faite de la queerness contemporaine au Canada. De plus, lorsque l’histoire des communautés 2SLGBTQIA+ est racontée, les voix prenant le podium sont souvent masculines, cisgenres et blanches. Ce qu’on nous raconte de l’histoire queer, ce qui est écrit de cette histoire, est l’histoire des plus privilégié·e·s de ces communautés ; l’impression qu’iels étaient seul·e·s à porter les luttes liées aux questions de genre et de sexualité est aussi fausse que répandue.

L’histoire à laquelle l’on a accès — par son rapport intrinsèque à la mémoire — sculpte nos rapports aux institutions. Qui est passé avant moi ? Qui a permis ma présence ici ? Le lieu universitaire peut être la continuation du placard, le renforcement de l’intériorisation d’oppressions, un lieu de violence homophobe, transphobe, biphobe, lgbtphobe. L’impression d’être inclus·e dans l’Université se voit souvent rattrapée par un sentiment d’être rajouté·e, soudainement considéré·e, exceptionnellement écouté·e. Pourtant, on voit bien qu’ici tout prend vie dans une hétéronormativité tellement submergeante qu’elle en devient indissociable de l’expérience de l’Université.

Le discours public actuel — du moins celui que l’on médiatise — donne l’impression que la société tolère les communautés 2SLGBTQIA+. Comment réellement se satisfaire de cet élargissement des définitions du genre et de la sexualité, si le passé qui les compose n’est pas reconnu ni travaillé pour être le plus juste et représentatif ? Si l’on ne parle pas de nous au passé, des gens qui nous ont ressemblé, comment parler de soi au présent ? Se saisir de son histoire, faire son devoir de mémoire pour certain·e·s devient un privilège, accessible qu’au travers d’un certain niveau d’éducation. Se saisir de son histoire, c’est pourtant voir son reflet dans un monde qui s’acharne à nous dire qu’on ne lui ressemble pas. Se saisir de son histoire, c’est pousser un peu plus la porte entrouverte par celles·ceux qui sont venu·e·s avant nous. Le Mois de l’Histoire Queer à McGill continue, ou entame, un travail vital à un réel épanouissement de tous·tes celles et ceux qui composent les communautés 2SLGBTQIA+. 


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