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Mensonges et ultimatums

Une production saguenéenne en première montréalaise au Théâtre Denise-Pelletier.

Courtoisie du Théâtre

Le contexte du texte original de Normand Canac-Marquis est familier : un parti corrompu qui mène le bal, l’espoir du changement en la personne du chef de l’opposition et un journal sur le bord de la faillite dont le devoir est de recenser la vérité. Au centre de l’action se trouvent la comédienne Louise Laprade dans la peau de Solange Spielmann, une journaliste au passé lourd d’épreuves et son ex-mari François, incarné par Robert Lalonde, rédacteur en chef du journal L’État pour lequel elle travaille. Les deux entrent en conflit alors que le périodique s’apprête à imprimer sa dernière publication papier. Solange est approchée par le ministre de la Sécurité publique qui lui impose un ultimatum : celui d’appuyer le parti au pouvoir dans son dernier éditorial, sans quoi sa liaison datant de près de 45 ans avec le prometteur chef de l’opposition sera dévoilée au grand jour. Solange veut dévoiler elle-même l’affaire dans l’éditorial, mais François, qu’elle a épousé un an après l’affaire et divorcé 41 ans auparavant, n’est pas d’accord.

Signes révélateurs et qualité du jeu

Le décor, habilement imaginé, laisse deviner non seulement les bureaux d’un périodique, mais également une sorte de prison, de par de grands panneaux de verre glacé séparant les coulisses de la scène et des matériaux rappelant le béton et le métal. On a devant soi un environnement très industriel et peu chaleureux, mais grandement révélateur du propos de la pièce mise en scène par Martine Beaulne.

On assiste à un spectacle dont la richesse se trouve dans le texte. Le jeu est légèrement statique et n’occupe pas toute la scène, mais les échanges sont dynamiques et révèlent une grande expertise de la part des comédien·ne·s. Malgré un jeu légèrement exagéré par moments, Louise Laprade dévoile un personnage complexe et délicieusement sarcastique dont les réparties en font rire plus d’un, ce qui fournit à la pièce une touche de comique qui lui évite de sombrer dans le mélodrame. Son partenaire de scène, Robert Lalonde, fournit pour sa part une intensité émotionnelle hors pair.

Pertinence de la réflexion

L’État, pièce réflexive qui frappe du fait de son actualité, amène le·la spectateur·rice à user de son jugement critique dans la considération de ce qui constitue vie privée et information publique et l’amène à se questionner sur la valeur de la vérité dans un contexte politique et journalistique. Le spectacle est construit dans le but d’impatienter le·la spectateur·rice : l’on attend pour la première moitié de la pièce la révélation du contenu du fameux éditorial en supposant un scandale sans nom. Cependant, la véritable nature de l’affaire est quelque peu décevante : une relation adultère vieille de 45 ans susciterait-elle vraiment une polémique susceptible de rafler le poste de premier ministre promis au chef de l’opposition ? Les conséquences seraient-elles vraiment aussi catastrophiques que le suggère le jeu des acteurs ? L’on en vient à douter de la pertinence de l’intensité dramatique à ce propos au sein de la pièce.

Néanmoins, la qualité du texte de Normand Canac-Marquis peut être acclamée, en plus du rythme minutieusement travaillé, de la scénographie agréablement troublante et de la profonde complexité des personnages. L’on peut facilement affirmer que, dans tout son ensemble, la pièce L’État est un succès théâtral. 

Présentée à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 12 octobre.


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