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Voyage aux confins de la raison

Retrouvez l’œuvre marquante de la semaine : Cent ans de solitude.

Béatrice Malleret | Le Délit

Sur la quatrième de couverture du livre de seconde main que je tiens entre les miennes, un peu moites, il est écrit : « Peu de romans ont la capacité de changer la vie des gens. Cent ans de solitude (1967) est un de ceux-là. » Plutôt que de me conforter dans la décision d’entamer ce monument de la littérature colombienne et mondiale, le commentaire de W. L. Webb, journaliste au Guardian m’ébranle. Il révèle l’immense notoriété de cette œuvre et l’entoure d’une obligation non seulement de la lire, mais aussi de l’aimer. Ainsi, si j’ai pioché cet ouvrage-là dans la bibliothèque poussiéreuse de mes parents, c’est surtout parce qu’il me semblait, à l’époque que toute personne prétendant à une culture littéraire quelconque se doit d’avoir lu et apprécié une fois dans sa vie –même si c’est dans un passé lointain et flou– Gabriel García Márquez.

Avec une conscience aiguë des motivations discutables qui m’animent, mais disposée néanmoins à voir ma vie changée, je m’installe confortablement dans un fauteuil et entame ma lecture. Les premières pages effacent immédiatement les discours entourant le livre et m’aspirent dans un univers à mille lieues des critiques savantes des bibliophiles. Cet univers, si éloigné de ceux que j’ai l’habitude de côtoyer – que ce soit dans les livres ou dans la vie – en est un où une sorcellerie épique se heurte à une réalité crue, impitoyable et totalement enivrante.

Ce serait un exercice infructueux et perdu d’avance que d’essayer de résumer Cent ans de solitude dans un article de 500 mots. Ce roman a l’allure d’une fresque géante dont les myriades de personnages, de lieux et d’histoires s’entrecroisent et se déclinent en une quantité infinie de couleurs et de textures. Peut-être une manière plus efficace de donner un aperçu de cette saga qui relate l’histoire de la famille Buendía sur dix générations serait donc de dresser le portrait de quelques-uns de ses personnages. 

José Arcadio Buendía, le patriarche de la famille, fonde au tournant du siècle la ville fictive de Macondo. Cette bourgade marécageuse cachée au cœur de la Colombie deviendra le théâtre des naissances et des exécutions, des miracles et des inventions qui rythment la temporalité étrangement cyclique du roman. Rendu fou par son obsession pour les enseignements ésotériques, José Arcadio Buendía met le récit en branle mais disparaîtra assez tôt, finissant ses jours dans les premiers chapitres, attaché à un arbre devant l’habitation des Buendía. Sa femme, Úrsula Iguarán, vivra quant à elle jusqu’à 140 ans et passera son temps à essayer d’empêcher les cinq générations suivantes de détruire tout ce qu’elle aura laborieusement construit – des murs de la maison aux liens invisibles qui unissent les membres hétéroclites de cette immense famille.

Le Colonel Aureliano Buendía, José Arcadio, Amaranta, Remedios la belle, Rebecca, Aureliano Segundo, Fernanda del Carpio ne sont qu’un échantillon des fils, filles, neveux, belles-filles et cousines par alliance de José Arcadio et Úrsula Buendía. Leurs folles aventures d’amour, de guerre, de piété et d’inceste constituent une partie majeure de ce roman et s’imbriquent dans l’histoire réelle –mais tout aussi complexe et pleine de trous, de la Colombie du début du XXe siècle. C’est pour cette raison que Cent ans de solitude est considéré comme l’incarnation parfaite du réalisme magique, genre artistique et littéraire que Gabriel García Márquez explore dans plusieurs autres de ses romans.

Non sans peine et après de longs mois de lecture, j’arrive au bout de Cent ans de solitude.  Je ne saurais dire si celui-ci a changé ma vie. Mais une chose certaine est qu’il a repoussé les limites de mon imaginaire à des recoins dont j’ignorais auparavant l’existence.


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